Après l'album ¿Qué tal? enregistré en public en 1991, et dans lequel Juliette s'accompagnait elle-même au piano ; la chanteuse donne un récital au théâtre de Dix Heures à Paris dès l'année suivante[2]. La musicienne entame ensuite une collaboration avec le pianiste, compositeur et arrangeur Didier Goret[3], dont elle explique qu'il lui a énormément appris en matière d'arrangements[4]. C'est avec l'aide de ce dernier que la chanteuse commence à composer les nouveaux morceaux de son premier album en studio, intitulé Irrésistible[2][5].
Pour les paroles, Juliette a travaillé avec l'auteur et cinéaste Pierre Philippe. Dans les années 1980, elle avait essayé en vain de le contacter[6], mais c'est après avoir fait la première partie de Jean Guidoni en 1990[7] que sa productrice Mysiane Alès finira par concrétiser leur rencontre[6]. Très admirative des chansons que le parolier avait écrites pour Guidoni[8],[10], elle ambitionne d'aller aussi loin que ce dernier en matière de provocation théâtrale et d'absence de compromis[9].
Caractéristiques artistiques
La chanson qui donne son titre à l'album est également la toute première que le parolier lui a écrite[11]. Irrésistible nous montre une femme qui se considère comme sublime mais qui ne parvient pas à provoquer le désir de son partenaire. Celle-ci finira par l'accabler de reproches dans le dernier couplet, en lui lançant finalement : « Ce qu'il te faut / C'est un cageot / Une chèvre ou / Son légionnaire / Un simple trou / Ou bien ta mère »[8],[12]. Moins théâtrale, Le rosier jaune retrouve le ton très intimiste de Sur l'oreiller, une chanson qui figurait déjà sur l'album ¿Qué tal? et qui se voit ici orchestrée par Didier Goret[13].
Beaucoup plus inquiétante, La baraque aux innocents est marquée par le style onirique de Federico Fellini, et s'inspire de la nouvelle L'Incroyable et triste histoire de la candide Eréndira et de sa grand-mère diabolique de Gabriel García Márquez, l'un des écrivains favoris de la chanteuse[14]. Ses paroles décrivent le passage d'un bordel ambulant composé de « nains fardés » et de « singes grimés en gosses », qui attisent les pires perversions sexuelles des sédentaires à qui ils rendent visite[13],[16]. La musique de La baraque aux innocents reprend celle du Danseur de corde, morceau qui figurait sur la toute première cassette autoproduite de la chanteuse, publiée en 1987[17].
De style plus léger, Monocle et col dur fait référence à l'ancien club lesbienLe Monocle, situé dans le Montparnasse des années 1930[18],[20]. D'inspiration comique, Les lanciers du Bengale est une reprise orchestrée d'une chanson qui figurait également sur la cassette autoproduite citée précédemment[13],[21],[5], tandis que Jeu de massacre ressuscite une vieille « chanson réaliste » écrite par Henri-Georges Clouzot (qui avait débuté en tant qu'auteur de chansons), et que Marianne Oswald avait créée en 1934[22],[5].
Le titre suivant, Petits métiers, reprend une thématique déjà abordée par Jean Guidoni au cours de son premier spectacle au Théâtre en Rond en novembre 1980, lorsqu'il faisait la présentation de sa chanson L'écorcheur d'enfants (que Pierre Philippe lui avait écrite d'après le texte Les petits métiers de Tony Duvert[23],[24]). Ses paroles dressent une liste plus ou moins fantaisiste des anciens métiers que la modernité a fait disparaître, comme la « loueuse de chaises », l'« aiguiseur de couteaux » ou la plus improbable « fileuse de diarrhée ». L'auteur cite à la toute fin la profession d'« équarrisseur d'enfants », qui fait évidemment écho à la chanson pleine d'humour noir, et au titre presque identique, qui a été citée auparavant[25]. Petits métiers est devenu un véritable « classique » du répertoire de Juliette qui l'a même chanté dans l'émission Bouillon de culture de Bernard Pivot en fin d'année 1993[21],[26]. Inspiré par une scène du film Le Carnaval des âmes[27],[28], et composé à partir d'un thème[29] de Philippe Dubosson (l'un des compositeurs de Jean Guidoni[30]), le discordant Manèges s'inscrit dans un univers de fête foraine très voisin de celui du Jeu de massacre[27]. Quant au vénéneux Poisons, il s'agit d'une reprise orchestrée d'un ancien titre que Juliette chantait déjà à l'époque de ¿Qué tal?[31].
D'une longueur inhabituelle, l'ambitieux Monsieur Vénus est basé sur le roman homonyme de la femme de lettres Rachilde[32]. Ce morceau très opératique n'a pas de refrain et comprend douze quatrains en alexandrins[33]. Monsieur Vénus[34] raconte l'histoire d'amour entre une femme d'apparence « virile » et un homme efféminé qui accepte de se travestir durant leurs ébats sadomasochistes. Surpris par l'un des prétendants de sa maîtresse, le jeune homme est tué lors d'un duel. Embaumé par un taxidermiste, son cadavre est ensuite transformé en poupée sexuelle livrée aux appétits nécrophiles de son amoureuse[35],[36],[38].
↑ a et bLaura Marquez, « Juliette, chanteuse en liberté », FrancoFans, no 61, octobre et novembre 2016, p. 47.
↑La chanteuse a expliqué à la journaliste Laura Marquez qu'elle avait été très marquée par sa découverte de Jean Guidoni, et plus particulièrement par ses albums Crime passionnel et Le rouge et le rose, deux disques entièrement écrits par Pierre Philippe[9].
↑Les paroles particulièrement malsaines et décadentes de La baraque aux innocents déplaisent cependant à la chanteuse qui indique que : « les turpitudes sexuelles comme ça, ça ne me plaît pas trop. Je suis assez prude, au fond. »[15]
↑Lisa Sjögren, Où L'interversion est le Seul Régime Admis : La distribution des rôles dans "Monsieur Vénus" chez Rachilde et Pierre Philippe, Editions de l'université de Göteborg, , 25 p. (lire en ligne).
↑« Critique du disque "Irrésistible" dans la sélection de la semaine des disques de chanson) », Le Monde, (lire en ligne).
↑Elle obtiendra ce prix à nouveau en 2002 avec l'album Le Festin de Juliette, puis recevra le Prix d'honneur de la chanson en 2016[43].
Annexes
Bibliographie
Jean Viau, Guidoni & Juliette : Crimes féminines, Paris, Les Belles Lettres, , 208 p. (ISBN2-251-44255-3).
Juliette Noureddine, Juliette : Mensonges et autres confidences, Paris, Textuel, , 120 p. (ISBN978-2845971547).
Gilles Verlant (dir.), Jean-Dominique Brierre, Dominique Duforest et Christian Eudeline, L'odyssée de la chanson française, Paris, Hors Collection, , 464 p. (ISBN978-2258070875).
Yves Borowice (dir.), Les femmes de la chanson : deux cents portraits de 1850 à nos jours, Paris, Textuel, , 272 p. (ISBN9782845973411).
Serge Dillaz, « Juliette, chanteuse fin de siècle », Chorus, no 23, (ISSN1241-7076).
Daniel Pantchenko, « Juliette, l'irrésistible », Chorus, no 47, (ISSN1241-7076).