Né sous le nom de Jules Blumenfeld dans une famille d'intellectuels juifs bucarestois, l'artiste se fait connaître sous le surnom de Perahim dès 1930[2]. Tout d'abord élève des peintres Nicolae Vermont et Costin Petrescu, professeurs à l'École des beaux-arts de Bucarest, il s'écarte de leur enseignement et devient, dès 1930, une des figures marquantes de l’avant-garde artistique roumaine. Il collabore à la revue Unu (1930-1932), notamment avec Victor Brauner et Jacques Herold. En 1930 toujours, il publie avec des jeunes poètes — dont Ghérasim Luca — la revue non conformiste Alge qui paraîtra sous différents formats entre 1930 et 1933 et qui leur valut quelques semaines de prison pour atteinte à la morale. En 1932, il expose à Bucarest des toiles qu'on considère dès l'époque comme appartenant au surréalisme (Rêve d’une jeune fille, Un cyprès traverse la mer, Équilibre parfait, etc.).
En 1936, l'exposition de peintures et de dessins ouverte à Bucarest s'impose par la violence d'images qui, dans une vision fantastique, s'érigent contre la montée des agents répressifs de la pensée (Profils d'une morale, Jeu de Beau-Père, etc.) et le fonctionnement du pouvoir institué (Conseil d'administration, Lumpenprolétariat et aristocratie, Main-d’œuvre, etc.).
En 1938, à Prague, Perahim expose dans le foyer du théâtre novateur de A. F. Burian fréquenté par les artistes et les écrivains de l'avant-garde tchèque ; il rencontre l’artiste dadaïste allemand John Heartfield, connu pour ses photomontages anti-nazis. Sans pouvoir se rendre à Paris, où Victor Brauner et Ghérasim Luca se trouvaient déjà, il est contraint de rentrer en Roumanie en pleine ascension de l'extrême droite violemment antisémite.
Menacé et poursuivi par la Garde de fer, tant pour ses opinions de gauche que pour les dessins corrosifs publiés dans la presse démocratique (Cuvantul liber, Reporter, etc.), il se réfugie fin 1940 en Bessarabie (Moldavie) devenue une république soviétique. En , après l'attaque de l'armée allemande, il s'enfuit avec la population civile, se soumet au travail obligatoire et exerce des métiers de fortune (ouvrier, paysan dans un kolkhoze, etc.). Il traverse à pied le Caucase et arrive en Arménie où il gagne sa vie en créant des décors et costumes pour un théâtre réservé aux blessés de guerre à Kenaker, près d'Erevan. Mobilisé en à Moscou pour devenir illustrateur et présentateur graphique de la revue des Roumains antifascistesGraiul Nou, Perahim rentre en Roumanie au moment où celle-ci déclare la guerre à l'Axe.
Pendant la période stalinienne, au cours des années 1950, Perahim produit des images impersonnelles conformes aux impératifs d'un art dirigé dans l'esthétique du réalisme socialiste. Il renonce à la peinture personnelle pour subir l'assujettissement alimentaire à des thèmes imposés. Néanmoins, il s'engage activement dans le développement d'un « art pour le forum » : décorations murales en mosaïque (maison de la culture à Mangalia en Roumanie, etc.), cycles de gravures (ex. : Proverbes et dictons en 1957), illustrations de livres pour la littérature roumaine et universelle. Seule la réalisation de décors de théâtre (Le Bain de Vladimir Maïakovski, 1957 ; Le marteau sans maître de Pierre Boulez, 1958) et la création de formes et décors céramique (exposition à Bucarest en 1965) lui permettent, au cours de ces années, un retour à des recherches expressives, loin du réalisme socialiste.
Son art est reconnu dans son pays (prix d'État, titre honorifique de maître émérite de l'art) et dans les milieux internationaux (médaille d'or de la Foire du livre à Leipzig, médaille d'argent à la Triennale de Milan, lauréat du Festival international du théâtre d'Épidaure en Grèce, membre d'honneur de l'Académie du dessin de Florence). Entre 1948 et 1956, il exerce comme professeur d'arts graphiques et de scénographie à l'Institut d'arts plastiques de Bucarest. Il est ensuite rédacteur en chef de la revue Arta Plastica de 1956 à 1964. À partir de cette date, Perahim recommence à peindre et recourt à des exercices propres à « forcer l'inspiration » (Max Ernst) : décalcomanies, frottages, collages, etc. exposés en partie à Paris en 1968, ville où il s'établit définitivement en 1969.
Pendant ces 40 années de vie en France, la peinture et les dessins de l'artiste présentent un univers d'enchantement. Des voyages en Afrique australe laissent des traces profondes dans sa création, empreinte d'une intense vitalité issue de la « communication universelle, d'une hybridation de toutes les formes de vie dans une sensualité généreuse qui commande et dirige la symbiose de tous les éléments[3] ». Le monde de Perahim reste ouvert à toutes les fantaisies combinatoires : un bestiaire fabuleux réunissant l'animal et le végétal, le mécanique et le vivant ; des paysages illusionnistes de grande dimension traversés par des formes surprenantes et incantatoires.
[Biro et Passeron 1982] Adam Biro et René Passeron, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Office du livre/Presses universitaires de France, (ISBN2-13-037280-5), p. 325-326
Lucian Boz, « Deux peintres modernes : Perahim et Victor Brauner », Vremea, .
Petr Král, Marina Vanci, Francis Hofstein, Sebastian Reichmann, Dan Stanciu, « Jules Perahim : un parcours », Pleine Marge, no 46, , p. 111-136 (ISSN1255-1619) [lire en ligne]).