Les fouilles du site de La Tène ont débuté en 1857, avant la correction des eaux du Jura qui a abaissé le niveau du lac de Neuchâtel de près de 3 m. Menées par Hans Kopp, pêcheur et collecteur d'objets, et conduites par le colonel Friedrich Schwab, elles ont permis la découverte de nombreuses armes (épées) et parures.
En 1863, l'archéologue suisse Ferdinand Keller interprète les vestiges comme ceux d'un village celtique sur pilotis (influence des travaux de Pierre Jean Édouard Desor sur la « cité lacustre »), publiant ses conclusions en 1868 dans son premier rapport sur les palafittes suisses (Pfahlbaubericht)[1].
Pierre Jean Édouard Desor, un géologue de Neuchâtel, considère le site comme une manufacture d'armes construite sur pilotis, puis détruite par un ennemi. Émile Vouga met au jour quantité d'objets dans un paléo-chenal et publie en 1885 Les Helvètes à La Tène, synthèse suivie de La Tène, un oppidum helvète de Victor Gross en 1886. Les recherches officielles de la commission des fouilles (1907-1917), dirigées par William Wavre, puis par Paul Vouga à partir de 1909, s'achèvent avec la publication en 1923 de La Tène : monographie de la station qui propose les hypothèses d'entrepôt, de poste de contrôle ou de douane[2].
En 2007, un bilan documentaire financé par le Fonds de recherche suisse est réalisé et aboutit à la publication La Tène : la recherche - les questions - les réponses[3].
Le musée archéologique Laténium, inauguré en 2001, a des « réserves ouvertes » pour voir les vestiges de La Tène[1].
L'interprétation qui prévaut toujours aujourd'hui est qu'il s'agit d'un site de sacrifices : deux ponts qui passaient sur l’antique rivière Thielle sont les points d’offrandes jetées directement dans l'eau d’un vaste sanctuaire de plein air, ou bien le culte fut pratiqué à partir de plates-formes sacrificielles sur les ponts et sur lesquelles ont été immolés des guerriers[3].
Systèmes chronologiques
Système de Tischler
En 1881, Otto Tischler proposa de subdiviser la période de La Tène en trois phases en fonction de la forme des épées et des fibules :
phase ancienne, de -400 à -300 : fibule à pied libre (Duchkov) et épée à pointe effilée avec fourreau à bouterolle circulaire ;
phase moyenne, de -300 à -100 : fibule à pied rattaché au sommet de l'arc, épée plus longue et fourreau à bouterolle pointue ou légèrement arrondie ;
phase récente, de -100 à la fin de la République romaine : fibule avec cadre en guise de porte ardillon, épée à bout arrondi, de taille uniquement.
Ce système a servi par la suite de base pour les chronologies régionales.
Systèmes allemand (Reinecke) et français (Déchelette)
La période a néanmoins été découpée à nouveau en quatre phases par Paul Reinecke en 1902 pour l'Allemagne, et par Joseph Déchelette qui corrige la chronologie de Tischler en 1914 pour la France. Déchelette ajoute notamment une phase « la Tène IV » pour les îles Britanniques :
En 1944, Paul Jacobsthal publie sa chronologie dans Early Celtic Art. Elle est fondée sur l'observation de quatre styles artistiques propres à l'espace celtique :
Style ancien : -500 à -400
Style de Waldalgesheim : -400 à -300
Style plastique : début du IIIe siècle
Style des épées hongroises : début du IIIe siècle
Synthèse
460 av. J.-C. - 400 av. J.-C. : La Tène A ou La Tène I précoce
400 av. J.-C. - 320 av. J.-C. : La Tène B1 ou La Tène I moyenne
320 av. J.-C. - 260 av. J.-C. : La Tène B2 ou La Tène I tardive
260 av. J.-C. - 150 av. J.-C. : La Tène C ou La Tène II
150 av. J.-C. - 30 av. J.-C. : La Tène D ou La Tène III finale
F. Olmer ne sépare pas la Tène D2(b) du tout début de la période augustéenne ( - 14 apr. J.-C.)[6].
Archéologie
La culture celtique de La Tène atteint la Gaule tout entière (entre la Garonne et la Seine) vers -500, l’Espagne (Celtibères) vers -500, les Balkans, la Grèce (prise de Delphes en ), l’Asie Mineure (Galates en ).
Conséquence d’une crise interne, de la réorganisation des circuits commerciaux ou des luttes entre Grecs et Étrusques pour le contrôle des échanges, les citadelles des Celtes du premier âge du fer, poumon des relations commerciales, sont abandonnées les unes après les autres vers -500 au profit d’un mode de vie plus rural dominé par une chefferie guerrière. Des régions se distinguent comme les nouveaux centres de la civilisation celtique au Ve siècle : la Rhénanie (culture du Hunsrück-Eifel), la Bohême, la Champagne et les Ardennes. Une lente évolution se produit dans les coutumes et les productions. On trouve le stamnos étrusque (vase contenant le vin pur) dans les tombes riches du Ve siècle, à la Motte-Saint-Valentin (Haute-Marne) ou à Altrier (Luxembourg). Le miroir importé d’Étrurie, ou son imitation, est fréquent dans les sépultures féminines (Uetliberg, près de Zurich, la Motte-Saint-Valentin). Les mobiliers funéraires laissent entrevoir une moindre disparité sociale entre les puissants et le reste du peuple. Les importations méditerranéennes baissent, les bijoux sont moins somptueux. Les sépultures des chefs perdent de leur monumentalité, en conservant leur mobilier type : le poignard de parade fait place à la panoplie guerrière complète, le char à deux roues, plus léger et rapide, remplace le char de parade.
En Champagne, les vastes cimetières du second âge du fer comportent, signe d’un peuplement dense, des tombes plates sans tumulus, creusées dans le sol crayeux. Les tessons de céramique retrouvés présentent des caractères régionaux « marniens » (vase de la Cheppe). Des œnochoés étrusques (Somme-Bionne, Somme-Tourbe, Eigenbilzen et Sept-Saulx) attestent des relations avec l’Étrurie. Les hommes les plus importants (150 tombes) sont inhumés sur leur char à deux roues, généralement armés, et portent un casque pointu en bronze. Plus nombreux, les fantassins ne gardent que leurs armes : épées, lances et javelots. Les femmes ont des agrafes de ceinture, des fibules, des bijoux comme le torque, qui, porté dès l’adolescence, parait investi d’une signification sacrée. Le Ve siècle et le début du IVe siècle jouissent d’une grande stabilité, sensible dans les productions. La société semble assez égalitaire. La prédominance nette des tombes féminines marque cependant le départ progressif des hommes.
Des oppida remontant à la Tène, ont été identifiés en Belgique, en Ardenne, à Canteleux, près de Chièvres, au lieu-dit Chession, près de Han-sur-Lesse, à Belvaux, Flobecq, Gilly-Ransart, Gougnies, Orchimont, Sinsin et à la Montagne Saint-Pierre. Le centre des hauts plateaux schisteux de l’Ardenne est densément occupé vers 480/470 avant notre ère par des Celtes. Leur culture nous est essentiellement connue par les vestiges funéraires (les tombelles) qui constellent l’Ardenne. Quelque 150 sites totalisant près de 600 tertres ont été repérés. Venant de la moyenne vallée du Rhin et de la rive droite au nord du Main, les Belges arrivent dans la région vers Ils y supplantent les Gaulois.
La fin de la période de La Tène est marquée par le début du principat d'Auguste en En effet, si la guerre des Gaules (entre 58 et ) marque le basculement des peuples de Gaule interne dans l'orbite romaine, les archéologues considèrent généralement que les véritables changements culturels n'auront lieu qu'une génération plus tard à partir du règne d'Auguste et de la réorganisation administrative des Gaules. Dans les îles Britanniques, les archéologues font même descendre la civilisation laténienne au moins jusqu'en 43 apr. J.-C., date du début de la conquête de l'île.
Défaite des vaincus d'Alésia qui s'étaient réfugiés à Uxellodunum : la Gaule est sous contrôle romain.
9 à L'oppidum de Stradonice (Bohême) est incendié, probablement par les Germains : invasion des Marcomans. Suivi du développement d'une culture germanique sur ces terres.
Tableau chronologique récapitulatif
Tableau récapitulatif des différents systèmes de datation en Europe au cours de la période celtique dite de Hallstatt[7],[8],[9],[10],[11],[12],[13]
↑ a et bGianna Reginelli Servais, La Tène, un site, un mythe, vol. 1 : chronique en images (1857-1923), Hauterive, Office et Musée cantonal d'archéologie de Neuchâtel, coll. « Archéologie neuchâteloise » (no 39), , 203 p. (ISBN978-2-940347-35-3).
↑« La tène », sur archeologie.culture.gouv.fr (consulté le )
↑Fabienne Olmer, Les amphores en Bourgogne. Contribution à l'histoire économique de la région dans l'Antiquité, depuis La Tène finale jusqu'au Haut-Empire, vol. 1 (thèse de doctorat en archéologie), Dijon, (lire en ligne), p. 10.
↑Christine Lorre et Veronica Cicolani, Golasecca : du commerce et des hommes à l'âge du fer (VIIIe – Ve siècle av. J.-C.), Paris, Réunion des musées nationaux, , 176 p. (ISBN978-2-7118-5675-6), p. 164.
↑Brigitte Postel, « Golasecca : Celtes du nord de l'Italie », Archéologia, no 476, , p. 58-65 (ISSN0570-6270).
↑Patrice Brun, Princes et princesses de la Celtique : le premier âge du fer en Europe (850-450 av. J.-C.), Paris, Errance, coll. « Hespérides », , 216 p. (ISBN2-903442-46-0), p. 27 ; 218-219.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
[Brunaux & Lambot 1988] Jean-Louis Brunaux et Bernard Lambot, Guerre et armement chez les Gaulois : 450-52 av. J.-C., Paris, Errance, coll. « Hespérides », , 219 p. (ISBN978-2-903442-62-0)
[Buchsenschutz et al. 2015] Olivier Buchsenschutz (dir.), L'Europe celtique à l'âge du fer : VIIIe – Ier siècles, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Nouvelle Clio », , 437 p. (ISBN978-2-13-057756-0)
[Grenier 1970] Albert Grenier, Les Gaulois, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », , 365 p. (ISBN2-228-88838-9)
[Guelliot 1915] O. Guelliot, « Marnien ou La Tène I ? », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 12, no 4, , p. 226-238 (lire en ligne)
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Matthieu Poux, Religion et société à l'âge du Fer : systèmes (en)clos et logiques rituelles, dans : C. Haselgrove (dir), Les mutations de la fin de l'âge du Fer, Glux-en-Glenne, Bibracte , Centre archéologique européen,2006, p.181-200.
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