Un bief ou bisse, en ancien français biez, est un canal d'irrigation par abissage, ou d’alimentation de moulin à eau, creusé dans la terre et le roc ou fait de planches de bois soutenues par des poutres fixées à flanc de montagne et servant à conduire l'eau des torrents dans les vallées pour l'irrigation (prés, champs, vignobles, vergers, jardins, etc.)[1], ou pour un usage moteur.
Le mot est attesté pour la première fois sous la forme bied vers 1135 au sens de « lit d'un cours d'eau », ensuite sous une forme bié en 1248 « canal qui amène l'eau à la roue d'un moulin ». La forme bief avec F [f] n'est pas relevée avant le XVIIe siècle, mais ne s'impose réellement qu'au XXe siècle. Une variante du même étymon : biez (attestée dès 1155 chez Wace)[2], est mentionnée en 1834 au sens d'« intervalle entre deux écluses » dans un canal à écluses. Selon le FEW repris par P.-Y. Lambert et P. Gastal[3], le mot remonte au gaulois *bedu-, "fossé, canal" que l'on retrouve dans les autres langues celtiques comme le gallois bedd « fosse, tombe », le breton bez idem, cf. bez-red, cimetière ; de l'indo-européen*bhedh. Cf. latin fodiō « je creuse » (cf. français fosse, fossé). L'occitanbesal et sa variante beal ont la même étymologie[4],[5].
Histoire des biefs ou bisses d'irrigation ou des moulins
Les biefs étaient des petits canaux chargés d'amener l'eau aux roues à aubes ou aux turbines de moulins, de scieries ou d'usines de tissage, évoquant parfois les canaux construits par les castors pour tirer les branches et troncs qu'ils coupent jusqu'à leur étang ou cours d'eau. Les biefs permettaient également d'irriguer des prés et prairies. On en trouve beaucoup dans le massif du Pilat où les nombreux cours d'eau se prêtent volontiers à l'utilisation de la force de l'eau. Depuis 1985, des volontaires, puis en 1999, l'association des biefs du Pilat démontrent leur intérêt général pour recharger les réserves d'eau souterraine et réguler les débits de cours d'eau.
Le bisse est un canal à pente faible utilisant la gravité pour acheminer l'eau en un lieu précis. Encore aujourd'hui, notamment en Valais, en Haute Maurienne ou en Vallée d'Aoste de nombreux bisses construits entre le XIVe siècle et le XIXe siècle sont toujours en activité ou ont été récemment remis en état. Ils ont deux fonctions, l'une est de canaliser l'eau s'écoulant des montagnes vers les cultures et les vignes, l'autre touristique. Pour ce deuxième aspect, les propriétaires de bisses doivent entretenir ces constructions faites en bois, en pierre ou en métal, qui font partie intégrante du paysage valaisan, d'où le métier de gardien de bisse.
En Savoie, les biefs sont moins valorisés, et seules quelques hautes vallées alpines, qui comme en Valais connaissent un climat sec, ont encore recours à ces canaux d'irrigations qui mettent à profit l'eau des glaciers.
En Ardenne où l'on pratiquait l'abissage dans un but de fertilisation et de réchauffement du sol, les bisses ont été abandonnés, mais le relief créé par les canaux s'observe encore sur le terrain.
Une organisation institutionnelle vieille de sept siècles
L'infrastructure technique se double d'une organisation institutionnelle considérée par de nombreux chercheurs comme un modèle de durabilité[7]. La gestion des canaux exige un effort d'organisation des communautés villageoises suisses, où les archers représentent, avant la Réforme protestante, un pouvoir de police concurrent de celui des abbés et seigneurs.
Au moins dès le XIIIe siècle, certaines communautés creusent des canaux à faible pente qui permettent le transport de l'eau des cours d'eau en direction des secteurs cultivés. En Valais central, ces canaux sont appelés « bisses ». En Haut-Valais, germanophone, on parle généralement de « Suonen », alors que dans certaines parties du Bas-Valais, francophone, on utilise plutôt le terme de « raye ». En Vallée d'Aoste, historiquement francophone, le terme employé est "ru". Leur construction était destinée à assurer l'irrigation des prairies pour l'obtention du fourrage nécessaire à l'élevage des bovins. Certains de ces ouvrages sont spectaculaires et enjambent des parois vertigineuses.
Pour le XVe siècle en particulier, de nombreux documents concernant l'irrigation sommeillent dans les archives des communes valaisannes. Parmi ces documents, on trouve de nombreux statuts et règlements d'associations responsables des bisses et de leur gestion[8]. Les bisses constituent aujourd'hui un atout touristique très utilisé par les communautés montagnardes suisses.
Section d'un ruisseau ou torrent comprise entre deux chutes ou deux rapides successifs ; par extension, certains ruisseaux comportant ou ayant comporté des barrages (pour installation de moulins), sont dénommés biefs.
Canal dérivant l'eau d'une rivière ou d'un ruisseau vers une roue hydraulique[11].
↑ « Dictionnaire suisse romand », les Éditions Zoé 1971
↑Albert Dauzat, Henri Mitterand, Jean Dubois, Larousse étymologique, Librairie Larousse 1971. p. 86.
↑Walther von Wartburg : Franzözisches etymologisches Wörterbuch 1, 313 a - Pierre-Yves Lambert : La langue gauloise, éd. Errance 1994. p. 188 - Pierre Gastal : Sous le français, le gaulois, éd. Le Sureau 2002, p. 65.
(en) Emily S. Bernhardt, Elizabeth B. Sudduth, Margaret A. Palmer et J. David Allan, « Restoring Rivers One Reach at a Time: Results from a Survey of U.S. River Restoration Practitioners », Restoration Ecology, vol. 15, no 3, , p. 482–493 (ISSN1526-100X, DOI10.1111/j.1526-100X.2007.00244.x, lire en ligne)
(en) William Meisenbach, Helle Tychsen, Christina Siu et Katherine Baker, « Failure of Reach-Scale Restoration to Improve Biotic Integrity in a Mid-Atlantic Stream » [« Échec de la restauration à l'échelle de biefs pour l'amélioration de l'intégrité écologique de cours d'eau de la zone atlantique moyenne »], Environment and Pollution, Canadian Center of Science and Education, vol. 1, no 2, , p. 124 (ISSN1927-0909, e-ISSN1927-0917, DOI10.5539/ep.v1n2p124, lire en ligne)
P. Luxen, A. Philippe et S. Rouxhet, « Les prairies d’abissage en Ardenne belge. Un patrimoine naturel remarquable à sauvegarder », Fourrages, vol. 203, , p. 231-234 (lire en ligne [PDF], consulté le ).