Muhammad Ibn Tumart (en Tachelhit : ⵎⵓⵃⵎⵎⴷ ⵓ ⵜⵓⵎⵔⵜ), ou plus communément Ibn Toumert (en Tachelhit : ⵓ ⵜⵓⵎⵔⵜ Ou-Toumert), né à Igiliz-des-Hargha (Igiliz n Warghen en Tachelhit)[3] petit village de l'Anti-Atlas vers 1080[4],[5], et mort en 1130 à Tinmel (Haut Atlas), est le fondateur de l'État Almohade[6] et un réformateur Chleuhmusulman. Il meurt avant d'avoir pu réaliser son projet de prendre Marrakech aux Almoravides.
Ibn Toumert naquit dans un petit village nommé Igiliz n Warghen (Igiliz-des-Hargha en français) dans la tribu des Hargha (Arghen en Tachelhit) de l'Anti-Atlas dans la région de Souss, dans laquelle il appartenait au groupe des Iserghin[8], mot qui veut dire noble (Chorfa) en Tachelhit. D'origine Chleuhmasmouda[9], Ibn Toumert se fit remarquer par son zèle religieux, sa diligence et son attachement à la prière, d'où son surnom de jeunesse « Assafou », le Flambeau.
Cordoue
En 1106, il s'installe à Cordoue, qui à l'époque était le centre culturel et religieux le plus important du territoire Almoravide. Il y fut influencé par les enseignement d'Abu Bakr al-Turtushi, philosophe et politologue malékiteacharite andalou[10].
Il s'y serait aussi initié aux écrits d'Ibn Hazm, théologien cordouan mort en 1064. Il exprime une aversion pour l'interprétation personnelle (ra'īy) et ne se réfère qu'à la tradition (Sunna) et au consensus (Ijmâ')[réf. nécessaire]
Bagdad
Par la suite, Ibn Tumart est allé en Orient pour approfondir ses études et accomplir le Hajj. À Bagdad, il a été élève d'al-Ghazali et fut influencé par ses idées. Mais cela contredit ce que d'autres historiens comme Ibn Khallikan affirment, les historiens modernes soutiennent également qu'on ne sait pas si cette rencontre s'est réellement produite[11].
De Lacy O'leary déclare qu'à Bagdad, il s'est attaché à l'école de théologie ash'arite et à l'école de jurisprudence zahirite, mais avec le credo d'Ibn Hazm qui différait considérablement des premiers Zahirites par son rejet du taqlid (tradition) et l'utilisation de la raison. Cependant, Abdullah Yavuz, soutient ce qui suit :
"Il a composé sa propre identité sectaire en combinant la vision du fiqh Maliki et Zahiri, le kalam d'Ash'ariyya et Mu'tazila, l'imamat chiite et le concept du Mahdi, ainsi que certains principes du Kharijisme acquis de sa propre expérience. Son identité sectaire est apparue comme le résultat d'une attitude sélective. Avec l'identité sectaire qu'il a composée, il a gagné un terrain pour promouvoir à la fois sa personnalité revolutionnaire et ses objectifs politiques[12]."
Les hagiographes almohades rapportent qu'Ibn Tumart était en présence d'al-Ghazali lorsque la nouvelle est arrivée que les Almoravides avaient proscrit et brûlé publiquement son dernier ouvrage, Ihya 'Ulum al-Din, ce qui poussa al-Ghazali a lui confier, en tant que natif de ces terres, la mission de redresser voir destituer les Almoravides.
Retour au Maghreb
Selon Abdelwahid al-Marrakushi, sur le chemin du retour, il séjourna quelques jours à Alexandrie. Sa rigueur et ses interventions lui créèrent quelques incidents avec la noblesse locale, ce qui poussa le gouverneur fatimide à l'exiler. Alors il embarqua sur un navire pour l'Ifriqiya, et sur ce dernier, également, Ibn Toumert continua à prêcher, faire des rappels, inciter à la lecture du Coran et y interdit l'alcool en le jetant par dessus bord. Cette dernière action provoqua la colère des marins, ce qui les poussa à le jeter aussi par dessus bord, et le laisser pour mort. Mais il continua à nager derrière le navire pendant une demi-journée entière. Ils furent alors touchés par sa volonté implacable et le sauvèrent, puis il continua le voyage avec eux jusqu'à Mahdia[13].
Il se rendit à Tunis puis à Béjaïa, où sa dialectique et son art d'argumenter (Ilm al-Kalam) qu'il avait acquis en Orient, ne cessait d'attirer les foules et d'attiser la colère des gouverneurs Zirides et Hammadides. Ibn Toumert se plaignait de la présence des femmes en public, de la production de vin et de musique, et de la tolérance envers les berbères chrétiens. Il critiquait même le style vestimentaire des Sanhadjas (Almoravides, Zirides et Hammadides), qui contrôlaient la quasi-totalité du Maghreb, les hommes se voilant le visage et pas leurs femmes. Il s'installait sur les marches des mosquées et des écoles, défiant tous ceux qui s'approchaient pour débattre, remettant en cause tous les juristes et les érudits Malékites.
Béjaia
En 1119 à Mellala, près de Béjaia (Hammadides), accompagné par Abou Hafs Omar al Hintati, ancêtre des Hafsides, il fit la rencontre d'un jeune inconnu, originaire de Nedroma (Almoravides), plein de fougue, pâle, brun, de taille moyenne, avec un grain de beauté sur la joue droite. Cette rencontre se fit pendant un des prêches d'Ibn Toumert. Lorsque l'inconnu entra pour la première fois dans le camp où les prêches avaient lieu, Ibn Toumert prononça le nom du père et du village du jeune homme, ce qui donne à cette rencontre un aspect miraculeux. Il lui demanda où il se dirigeait, il répondit : "Vers l'Orient, pour demander la science !", Ibn Toumert lui répondit : "Nul besoin d'aller jusqu'en Orient, tu viens de trouver réponse à cette demande." Le jeune homme devint un de ses meilleurs disciples et le suivit à Fès. Il s'agit d'Abd-al-Mu'min, qui deviendra son successeur et accomplira l'essentiel des conquêtes au Maghreb occidental, au Maghreb central et en Andalousie[14].
Fès
À Fès, il réaffirme le principe de l'unicité de Dieu (Tawhid) et récuse les anthropothéismes (mujassimah). Sa véritable originalité fut dans la méthode de diffusion de sa doctrine plus que dans son contenu lui-même. Il écrivit des petits opuscules en langue amazighe destinés à ses disciples.
Il réalisa la traduction du Qorʾān en langue amazighe, et son livre aazou ma youtlab (en français : le meilleur qu'on puisse chercher), constitue la référence expliquant la doctrine d'Ibn Toumert.
Marrakech
Puis il se dirigea vers le Sud, errant de ville en ville comme un vagabond, lui et ses compagnons ont dû traverser le Bouregreg à la nage, car ils ne pouvaient pas se permettre le passage en bateau.
Peu de temps après son arrivée à Marrakech (1120), Ibn Toumert aurait recherché avec succès le dirigeant almoravide Ali ibn Yusuf dans une mosquée locale. Lors de cette célèbre rencontre, lorsqu'on lui a ordonné de reconnaître et saluer l'émir, Ibn Toumert aurait répondu "Où est l'émir ?" Je ne vois que des femmes ici !" - une référence insultante au voile de tagelmust porté par les AlmoravidesSanhadjas[15].
C'est alors qu'il se dit mahdi et « imam impeccable »[16], reprenant la tradition chiite de l'infaillibilité à son compte. Il repartit vers l'Atlas (Tinmel) pour diffuser sa propagande dans les tribus qui avaient quelques griefs contre les Almoravides. Il fédéra les tribus sous son autorité dans une organisation d'assemblées pyramidales :
les gens de la Maison (ahl ad-dâr), faite des disciples les plus proches ;
deux conseils : l'un est fait de dix membres, et l'autre fait de cinquante, les deux conseils sont sur le modèle des assemblées de notables des tribus amazighes.
Le Mahdi, considéré comme impeccable et infaillible[réf. nécessaire], exerçait une autorité que nul ne contestait. Les tribus étaient rangées en ordre hiérarchique, les Harghas, celle de Ibn Toumert en premier. La société elle-même était hiérarchisée et la pratique des rites religieux obligatoire. Avec `Abd al-Mû'min, le Mahdi n'hésita pas à des mesures d'épuration exécutant tous les suspects, toute une tribu fut ainsi éliminée car considérée comme peu sûre.[réf. nécessaire]
Les Almoravides attaquent Tinmel où se trouvait Ibn Toumert par crainte d'être eux-mêmes attaqués. Ils sont battus et durent se replier dans les fortifications de Marrakech qui sont alors assiégées. Au cours d'une contre-attaque, les Almoravides réussissent à repousser les assaillants et `Abd al-Mû'min est blessé au cours des combats.
Recherche historique moderne
Des recherches récentes ont proposé que le lieu de naissance de Ibn Toumert aurait pu être la localité d'Igli dans la plaine du Sous, mais la confrontation d'une analyse plus précise de textes historiques avec celle de la topographie du versant nord de l'Anti-Atlas a permis de localiser le site d'Igiliz-des-Hargha sur une éminence le Jebel Igiliz dominant de 500 m le village de Magennoune et le cours à sec de l'assif n' Warghen, à 60 km à l'est-sud-est de Taroudant[17]. Un diagnostic archéologique a confirmé cette hypothèse et des fouilles ont permis de d'analyser le site où Ibn Toumert se réfugia durant trois ans pour échapper à la poursuite des Almoravides de l'an 515 de l'Hégire (1121 AD) à 518, avant de monter s'installer à Tinmel[18]. Ces fouilles permettent de comprendre le contexte historique de la période où Ibn Toumert fut reconnu comme le Mahdi par ses compagnons, événement fondateur du mouvement et de la dynastie des Almohades, et de confronter ces éléments aux textes anciens.
↑Kamal Naït-Zerrad, Lexique berbère et néologie : un essai de traduction partielle du Coran (lire en ligne)
↑ʿAbd al-Wāḥid al-Marrākušī (1185-1250?) Auteur du texte, Histoire des Almohades : d'Abd el- Wâh'id Merrâkechi ; traduite et annotée par E. Fagnan, (lire en ligne)
↑(en) J.F.P. Hopkins, Encyclopaedia of Islam, Second Edition (lire en ligne), « Ibn Tūmart », p. 958
↑Cornell, Vincent J. "Understanding is the mother of ability: Responsibility and action in the Doctrine of Ibn Tūmart." Studia Islamica (1987): 71-103.
↑La notion d'impeccabilité est attribuée aux imams dans la tradition chiite, spécialement le chiisme imamite duodécimain. Elle est associée à la notion d'infaillibilité, ces deux qualités constituant la 'isma (selon Dominique et Janine Sourdel, Dictionnaire historique de l'Islam, éd. Presses Universitaires de France, 1996, (ISBN978-2-1304-7320-6), page 411.
↑Jean-Pierre Van Staevel, Abdallah Fili, « A propos de la localisation de Igliz-des-Hargha, le Hisn du Mahdi Ibn Toumart », Al-Qantara XXVII 1, , p 155-197 (ISSN0211-3589, lire en ligne)
↑Ahmed S. Ettahiri, Abdallah Fili, Jean-Pierre Van Staevel, « Nouvelles recherches archéologiques sur les origines de l'empire almohade au Maroc: les fouilles d'Igiliz. », Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, , p 1109-1142 (lire en ligne)