Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine, alors sous mandat britannique, d'« un foyer national pour le peuple juif » (traduction de « a national home for the Jewish people »). Cette déclaration est considérée comme une des premières étapes dans la création de l'État d'Israël. La lettre précise que ce projet ne devra pas porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives présentes sur le territoire, ni aux droits ou au statut politique des Juifs dans les autres pays..
En France, le ministère des affaires étrangères avait adopté une position similaire en juin 1917 dans une lettre(en) de Jules Cambon à Nahum Sokolow.
Le front oriental durant la Première Guerre mondiale
À l'aube de la Première Guerre mondiale, la Palestine fait partie de l'Empire ottoman, qui a déjà perdu au cours du XIXe siècle la plupart de ses territoires européens ainsi que le Maghreb jusqu´à la frontière du royaume Chérifien du Maroc. Quoique soutenue militairement par l'Allemagne, qui mise sur l'achèvement du chemin de fer Berlin-Bagdad, la faiblesse des Ottomans aiguise les convoitises des Britanniques et des Français, qui souhaitent remodeler la région après la guerre et négocient les accords Sykes-Picot (signés en mai 1916).
Avant la guerre, une partie du monde juif s'est politiquement structurée avec l'Organisation sioniste mondiale, d'abord dirigée par le journaliste austro-hongroisTheodor Herzl, puis en Angleterre par le scientifique d'origine russe Chaim Weizmann. Dès 1903 Herzl avait obtenu une lettre officielle du Foreign Office déclarant que la Grande-Bretagne acceptait un accord sur la création d'une colonie juive sous administration juive, document que Yoram Hazony juge « surpassant même la Déclaration Balfour[1] ».
Cette diplomatie fut reprise durant la guerre pour faire avancer l'idée de la création d'un « home » juif au Proche-Orient[2]. Chaim Weizmann, qui avait trouvé au profit de l'Angleterre un procédé pour synthétiser l'acétone nécessaire à la fabrication de la dynamite de façon beaucoup moins chère, s'y emploie en 1917, au moment où les Alliés désespéraient de gagner la guerre. L'intervention des États-Unis devenait nécessaire, quoique l'opinion américaine y fût peu favorable. L'influence juive était disputée tant par les Alliés que par l'Allemagne[3],[4], et même par les Turcs[3].
Un pacte avec le mouvement sioniste s'avérait utile, ainsi que l'explique Churchill :
« L'année 1917 marqua peut-être la période la plus maussade et la plus sombre de la guerre. [...] C'était l'époque où les éléments les plus résolus du gouvernement britannique cherchaient à enrôler toute influence capable de garder unies à la tâche les nations alliées. Le mouvement sioniste, dans le monde entier, était activement proallié, et, en particulier, pro-britannique. Ce mouvement n'était nulle part plus visible qu'aux États-Unis et nos espoirs reposaient dans une large mesure sur la part active que prendraient les États-Unis dans la lutte sanglante qui s'annonçait. Les talentueux dirigeants du mouvement sioniste et ses nombreuses ramifications exercèrent une influence appréciable sur l'opinion américaine et cette influence [...] était constamment en notre faveur. [...] Les Juifs (sionistes aussi bien que non sionistes) [...] ont œuvré pour le succès de la Grande-Bretagne et pour une étroite coopération entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. La Déclaration Balfour ne doit donc pas être regardée comme une promesse faite pour des motifs sentimentaux, c'était une mesure pratique prise dans l'intérêt d'une cause commune à un moment où cette cause ne pouvait se permettre de négliger aucun facteur d'assistance matérielle ou morale[5]. »
La Déclaration Balfour fut ainsi faite pour assurer aux Alliés l'appui de l'opinion juive mondiale quand en 1917 la situation militaire était parvenue à une phase critique[6]. Aussi fut-elle avalisée par tous les Alliés[7] et même, en France, antérieurement, par la Déclaration Cambon(en) remise à Nahum Sokolow (4 juin 1917), qui marquait que le gouvernement français « ne peut éprouver que de la sympathie pour votre cause (et pour) la reconnaissance, par la protection des puissances alliées, de la nationalité juive, sur cette terre dont le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles[8] ». Après la publication de la Déclaration Balfour, une note insérée dans le journal Le Temps en février 1918 officialise qu'à M. Sokolov a été « confirmé que l’entente est complète entre les gouvernements français et britannique en ce qui concerne la question d’un établissement juif en Palestine[6]. » ; ce que le ministre français des Affaires étrangères Stephen Pichon confirme encore par une seconde lettre adressée à Sokolov[6].
Rédaction et publication de la déclaration
Lloyd George, nouveau premier ministre britannique depuis décembre 1916, résume ainsi l'origine de la Déclaration Balfour :
« Quand nos difficultés prirent fin grâce au génie du Dr Weizmann [qui avait facilité la production de la dynamite], je lui dis : "Vous avez rendu un grand service à l'État et je dois vous recommander à sa majesté pour un honneur". Il répondit : "Je ne veux rien pour moi-même (mais) je voudrais que vous fassiez quelque chose pour mon peuple". Il expliqua alors son désir du rapatriement des Juifs sur la terre sacrée qu'ils ont rendu célèbre. Ce fut la source et l'origine de la fameuse déclaration sur le National Home pour les Juifs en Palestine[9]. »
En fait dès février 1917 Mark Sykes, colonel et député spécialiste du Moyen-Orient, entame des négociations avec les leaders sionistes en Angleterre. Puis en juin, le ministre des Affaires étrangères, Lord Balfour reçoit Lord Rothschild, membre éminent de la communauté juive britannique soutenant le mouvement sioniste, ainsi que Chaim Weizmann, et leur demande de rédiger une proposition de déclaration concernant l'appui du gouvernement britannique à l'immigration juive en Palestine. Plusieurs propositions sont rédigées et une synthèse est approuvée le par le cabinet de guerre[10], nonobstant l'opposition de Curzon et de Montagu[11].
La déclaration prend la forme d'une lettre adressée à Lord Rothschild le 2 novembre 1917 et publiée dans le Times de Londres le , par un encart long de 67 mots en anglais[12], intitulé « Palestine for the Jews. Official Sympathy » :
« Cher Lord Rothschild, J'ai le grand plaisir de vous transmettre, de la part du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante de sympathie avec les aspirations juives sionistes, qui a été soumise au cabinet et approuvée par lui. "Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays." Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste[13]. »
Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine d'un foyer national juif. Cette déclaration est considérée comme une des premières étapes dans la création de l'État d'Israël. La promesse qu'elle contient est apparemment rapidement mise en œuvre, dès la conférence de Paris (1919), préalable à la conférence de San Remo () et au traité de Sèvres (), la délégation sioniste à ces deux conférences ayant approuvé que le mandat de la Palestine soit confié au Royaume-Uni.
Réactions arabes
L'hostilité arabe au projet sioniste, que la Déclaration Balfour soutenait, n'est pas d'abord unanime. Antérieurement, des intellectuels arabes se félicitaient de l'arrivée de Juifs, pensant qu'ils apportaient la main-d'œuvre, les techniques et le capital nécessaire au développement de la Palestine, voire un appui contre le pouvoir turc honni[16]. Da'ud Barakat, rédacteur du journal égyptien Al Ahram, écrivait : « Il est absolument nécessaire qu'une entente soit réalisée entre les sionistes et les Arabes, car la guerre des mots ne peut faire que du mal. Le pays a besoin des sionistes : l'argent qu'ils apporteront, leurs connaissances et leur intelligence, ainsi que l’ardeur au travail qui les caractérise contribueront sans aucun doute à la renaissance du pays.[16] » Envoyé par le mouvement sioniste pour mener des négociations avec notamment des acteurs du Congrès général arabe, Sami Hochberg, éditeur d'un quotidien[17] de Constantinople, parvient à un accord verbal avec le Parti de la Décentralisation du Caire et le Comité de la Réforme de Salim Ali Salam à Beyrouth[18]. Il rapporte que sur une vingtaine de personnalités arabes rencontrées, deux seulement se déclaraient opposées à toute immigration juive[19].
Durant la Première Guerre mondiale, Kalvarisky témoigne de fréquentes entraides entre Juifs et Arabes, qui n'étaient guère mieux traités par les Turcs[20]. Après la Déclaration Balfour, le chérif de La Mecque Hussein publie dans un journal de La Mecque que « ceux qui sont assez profonds ... savaient que le pays [la Palestine] était pour ses premiers fils, en dépit de leurs différences, une patrie aimée et sacrée. Le retour de ces exilés dans leur pays s'avérera, matériellement et spirituellement, une école pratique pour leurs voisins qui sont avec eux dans les champs, les fabriques, les commerces, et en toute chose liée au travail et au labeur »[21]. À Jérusalem, le mufti Kamil al-Husayni(en) participa à la pose de la première pierre de l'université hébraïque au mont Scopus[22].
Après la guerre, durant la conférence de la paix de Paris une négociation directe sous l'égide de T. E. Lawrence a lieu entre Chaim Weizmann, président du Comité sioniste, et Fayçal, fils du chérif Hussein et délégué arabe à la Conférence. Cette négociation aboutit à la signature de l'Accord Fayçal-Weizmann de 1919. Cet accord définit l'État arabe et la Palestine comme deux territoires pour l'une et l'autre partie, leurs frontières devant être rapidement définies par une commission bipartie, les provisions de la Déclaration Balfour mise en œuvre en Palestine, y compris une immigration juive sur une grande échelle, les sanctuaires musulmans restant sous contrôle musulman, etc.[23],[24]. Cet accord ne fut jamais appliqué. Les représentants arabes l'ont rejeté[24], officiellement parce qu'il ne leur fut pas permis de créer le grand État arabe qu'ils avaient souhaité.
Quant aux chefs religieux, ils annoncent dès la publication de la Déclaration Balfour que « les musulmans du monde entier ne pourront jamais accepter que Jérusalem soit un jour aux mains des Juifs. Peu à peu une opposition s’organisera chez les musulmans et un jour on verra de nouvelles croisades mais musulmanes contre les Juifs.[26] »
Mise en pratique par la Grande-Bretagne
Les sionistes voyaient dans l'Angleterre leur meilleur allié pour leur projet. Ils ont demandé et obtenu que le mandat sur la Palestine soit attribué à la Grande-Bretagne pour que la Déclaration Balfour y soit implémentée. Cependant, les actes de l'administration mandataire démentent les promesses. Six semaines après la Déclaration Balfour, le général Allenby pénétrant en Palestine déclare : « La Palestine ne sera ni juive, ni arabe, elle sera anglaise[27] ». Lorsqu'il prend Jérusalem, pour écarter les prétentions françaises il impose le régime militaire, et à aucun moment il n'est question de sionisme et de déclaration Balfour[26].
Lorsque éclate le premier pogrom anti-juifs en 1920, le gouverneur anglais Ronald Storrs fait arrêter et condamner les défenseurs juifs[28] tandis que la plupart des émeutiers arabes ne reçoivent que de légères peines. Son successeur, Herbert Samuel (dont le mémorandum de 1915 recommandait l'annexion de la Palestine par la Grande-Bretagne), recommande l'arrêt de l'immigration juive[28],[29] et fait nommer grand mufti le principal organisateur du pogrom, Amin al-Husseini[28]. Dans les années 1930, trois « Livres blancs » visent à limiter et limitent effectivement drastiquement l'immigration juive (en 1939, lors de la montée des persécutions nazies, 75 000 personnes permises seulement sur 5 ans)[30] ainsi que l'autonomie promise[31].
Meinertzhagen (officier supérieur envoyé par le Foreign Office comme conseiller politique auprès du général Allenby) note dans son journal que l'administration anglaise « devint désespérément infectée par des idées anti-sionistes et pro-arabes[32] ... dès mon arrivée j'ai vu que toutes les mains travaillaient contre le sionisme, certains ouvertement, d'autres clandestinement[33] ... L'atmosphère du Colonial Office [à Londres] est définitivement judéophobe[34] ».
Symbole
La Déclaration Balfour est une date marquante pour le mouvement sioniste, et reste emblématique pour Israël.
Dès novembre 1918, une parade célèbre son premier anniversaire à Jérusalem[35].
Marianne A. Rhett, The Global History of the Balfour Declaration : Declared Nation, Routledge, coll. « Studies in Modern History », , 168 p. (ISBN9781317312765, lire en ligne).
Notes et références
↑Hazony (2007), p. 180 : « Lord Landsdowne est prêt à envisager favorablement ... un projet dont les caractéristiques principales sont l'octroi d'un vaste territoire, la nomination d'un responsable juif à la tête de l'administration (ayant) carte blanche en matière d'administration municipale, religieuse et purement intérieure » (voir lettre de Sir Clement Hill (en) à Leopold Greenberg (en), 14 août 1903. Repris in Die Welt, 29 août 1903)..
↑Laurens, 1999, « une campagne de presse en Allemagne demandant que La Porte accorde une autonomie juive en Palestine sous souveraineté ottomane afin que les empires centraux puissent acquérir le soutien du judaïsme mondial ».
↑« Churchill, Author of 1922 White Paper, Takes Issue with Passfield », Jewish Telegraphic Agency, en ligne.
↑Yohanan Manor, Paris-Londres-Jérusalem : les deux déclarations de 1917, Outre-Terre, 2004/4, p. 353-354, contient le texte de la déclaration (lire en ligne). Fac-similé de la lettre sur balfourproject.org.
↑An Arab‐Zionist entente, p. 246 : engagement du Comité du Caire à contrer la propagande anti-juive, et le journal de Hochberg avec ses relais en Allemagne à appuyer la cause arabe.
↑Central Zionist Archives, Z3/114, S. Hochberg, 17-05-1913.