Revenu à Canaan, Jacob est demeuré seul sur la rive du Jabbok après avoir pris diverses dispositions en vue des retrouvailles redoutées avec son frère Esaü. Durant la nuit et jusqu’à l’aube, il lutte contre un mystérieux adversaire, se fait blesser par lui à la hanche et reçoit sa bénédiction ainsi que le nouveau nom d’Israël sous lequel sa descendance sera désormais connue.
« Cette même nuit, il se leva, prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants et passa le gué du Yabboq. Il les prit et leur fit passer le torrent, et il fit passer aussi tout ce qu'il possédait. Et Jacob resta seul. Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit : Lâche-moi, car l'aurore est levée, mais Jacob répondit : Je ne te lâcherai pas, que tu ne m'aies béni. Il lui demanda : Quel est ton nom ? - Jacob, répondit-il. Il reprit : On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre tous les hommes et tu l'as emporté. Jacob fit cette demande : Révèle-moi ton nom, je te prie, mais il répondit : Et pourquoi me demandes-tu mon nom ? et, là même, il le bénit. Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauve. Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait de la hanche. »
— Genèse 32, 24-32
Interprétations
L'identité de l'adversaire de lutte de Jacob est un sujet de débat[1]. Il est nommé diversement, tantôt comme une figure de rêve, une vision prophétique, un ange (comme Michael et Samael), un esprit de rivière protecteur, Dieu ou Jésus, ou une réminiscence mythologique[2].
Judaïsme
Le personnage contre lequel lutte Jacob est souvent décrit comme un « ange ». Cet adversaire de Jacob est dit être malakh qui signifie effectivement « ange ». C'est déjà le cas dans le livre d'Osée[3] :
« Dans le sein maternel Jacob saisit son frère par le talon, et dans sa vigueur, il lutta avec Dieu. Il lutta avec l’ange, et il fut vainqueur, il pleura, et lui adressa des supplications. Jacob l’avait trouvé à Béthel, et c’est là que Dieu nous a parlé. »
L'âge relatif du texte de la Genèse et d'Osée[3] n'est pas clair car tous deux font partie de la Bible hébraïque telle que rédigée à l'époque du Second Temple, et il a été suggéré que malakh pourrait être une modification tardive du texte, et représenterait en tant que tel une première interprétation juive de l'épisode[4].
Rachi (XIe) pense que Jacob a lutté avec l'ange gardien d'Ésaü (identifié comme Samael)[5], son frère jumeau aîné[6] tandis que Moïse Maïmonide (XIIe) considère que l'incident est « une vision de prophétie »[7] ; Zvi Kolitz (1993) fait référence à Jacob « luttant avec Dieu »[8].
À la suite de la blessure à la hanche que Jacob a subie pendant la lutte, la loi juive interdit de manger le gid hanasheh (nerf sciatique), qui passe par l'orbite de la hanche, exigeant qu'il soit retiré de la viande par le processus de nikkur[9], comme mentionné dans le récit de Genèse 32 :33[10].
Christianisme
L'interprétation selon laquelle « Jacob a lutté avec Dieu » (glosé dans le nom d'Israël) est courante dans la théologie protestante, approuvée par les réformateurs protestants Martin Luther et Jean Calvin (bien que Calvin croyait que l'événement n'était « qu'une vision »)[7], ainsi que des écrivains ultérieurs tels que Joseph Barker (1854)[11] ou Peter L. Berger (2014)[12]. D'autres commentaires traitent l'expression de Jacob ayant vu « Dieu face à face » comme faisant référence à l'Ange du Seigneur comme au « Visage de Dieu »[13].
La proximité des termes « homme » et « Dieu » dans le texte de certains commentaires chrétiens est également considérée comme évocatrice d'une christophanie. J. Douglas MacMillan (1991) suggère que l'ange avec lequel Jacob lutte est une « apparition pré-incarnation du Christ sous la forme d'un homme »[14].
Selon un autre commentaire chrétien sur l'incident biblique décrit, « Jacob a dit : « J'ai vu Dieu face à face », la remarque de Jacob ne signifierait pas nécessairement que « l'homme » avec lequel il a lutté est Dieu. Au contraire, comme pour d'autres déclarations similaires, quand on voyait « l’ange du Seigneur », il convenait de prétendre avoir vu le visage de Dieu »[13].
Islam
L'histoire du combat de Jacob n'est jamais mentionnée dans le Coran mais elle est évoquée dans les commentaires musulmans[15],[16], en l'utilisant pour expliquer d'autres événements de la Bible hébraïque qui sont discutés dans le Coran et qui ont des parallèles, comme Moïse (Moussa) attaqué par un ange[17], et pour expliquer les coutumes alimentaires juives[15].
Comme certains commentateurs juifs, les commentateurs islamiques décrivent l'événement comme une punition pour Jacob qui ne donnait pas la dîme à Dieu mais faisait une offrande comme une dîme à Ésaü[17].
Autres vues
Dans une analyse du livre de 1968 du philosophe marxiste Ernst Bloch, Atheism in Christianity, Roland Boer[18] dit que Bloch considère l'incident comme tombant dans la catégorie du « mythe, ou du moins de la légende ». Boer appelle cela un exemple de "Dieu assoiffé de sang et vengeur... surpassé par des êtres humains rusés désireux d'éviter sa fureur".
Dans The Encyclopedia of Angels, Rosemary Ellen Guiley donne ce résumé[21] :
« Cette scène dramatique a suscité de nombreux commentaires de la part des théologiens judaïques, catholiques et protestants, des biblistes et des critiques littéraires. Jacob lutte-t-il avec Dieu ou avec un ange ? … Il n'y a pas de réponse définitive, mais l'histoire a été rationalisée : romancée, traitée comme un mythe et traitée symboliquement. »
Arts plastiques
Ce passage a inspiré de nombreux artistes, on trouve notamment ce sujet dans :
Zadie Smith la mentionne dans son roman de 2005 On Beauty (Sur la beauté), notamment celle peinte par Rembrandt (spécialité de son personnage principal : le Professeur Howard Belsey).
↑(en) Myrto Theocharous, Lexical Dependence and Intertextual Allusion in the Septuagint of the Twelve Prophets: Studies in Hosea, Amos and Micah, Bloomsbury Publishing USA, (ISBN978-0-567-11252-1, lire en ligne) :
« (trad.) le mot est considéré comme une glose par de nombreux écrivains »
↑(en) Shammai Engelmayer; Joseph S. Ozarowski; David Sofian (1997). Lipman, Steve (ed.)., Common ground: the weekly Torah portion through the eyes of a Conservative, Orthodox, and Reform rabbi, Jason Aronson, (ISBN978-0-7657-5992-4), p. 50
↑ a et b(en)Loades, Ann; McLain, Michael, eds. (1992). "Wrestling with the Angel: A Study in Historical and Literary Interpretation". Hermeneutics, the Bible, and Literary Criticism (illustrated ed.). Springer. pp. 133–4. (ISBN9781349219865).
↑(en) Zvi Kolitz, Confrontation: the existential thought of Rabbi J. B. Soloveitchik, KTAV Publ. House, (ISBN978-0-88125-431-0), p. 50
↑(en) Ze'ev Maghen, After hardship cometh ease: the Jews as backdrop for Muslim moderation, W. de Gruyter, coll. « Studien zur Geschichte und Kultur des islamischen Orients », (ISBN978-3-11-018454-9), p. 117
↑(en)Eli Yassif (2009). The Hebrew Folktale: History, Genre, Meaning. Indiana University Press. p. 13. (ISBN9780253002624).
↑(en)Joseph Barker (1854). Seven Lectures on the Supernatural Origin & Divine Authority of the Bible. By J. Barker. Containing his reply to the Rev. Mr. Sergeant, etc. George Turner. p. 87.
↑(en)Peter L. Berger (2014). Redeeming Laughter: The Comic Dimension of Human Experience (2, reprint ed.). Walter de Gruyter. p. 88. (ISBN9783110354003).
↑ a et bTremper Longman; David E. Garland (2008). pp. 255-256
↑(en)MacMillan, J. Douglas (1991). Wrestling with God: Lessons from the Life of Jacob. Evangelical Press of Wales. p. 56.
↑(en) Scott B. Noegel et Brannon M. Wheeler, The A to Z of Prophets in Islam and Judaism, Scarecrow Press, (ISBN978-1-4617-1895-6, lire en ligne), p. 160-162
↑Catherine Verleysen, Maurice Denis et la Belgique, 1890-1930, Louvain, Leuven University Press, , 176 p. (ISBN978-90-5867-808-9, lire en ligne), p. 62