Bataille de Morgarten

Bataille de Morgarten
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La bataille de Morgarten.
Informations générales
Date
Lieu En bas du col de Morgarten, sur l'actuelle commune d'Oberägeri
Issue Victoire décisive des Confédérés
Belligérants
duché d'Autriche et maison de Habsbourg Confédération des III cantons :
Commandants
Duc Léopold Ier d'Autriche Werner Stauffacher
Forces en présence
~ 8 000 dont ~ 2 000 chevaliers ~ 2 000 hommes de guerre expérimentés, renforcés par bûcherons et débardeurs (préparation de l'embuscade)
Pertes
~ 2 000 dont plusieurs centaines de fuyards noyés dans le lac ou rattrapés par les paysans dans les bois ou sur les prés. ~ 300

Notes

  • Unterwald, timoré par l'enjeu, est absent, une partie de ses forces garde le col de Brunig.
  • Glaris, mis à part ses paysans et forestiers, ne conteste pas l'autorité. Ce qui n'est pas le cas de leur noblesse mercenaire.

Coordonnées 47° 05′ 24″ nord, 8° 37′ 59″ est

La bataille de Morgarten eut lieu le , au sud de Zurich. Là, quelque 1 500 confédérés suisses repoussèrent les 4 000 à 8 000 soldats du duc Léopold Ier d'Autriche, seigneur de Habsbourg[1].

La victoire éclatante permet l'instauration entre les confédérés ou Eidgenossen du pacte de Brunnen, écrit en allemand (alors que le pacte de 1291 était en latin) et lu en public. Cette procédure de débat public, faisant référence à l'allié et lui demandant son accord ou son assentiment, a été préservée au cours des rencontres d'abord diplomatiques, puis au sein de la Diète, une des premières institutions communes actives au XVe siècle[2].

En 1316, Louis de Bavière, devenu empereur, confirme le privilège d'immédiateté aux Confédérés, détenteurs du contrôle de la route du Gothard. Mais le conflit ouvert entre la noble dynastie seigneuriale des Habsbourg et la modeste confédération suisse ne prend apparemment fin qu'au traité de paix de 1318, longuement négocié. Il ouvre une paix bancale, qui laisse place à un conflit larvé où tous les coups, y compris l'élimination physique des dirigeants représentatifs, sont permis[3].

La bataille de Morgarten est devenue légendaire et symbolique car elle a été décrite, plusieurs siècles après, comme une victoire de paysans révoltés contre la noblesse des princes et des chevaliers, et comme une inversion inédite de l'ordre social, où le riche et puissant oppresseur perd insensiblement, et où le peuple travailleur et solidaire gagne à la fin. Ainsi, elle a constitué un prototype de l'histoire médiévale suisse, expliquant inlassablement l'obtention de l'indépendance et la liberté montagnarde par l'union des cantons, face à l'oppression tyrannique de la maison Habsbourg d'Autriche.

Causes de la bataille

Cette bataille apparaît d'abord à l'historien suisse comme la conséquence d'une violente dispute avec l'abbaye territoriale d'Einsiedeln concernant les pâtures de Schwytz, lors de l'estive 1315. Elle est aussi apparemment causée par la tension larvée entre les Habsbourg et ce que l'historien nomme plus tard les Confédérés, tension qui augmente encore lorsqu’un conflit éclate en 1314 entre le duc Louis IV de Bavière et Frédéric le Bel (de Habsbourg, duc d'Autriche), réclamant chacun la couronne. Comme les Confédérés avaient soutenu Louis IV et non pas leur seigneur de droit, les partisans habsbourgeois se servent de ces deux prétextes pour laisser éclater le conflit entre les Schwytzois et les Habsbourg.

Plusieurs tentatives d'arbitrage ne parvinrent pas à calmer le conflit opposant, à propos de droits d'usage dans des alpages et forêts, l'abbaye d'Einsiedeln, dont les Habsbourg détenaient l'avouerie (droit de suzeraineté), et les paysans schwytzois ; ceux-ci furent frappés d'excommunication et, ulcérés, attaquèrent le couvent en foule désordonnée pendant la nuit des Rois de 1314 (Marchenstreit)[4].

Divergences et association d'intérêts

Pourquoi une telle animosité à propos de modestes droits de pâturages ? Le monde paysan des vallées, en particulier des foresteries ou Waldstätten primitives, est au premier chef concerné, mais il est étonnant de trouver un soutien inconditionnel et radical des dirigeants des petites entités marchandes et urbaines, prospères au milieu du XIIIe siècle par leurs gestions des flux commerciaux[5]. Il ne faut pas se laisser abuser par le vocabulaire des entités confédérés des trois cantons et confondre le réseau de bourgs et de bourgeois, qui avait réussi à se faire placer sous l'autorité directe de l'empereur Frédéric II, à partir de l'aménagement des gorges des Schöllenen (entre Göschenen et Andermatt) de 1215 à 1230, amenant l'ouverture du Gothard en 1230[6]. L'opération est double au temps de la prospérité des croisades et des échanges croissants entre Italie et Allemagne rhénane, par ce papier miraculeux, les villes s'assimilent aux pauvres ou modestes gens des foresteries ou Waldleutes, aucun statut politique d'exception désormais ne protège ceux-ci de la rapacité d'expansion bourgeoise, à part la puissante abbaye d'Einsiedeln. Face aux puissants intérêts administratifs de celle-ci, les petites villes jouent l'animation politique et fédèrent les trois cantons sous leur tutelle. Elles recueillent probablement l'approbation papale et un soutien des principales villes italiennes[7].

L'observation géopolitique de l'entité, en grande partie officieuse et créée puisqu'elle doit respecter les droits régaliens de l'abbaye, montre la convergence vers Lucerne et son lac de la vallée de la Reuss (pays d'Uri menant au col du Gothard), des vallées de l'Aa de Sarnen (demi-canton d'Obwald) et l'Aa d'Engelberg (demi-canton de Nidwald), les contrées montueuses de Schwytz, situées entre la Reuss moyenne, le lac de Zurich et les vallées de la Sihl et de la Mauler rejoignant le lac[8].

Rodolphe de Habsbourg, empereur d'Allemagne en 1273, maître de Lucerne et d'une grande partie de l'Alsace du Sud, comprend le rôle trouble de l'association urbaine de Schwytz, de Brunnen, d'Altdorf, de Stans, de Sarnen ostensiblement contre l'intérêt de sa lignée dynastique[9]. Il impose derechef une tutelle, tout en accordant des garanties aux bourgeois imposables qui refusent la justice vénale de ses ministériaux. Pour renflouer sa trésorerie, il fait ostensiblement monter la pression fiscale, alors que les affaires de négoce sont mauvaises. Il fait contrôler par ses ministériaux le val d'Urseren et l'enclave d'Engelberg, pour isoler les possibles récalcitrants. Il rachète la totalité de Lucerne en 1291. Empereur par élection, il agit uniquement en faveur des intérêts politiques évidents de sa dynastie. Dès l'annonce de son agonie le 15 juillet 1291, une rébellion violente des précédents contribuables soumis éclate[10].

La succession impériale, apparemment assurée par l'amoncellement de réserves de paiement aux électeurs soudoyés, avorte. Albert d'Autriche s'incline face à Adolphe de Nassau. Tout à sa joie d'honorer ses soutiens, ennemis déclarés et pourtant sujets de son concurrent malheureux, le nouvel empereur accorde sans trop barguigner sa reconnaissance des chartes à Uri et Schwytz en 1297. Mais Albert, fils de Rodolphe et puissant avoué de l'abbaye d'Einsiedeln, est nommé empereur en 1298. Il faut renégocier et la velléité d'indépendance et de franchise de transport est compromise.

La partie de bras de fer se rejoue entre rébellion et négociation ferme perturbée par la révolte paysanne qui, longtemps inaudible, gronde et se fait entendre par la bouche des ténors bourgeois, solidaires. Mais Albert disparaît, assassiné en 1308. Le vieil empereur Henri VII de Luxembourg lui succède la même année, confirmant illico presto les franchises d'Uri et de Schwytz, tout en les étendant à Unterwald[11]. Sa mort en 1313 ouvre une compétition entre Frédéric le Bel, membre de la lignée Habsbourg, et Louis de Bavière. Le duc Léopold, frère de Frédéric, a décidé d'en finir avec ses sujets bourgeois récalcitrants : il leur ferme le marché de Lucerne en 1314 et entreprend de les châtier. Le Rubicon est franchi, avec la constitution de l'armée de répression.

Mais pourquoi n'est-il point possible de revenir au statu quo ante et à un modus vivendi entre puissants dignitaires et contribuables bourgeois ? Il y a bien une crise multiple, elle a touché le transport et l'économie, elle concerne la vie urbaine et paysanne. Les maîtres du pouvoir veulent résoudre la difficulté en accroissant leur pouvoir et leur hégémonie.

Une crise européenne de l'économie et du transport

L'ouverture des liaisons maritimes entre Gênes et la Flandre a profondément modifié l'économie des échanges et du transport, comme l'atteste la montée en puissance de Bruges, bientôt soutenue par ses fournisseurs et leurs pays[12]. Au début du XIVe siècle, le désenclavement maritime entre la Méditerranée occidentale et les rivages occidentaux de l'Atlantique et de la mer du Nord est une réalité qui bouleverse sur de nombreux plans l'économie et la politique européenne, issue de l'hégémonie franco-flamande stable du XIIe siècle. Le royaume de France, malgré sa puissance et son rayonnement, est une grande victime de cette mutation car elle est un carrefour de routes marchandes. Philippe le Bel fait face durant son règne ; il renfloue les caisses vides de la couronne en spoliant l'ordre du Temple et empêche l'érosion de son prestige en captant la papauté en Avignon et en limitant la montée patrimoniale des puissants seigneurs ou la gestion conservatrice des bourgeoisies opulentes, les deux catégories réinventant une noblesse duale suivant l'exemple italien. Ses trois fils, les derniers Capétiens, doivent régler des disettes et troubles sociaux graves, ainsi qu'une insécurité montante. Une des solutions bourgeoises est caractérisée par une montée des corporatismes, pour répondre aux attentats et violences des seigneurs brigands.

Le monde germanique, victime en outre d'une déliquescence du pouvoir régalien, voit la genèse de la Hanse des villes entre 1280 et 1300, qui essaient d'assurer la sécurité et le monopole des transports. Le coût du fret longue distance continue de baisser grâce aux innovations maritimes qui se multiplient, autant techniques que financières. Les cols alpins gardent encore une dimension régionale cruciale entre mondes germanique et italien, mais désormais, les puissances politiques et financières alpines se battent pour se constituer un monopole. La dynastie Habsbourg originaire de Haute-Alsace et d'Argovie maîtrise la voie tyrolienne et doit assujettir définitivement les autres passes montagnardes alpines, pour conforter une rente déclinante en cas de concurrence. Les villes des vallées suisses stratégiques, qui avaient grappillé autrefois des droits communaux et une semi-autonomie au temps de la prospérité, s'accrochent au foyer de leur richesse passée[13].

Stratégie d'association

Les paysans, divisés par leurs origines[14], restent prudents : ils ont des échanges nécessaires avec les petites villes qui drainent les richesses transportées des cols, mais les maîtres des alpages et des vastes forêts sont d'abord les religieux au nom de l'Empereur. Les baux et contrats que les paysans alémaniques ont passés concernent derechef les seigneurs maîtres des foresteries, notamment, toujours au nom du pouvoir impérial, le temporel de l'abbaye d'Einsiedeln ou l'avoué ou advocatus, en principe protecteur ou défenseur des droits de celle-ci. Ce ne sont pas des combattants, en dépit de la légende tenace qui leur fait manipuler seulement des hallebardes[15].

Mais parfois leurs colères face à des injustices flagrantes peuvent être redoutables. Pour les informer ou attiser leur haine, les petits plaids ou conseils à l'échelle cantonale, à l'origine réservés aux plus pauvres, les résidents des foresteries non accablés par le statut de servage, jouent un rôle non négligeable, d'autant plus que les autorités des villes associées leur font l'honneur d'y participer. Il est probable que, même les officiers nommés par les seigneurs ou responsables élus des foresteries, participent à la rébellion, en 1291 comme en 1314. Dans ce cas extrême, les dirigeants et maîtres politiques des villes unies peuvent compter sur la solidarité de la population. Mais, une fois ce préalable assuré, ils savent d'emblée que la décision de l'affrontement leur revient, les populations paysannes, en dehors de la préparation logistique, ne pourront jouer discrètement qu'un rôle d'espionnage prudent et efficace pour la collecte des faits observés et des mouvements de troupes, ouvertement servir la logistique militaire par leurs fonctions hivernales, par ailleurs rétribuées, de bûcherons, de débardeurs ou de voituriers[16], éventuellement se ruer en foule sur le reliquat d'une armée disloquée, c'est-à-dire des éléments dispersés en débandade. Qui pourra dire, dans cette dernière situation, si les règles de la guerre seront respectées ? Habituellement, les familles paysannes fuient devant l'arrivée des soudards, anticipant les rapines et les brutalités. Mais quand ils mesurent l'infériorité de leurs assaillants, certains d'entre eux se rassemblent pour piéger leurs ennemis et les massacrer.

Bataille

Le frère de Frédéric, Léopold Ier d'Autriche, avait avec lui une armée complète (3 000 à 5 000 hommes armés, un tiers étant des cavaliers). Les chefs peuvent prévoir une attaque surprise contre Schwytz par le sud, aux alentours du lac d'Ägeri et du passage de Morgarten. Ils s’attendent à une victoire totale et aisée sur ces simples roturiers et paysans qui défient les Habsbourg. Mais les Schwytzois guidés par Werner Stauffacher, ayant été prévenus par un réseau d'observation discret des habitants et paysans, attendent de pied ferme l’ennemi en embuscade, à un passage étroit de la route, entre la pente et le lac, près du col de Morgarten[17],[18].

Le rassemblement militaire a lieu à Zoug et l'armée des Habsbourg part la nuit, alors que le ciel est clair et que la lune donne une bonne visibilité. Le chemin le long du lac est un chemin étroit entre le talus et les rives marécageuses du lac d'Ägeri. Elle se dirige ensuite vers un ravin du Figlenfluh en direction de Sattel[19].

À Schafstetten, les Schwytzois se mettent avec leurs seuls alliés, les militaires d'Uri, en embuscade. L'attaque a lieu seulement lorsque la colonne de cavaliers est piégée sur une distance de près de deux kilomètres le long du lac d'Ägeri et dans le ravin après que la tête de colonne se soit arrêtée au barrage de Schafstetten. Du côté des collines, la colonne de cavalerie est arrêtée par des arbres abattus en divers endroits, ainsi que des enchevêtrements de chariots compacts. Un mouvement de repli est entravé par des chutes de corps divers. Le duc Léopold qui était resté prudemment en retrait réussit à s'échapper grâce à la connaissance des lieux de son accompagnateur qui anticipe une déroute sur ce genre d'attaque.

Recevant des pierres de la taille d'un poing violemment projetées et vraisemblablement des rondins légers catapultés ou des troncs massifs roulés en tas, chevaux et hommes sont effrayés puis les cavaliers bardés de fer, restant en selle tout accaparés à calmer leur monture, sont visés en priorité par des jets multiples, puissants et denses de fléchettes d'arbalètes, transperçant parfois les armures des chevaliers, leurs servants à pied ou la piétaille dense recouverts de flèches grossières, parfois à bout bitumineux enflammés. Les rescapés sont enfin attaqués à la hallebarde par des piquiers en formation compacte, minimisant les risques et déchiquetant patiemment les chairs. Les cavaliers, entravés, ne peuvent pas prendre des initiatives collectives. Ils ont peu de place pour leur défense, l'infanterie attaquée est mobile, elle évite les obstacles, court, se reforme, ivre d'en découdre. À ce stade, il n'est nullement évident que la bataille, mal commencée, se termine par une défaite écrasante des Habsbourg.

Au cours de la confusion occasionnée par les cavaliers en déroute et la masse de l'infanterie qui s'avançait toujours, beaucoup furent poussés dans le lac et les marais et furent récupérés et tués. D'autres groupes, plus ou moins isolés en fuite, sont étrillés par les bandes de paysans qui rôdent dans les abords, attirés par la vengeance et désireux, comme il est saison après Toussaint, de « couper du bois ». L'infanterie schwytzoise intervient de manière décisive dans les derniers combats indécis. Mais la connaissance du terrain et l'ardeur des combattants du lieu, qui sont maintenant à égalité numérique, s'imposent à long terme. Il faut éliminer les formations résistantes en tuant homme par homme. Le moral schwytzois, malgré les premières pertes, se regonfle avec les renforts qui affluent. Après plusieurs heures de résistance, les combattants Habsbourg, acculés, tentent de fuir ou se rendent.

Conséquences de la victoire confédérée

Bataille de Morgarten, selon la Chronique illustrée de Tschachtlan (achevée vers 1470).

Ce 15 novembre dans ce lieu aujourd'hui si paisible[20] fut un grand massacre des alliés des Habsbourg qui étaient de provenance de Zoug, Lucerne, Zurich, etc. et qui ne pouvaient se défendre correctement du fait de la grande confusion dans leurs rangs, et parce qu'ils étaient aveuglés par le soleil qui se levait. En effet, l’avant-garde se battait pour rompre les lignes sans avoir l’appui de l’arrière-garde qui s’enfuyait, la confusion étant telle qu’aucun ordre n’était respecté. De plus, il est communément affirmé que les soldats montagnards n’ayant aucun intérêt à faire des prisonniers, ils assommèrent les blessés et les dépouillèrent complètement[21]. Ce qui est plus vraisemblable est que de nombreux cavaliers et soldats, indemnes de tirs d'arbalètes, tentèrent de fuir par le lac mais que la plupart se noyèrent à cause du poids des armures et des troncs et rondins, plus ou moins mobiles, qui s'y étaient amassés dans un désordre instable.

Ces assertions participent concrètement à fonder la réputation barbare et impie des Confédérés, ainsi que leur mépris du combat chevaleresques que les écrivains de Bourgogne propageront. On les considère a contrario comme une force d'infanterie à la fois rude et inventive, composée de féroces et redoutables combattants attaquant au son de la corne d'Uri, respectés des autres pays et disciplinés s'il le faut[22]. Ainsi l'historiographie postérieure s'empare et promeut l'une des rares occasions, au Moyen Âge, où des communautés urbaines et paysannes, solidaires, réussirent à s'émanciper de leur suzerain féodal.

Il est évident que, au contraire des bandes paysannes, les soldats victorieux des petites villes n'ont exterminé ni les combattants qui se rendaient épuisés ni les blessés. En capturant quelques chevaliers nobles, un chef de groupe pouvait obtenir une part de rançon, bien supérieure à la solde annuelle de sa troupe. Les simples soldats survivants, insolvables ou sans soutien, pouvaient être placés comme mercenaires à bon prix ailleurs. La vente après d'âpres négociations ou le retour de prisonniers, parfois longtemps après la bataille, était un geste de paix et de fraternité.

Si la victoire de Morgarten renforce la cohésion des cantons alpins, déjà unis, leur rallie-t-elle les cantons environnants et surtout les villes de Lucerne, Zurich et Berne ? La réponse à court terme est un non catégorique car la confédération embryonnaire est plus isolée que jamais. Les communes libres et bourgeoises jouent la solidarité avec le perdant, mais demandent avec véhémence paix et clémence pour clore la lutte fratricide. Actant la faiblesse de la grande noblesse, leurs dirigeants se réservent habilement une marge de manœuvre politique et n'excluent pas, en secret et plus tard, de faire front commun avec les cantons paysans et les petites villes des passes alpines contre les prétentions des maîtres Habsbourg.

Il faut attendre presque une génération pour que le pacte d'alliance entre ville et(ou) petits États en gestation s'agrandisse véritablement. La ville débouché des vallées, Lucerne, n'abat sa carte de ralliement qu'à la suite d'une révolte bourgeoise en 1332. Elle accepte une première alliance perpétuelle, mais c'est elle, par sa situation géopolitique et sa richesse de ville-pont, qui est la maîtresse du jeu politique. L'émancipation des Habsbourg est d'abord sa visée, et la collaboration étatique avec les Trois Cantons préservés, à toutes fins utiles, un prétexte.

Zurich hésite à partir de 1336, date d'une puissante révolte des corporations pour s'affilier, après la terrible guerre zurichoise, officiellement à ce qui est déjà une ligue politique et militaire de sécurisation des transports, de type hanse, en 1351[23]. Les graves troubles pesteux depuis 1349, éliminant les hommes de manière plus efficace que les guerres répétées[24], et surtout Zurich, qui suit d'abord ses propres intérêts, relance le conflit contre l'Autriche des Habsbourg. Assiégée au cours du conflit, Zoug laissée sans défense se rend aux confédérés, elle signe un accord d'entrée à égalité dans l'union alors que les montagnards de Glaris, bourgeois et pauvres paysans en révolte, n'obtiennent qu'un statut secondaire. Pour arrêter les frais de la guerre, Lucerne, appuyée par les Waldstätten, négocie en 1352 avec le duc d'Autriche, qui est encore son seigneur Habsbourg. Les accords avec Glaris et Zoug ne durent que quelques semaines, les deux entités sont livrées aux forces du duc d'Autriche. Zurich obtient de nouvelles libertés de son seigneur, les Waldstätten ont maintenant, en récupérant une partie des droits d'avouerie des Habsbourg, la mainmise sur les paysans des bans et des foresteries de ce qu'ils peuvent désormais nommer leurs cantons d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald. Lucerne, économe et avisée négociatrice, reçoit les compliments de son seigneur.

Berne signe un traité d'alliance en 1353. Mais elle avait déjà sollicité le soutien des quatre entités fédérées en 1339, à l'occasion de la violente rébellion de la noblesse du plateau suisse occidental. Lucerne était restée neutre pour ne pas déplaire à son seigneur Habsbourg, mais les Waldstäten avaient fourni une infanterie décisive de première ligne, fort appréciée, décimant la noblesse. Berne avait soumis après 1341 ses anciens alliés montagnards de la haute vallée de l'Aar, réclamants trop de droits et d'avantages. Les récalcitrants, nobles et paysans, pourtant voisins d'Unterwald et d'Uri, avaient été matés dans le sang. Berne désormais contrôlait le col du Grimsel[25].

Zoug est conquise en 1365. En 1370, la « charte des prêtres » exacerbe les nobles princes : elle stipule que l'allégeance au droit local, en particulier les ordres des confédérés, est prioritaire à l'hommage et au respect de la suzeraineté. Aussi la crainte d'un retour de la puissance seigneuriale renforce l'union diplomatique des confédérés.

Les six cantons se rendent bien compte que le retour offensif de la maison d'Autriche est toujours possible. C'est cette menace constante qui force les alliances, entre des intérêts locaux jamais convergents. Alors Berne s'engage pour balayer le retour de l'influence habsbourg, jugée indésirable aux marges de ses remparts, Lucerne irritée par l'attitude de son seigneur Habsbourg provoque soudain la guerre. Les victoires surprises de Sempach et Naefels, respectivement le 9 juillet 1386 et le 9 avril 1388, entérine un État confédéré naissant, au moins au niveau militaire et diplomatique. Sempach voit un carnage de la noblesse d'Alsace, d'Argovie, de Thurgovie, des environs du lac de Constance, du Tyrol et de l'Autriche, conduite par le duc Léopold qui y perd la vie. Après Naefels, le canton de Glaris est libéré et reprend son statut accordé en 1352. Il n'aura les mêmes droits de défense qu'au milieu du XVe siècle.

La logique d'expansion se met en place. La conquête sérieuse des vallées d'Italie, pour sécuriser les passes, peut commencer, ainsi que les multiples alliances de combourgeoisies, qui rapprochent, par exemple, les dirigeants des villes alémaniques libres ou de la haute vallée rhénane, non sujettes aux Habsbourg[26]. Glaris prend pied dès 1400 dans les Grisons. Uri et Obwald opèrent un protectorat sur la levantine, une partie du Haut-Tessin en 1402. Lucerne, Uri et Unterwald s'engagent dans le haut Valais en contrôlant ses passes-entrées.

Au XVe siècle, Schwytz, nom commun de la confédération préservé en hommage tacite à Morgarten, est devenue une puissance militaire redoutable, qui étend ses réseaux en tentacules au long des voies de transports et d'échanges économiques cruciaux. La maison d'Autriche est une de ces grandes victimes : elle perd la plupart de ses vastes possessions du plateau suisse, de Fribourg au lac de Constance, lors de deux moments de faiblesse, en 1415 et 1460[27]. Ces Hautes ligues restent toutefois sans unité politique. Parfois, villes ou cantons hégémoniques se battent entre eux, à l'instar des villes italiennes. Mais la confédération se maintient par un faisceau d'intérêts bourgeois. Il faudra encore du temps pour que le Royaume de France commence à lorgner son alliance, et encore plus pour qu'elle soit reçue comme un état politique indépendant[28].

Sources et traditions

La bataille de Morgarten est mentionnée dans la chronique de Pierre de Zittau : « Un peuple pour ainsi dire désarmé, insignifiant dans un pays appelé Sweicz et Uherach (Schwytz et Uri) a tué presque 2 000 guerriers et le duc est à peine parvenu à échapper au massacre. »[29]. Cependant, les sources écrites sont assez rares sur l'événement. Au XIVe siècle, elles comprennent la chronique rhénane (écrite vers 1337-38), la chronique de Jean de Viktring (vers 1340-1344) et la chronique de Jean de Winterthur (1340-1348).

La tradition orale, notamment soldatesque avec ses raconteurs d'histoires ou paysanne avec ses conteurs, a transformé cet événement, mais l'a aussi transmis. Aussi il y a pléthore de choses débattues et de divergences d'interprétations parmi les historiens : les Uranais ont-ils participé à la bataille ? La tradition orale acquiesce, il serait d'ailleurs logique que cet allié central ait fourni les renforts nécessaires pour clore la bataille, située en un lieu excentré, frontalier du canton de Schwytz. La modeste armée d'Unterwald s'est-elle abstenue, suivant les recommandations craintives de ses chefs, ou était-elle accaparée par la défense du col du Brunig, lieu stratégique également placé en état d'alerte ? La tradition orale ne répond pas, signalant que, même avertis rapidement, les responsables considéraient le lieu de bataille trop éloigné pour que leur modeste renfort soit efficace en arrivant à temps.

Au XVIe siècle, le chroniqueur Gilles Tschudi reprend et brasse tous ces éléments anciens avec les premiers essais de littérature urbaine de la confédération pour livrer une chronique édifiante, en grande partie inventée ou déformée. Dès le XVe siècle, le Livre blanc de Sarnen évoquait la légende de Guillaume Tell, refusant de saluer le ministérial autrichien postiche et la conjuration des trois Suisses : Werner Stauffacher, homme à la maison de pierre surimposée, Walter Fürst d'Uri, Arnold an der Halden, l'éleveur paysan du Melchtal (Unterwald), avec leur serment solennel à la prairie du Rütli. Ces légendes mises en mode historiographique font le délice des romantiques allemands, après l'adaptation de Schiller.

Il n'est pas innocent, comme le souligne l'historien suisse Langendorf, que la vision mythique de Morgarten ressurgisse dans les périodes les plus noires de la confédération, menacée par la montée des fascismes et le chamboulement européen de la Seconde Guerre mondiale tout en prônant la défense acharnée de son réduit alpin. Pendant la menace de la Suisse par les fascistes dans les années 1930/1940 l'histoire fut exagérée : « Lorsque les Habsbourg arrivèrent sur le lieu de l’embuscade, une avalanche de pierres, de rochers, et de troncs d’arbres dévala sur les chevaliers, effrayant les chevaux et provoquant la confusion. C’est à ce moment-là que les Schwytzois, conduits par Werner Stauffacher, attaquèrent. » Et des images avec des chevaliers passant sous des falaises sur lesquelles les Schwytzois jetaient des rochers furent publiées. Ces exagérations peuvent être contredites par une simple promenade de Hauptsee à Sattel sur l'ancienne route.

Commémorations

Édifices

Une chapelle construite en 1501 est dédiée à la bataille de Morgarten (Die Schlachtkapelle)[30]. Un porche lui a été ajouté au XVIIIe siècle qui protégeait une peinture murale de Michael Föhn, terminée en 1820 et nommée la bataille de Morgarten. Elle a été remplacée en 1957 par une œuvre du peintre Hans Schilter de Goldau intitulée Aufmarsch zur Schlacht (« En marche vers la bataille »). Le même peintre a représenté sur le côté du chœur le patron des voyageurs, saint Christophe, suivant une ancienne tradition des pays alpins.

Un monument a été inauguré en 1908 à la mémoire des « héros de la bataille » (Den Helden von Morgarten 1315), à 2 km au nord du lieu des combats. Une inscription en lettres de bronze précise : « Le 15 novembre 1315, pour Dieu et la patrie, les Confédérés ont mené à Morgarten la première bataille pour la liberté ». Sous cette inscription se trouve un bas-relief de Hermann Haller (1880-1950) : « Le lanceur de pierres ». Le monument est l’œuvre de l’architecte Robert Rittmeyer de Winterthour[31].

Célébrations annuelles

La Fondation des écoliers suisses pour la conservation du champ de bataille de Morgarten (Morgartenstiftung) est aujourd’hui propriétaire du terrain. Elle agit pour la conservation du site historique en tant que lieu de mémoire[32].

Une commémoration annuelle aurait eu lieu à l’initiative des Schwytzois déjà peu après la bataille selon la chronique de Jean de Winterthour. Les célébrations se sont déroulées le jour de Saint Othmar, d'abord dans l'église paroissiale de Sattel, puis dans la chapelle de Schornen au moins dès 1501. Au XIXe siècle, on organise des fêtes commémoratives. Le Conseil d’État schwyzois décide en 1940 que ces commémorations auront lieu tous les cinq ans. Un cortège solennel va de Sattel à Schornen[33].

Les célébrations séculières font l’objet de grandes fêtes en 1815 (500e), 1915 (600e), 1965 (650e) et 2015 (700e). La fête de 1815 a eu lieu dans un contexte de problèmes politiques, elle est restée locale[34]. La célébration du six-centième anniversaire s’est déroulée pendant la Première Guerre mondiale, c’est la première à prendre une dimension fédérale. Elle contribue à transformer Morgarten en mythe fondateur de la Confédération. Une médaille a été réalisée et des cartes postales sont publiées qui représentent « de hardis montagnards de Suisse primitive, prêts à d'âpres combats »[34]. C’est le canton de Schwyz qui organise les festivités du 650e anniversaire. Aux élans patriotiques s’ajoutent un questionnement sur la solidarité internationale et sur l’« attitude individualiste » de la Suisse. Une médaille ou Thaler est réalisée par le sculpteur schwytzois Josef Nauer[34],[35]. Pour le 700e anniversaire en 2015, on crée un sentier thématique et un centre d’information.

Tir de Morgarten

Le « Tir de Morgarten » est une compétition de tir à 300 mètres qui s'est déroulée la première fois le à Oberägeri[33]. Cette manifestation avait pour but de réunir des fonds pour élever un mémorial, sans succès malgré les 10 000 participants. D’autres fêtes de tir ont été organisées par la suite, dont celle de 1912 rassemblant 204 tireurs dans la vallée d'Ägeri. L'association des tireurs de Morgarten est fondée la même année, avec pour but : « En mémoire de la première bataille pour la liberté, celle de Morgarten, et pour entretenir un esprit de camaraderie confédérale, les tirs de Morgarten ont lieu le 15 novembre de chaque année, soit le jour de la commémoration historique. Cela doit avoir lieu à l'endroit du mémorial ou à proximité immédiate de ce dernier. » L'association se compose de sociétés de tir, en 2015 ce sont dix sections zougoises et 70 sections d'autres cantons de Suisse alémanique et du Tessin. En 1937, lors du 25e anniversaire de l’association, 720 tireurs de 66 sections participent. En 1962, ce sont 1 250 tireurs de 80 sections.

Par ailleurs, les « Tirs au pistolet historiques de Morgarten », à 50 mètres, ont lieu depuis 1957 près de la chapelle de Schornen[33].

Dans la culture populaire

Le nom de Morgarten est aussi celui d'un groupe de folk-black metal qui s'inspire librement de l'histoire suisse.

Un jeu de simulations historiques se base sur les principales batailles de l'histoire suisse dont celle de Morgarten[36].

« Morgarten ist kein fertig »[réf. nécessaire] : vieille expression alsacienne ou alémanique (« Morgarten (la bataille suisse par excellence) n'est point terminée »), indiquant que les armées suivent toujours une logique redoutable pour l'hégémonie de leur pays.

Galerie

Bibliographie

  • Jean-Jacques Bouquet, Histoire de la Suisse, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », [détail des éditions].
  • Philippe Contamine, La guerre au Moyen âge, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Nouvelle Clio / l'histoire et ses problèmes. », , 516 p. (ISBN 978-2-13-050484-9).
  • Article « Bataille de MORGARTEN (15 novembre 1315) » Note complémentaire « Waldstätten », Encyclopædia Universalis [3].
  • R.G. Grant (dir.), Les 1 001 Batailles qui ont changé le cours de l'histoire, Flammarion, 2012, avec une préface de Franck Ferrand (ISBN 978-2-0812-8450-0), traduction-adaptation française collective sous l'autorité de Laurent Villate. Titre anglais original 1001 battles that changed the course of history, Quintessence, 2012.
  • François Walter, Histoire de la Suisse, L'invention d'une confédération (XVe-XVIe siècles), volume 1 Neuchâtel, collection « Focus », édition Alphil - Presses universitaires suisses 2010, 2e éd. (1re édition 2009), 135 p. (ISBN 978-2-940235-49-0), présentation en ligne).
  • Pierre Streit, Olivier Meuwly, Morgarten. Entre mythe et histoire 1315-2015, Cabédita, 2015, 112 p. (ISBN 978-2-88295-734-4)
  • Jean-Daniel Morerod, « La bataille de Morgarten a bel et bien eu lieu », Passé simple, octobre 2015, p. 18-21.
  • Éric Tréguier, « À Morgarten, l'union fait la Suisse », Guerre & Histoire, no 34,‎ , p. 68-72.

Filmographie

Le réalisateur suisse Leopold Lindtberg tourne en 1941 Landammann Stauffacher, film mettant en scène la bataille de Morgarten, avec Heinrich Gretler et Anne-Marie Blanc. Ce film historique est aussi un film de combat, tourné pour renforcer le patriotisme suisse face au danger nazi : après le rapport du Grütli du 25 juillet 1940, où six cent cinquante commandants de l'armée suisse avaient renouvelé leur serment de fidélité au drapeau suisse, le scénariste Richard Schweizer, qui entendait d'abord mettre en scène le fils de Guillaume Tell, décida de se concentrer sur le chef militaire de Morgarten, pour le présenter comme le précurseur du général Henri Guisan.

Erich Langjahr a tourné en 1978 un film sur la bataille de Morgarten (Morgarten findet statt en allemand), mettant en scène le concours de tir organisé sur place chaque année pour la commémorer, avec des emprunts à d'autres documents dont le film de Lindtberg.

Débats actuels entre historiens

  • « Morgarten, une bataille symbolique », entretien avec François Walter, historien et auteur de Histoire de la Suisse, PUS 2010 [Voir en ligne].
  • « Les conséquences de Morgarten ». Entretien avec J.-J. Langendorf, historien, auteur de Histoire de la Neutralité, Infolio [Voir en ligne].
  • « Morgarten n'est plus une affabulation cocardière », par Gilbert Salem, 24 heures, 17 octobre 2015 [Voir en ligne].

Notes et références

  1. Les spécialistes de la guerre médiévale s'accordent sur les chiffres effectifs du contingent résistant, largement moins de 2 000 combattants ralliés à Werner Stauffacher, et surtout de l'armée de répression plus de trois fois supérieure en nombre, soit 2 000 chevaliers et environ 6 000 servants à pied comportant les protecteurs obligés des chevaliers et la piétaille ou infanterie. R.G. Grant (dir.), Les 1001 Batailles qui ont changé le cours de l'histoire, opus cité. L'infanterie est souvent recrutée en petites formations dans les villes du plateau suisse ou elle provient d'une manière générale de la future Suisse alémanique au nord-ouest des Alpes (Lucerne, Zurich, Schaffhouse, Berne, Bâle…), en dehors de mercenaires alsaciens, souabes, bavarois, tous ces éléments parfois présents dans les deux camps. C'est aussi de façon anachronique un conflit fraternel suisse, d'un point de vue limité sur le combattant. On peut aussi estimer à un millier les graves estropiés côté vaincu et autant de prisonniers récupérés par les fédérés. Le chiffre des fuyards a dû atteindre dépassé la moitié de l'effectif désorganisé, des centaines auraient été massacrés par les paysans en colère.
  2. Un petit commentaire jouant de la confusion révolte des forestiers paysans et des intérêts urbains des vallées contrôlant les passes alpines, avant et sur la bataille, mais surtout le texte du pacte de Brunnen traduit en français [1].
  3. Il faut noter que les principaux pactes et associations, décrits dans cet article, ne remettent en aucun cas la souveraineté impériale ou régalienne, ainsi que les suzerainetés seigneuriales. Ce n'est qu'après la bataille de Sempach qu'il est possible de parler d'indépendance urbaine, en particulier pour Lucerne ou Berne. Entre-temps, les historiens suisses comptent dix-huit affrontements.
  4. « Guerre de Morgarten » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne..
  5. Les bourgeois des petites villes sont probablement des membres de « corporations de transport », peut-être d'origine antique, parfois à l'origine de petits bans chrétiens des temps mérovingiens. Ces corporations de transporteurs, parfois encore puissantes par leur rôle de regroupement à la fois financier et religieux, et de sécurisation de voies, investissent dans les travaux d'amélioration routière, elle gouverne ainsi de façon lâche un monde de muletiers, de charretiers ou rouliers, de bateliers, de charrons et de charpentiers constructeurs de ponts ou de bateaux, de maçons et de forgerons, mais aussi des réseaux d'aubergistes, tenanciers de gistes ou de soustes, parfois remplacés par des hospices d'ordre religieux divers qu'elle favorise ou font naître… A contrario, le monde paysan des bans ou des foresteries, souvent encore serf ou corvéable par l'autorité seigneuriale, n'a aucun droit politique ni de propriété, seulement des droits et devoirs d'usage et de jouissance coutumiers, tout en s'inclinant d'abord devant la volonté du seigneur religieux ou temporel. Il n'a pas besoin de charte…
  6. Il s'agit de l'obtention de charte d'immédiateté, concernant Altdorf (Uri) en 1231, Schwytz la ville en 1240… Les bourgeois d'Unterwald ont réclamé en vain une charte équivalente, longtemps en vain, avant de bénéficier de semblables franchises en 1308. Frédéric II, parfois par l'intermédiaire de son fils le roi Henri, avait accordé des chartes et franchises à Berne, Zurich, Soleure. Les Schwytzois avait perfectionné batellerie et charrerie, sur le lac des Quatre-Cantons, en particulier au voisinage de la falaise de l'Axenberg, en face du Grütli. Les Uranais sont parvenus à construire un pont du diable au-dessus des gorges de Schöllenen. La vallée de la Haute Reuss, ou val d'Urseren entre la vallée occidentale du Rhône et la vallée orientale du Rhin, respectivement au-delà du col de Furka et du col d'Oberalp, était désenclavée et le col de Gothard franchissait en une seule fois les Alpes centrales. La distinction de la charte ressemble assez à une récompense impériale accordées aux entreprenants Schwytzois et Uranais.
  7. L'esprit d'entreprise et l'urbanité bourgeoise de si petites villes reflètent une influence italienne. Les petites villes ne pouvaient agir contre la volonté religieuse : elles demandaient en outre une légitimation de leurs actions diplomatiques que l'État papal en gestation s'empressait d'accorder, dans le droit fil de la réforme grégorienne et d'une liberté d'action universelle sous l'invocation « Dieu seul est notre seigneur », à ceux qui avait ouvert des chemins chrétiens. Les marchands italiens ne pouvaient non plus être indifférents à l'ouverture de voies secondaires, mettant en concurrence ce qui pouvait devenir un monopole. Les banquiers lombards jouent semble-t-il un même rôle caché pour les Ligues des Grisons.
  8. Lucerne a acquis son statut de ville en 1180, d'un intense trafic terrestre et lacustre.
  9. La dynastie Habsbourg originaire de Haute-Alsace et d'Argovie n'a capté qu'en partie l'héritage de la maison de Zähringen, éteinte en 1218. Les ducs de Zähringen sont les fondateurs de Fribourg en 1157 et de Berne en 1191. En tant qu'avoué du monastère de nobles dames de Zurich ou Fraumünster, ils étaient seigneurs en titre de la ville de Zurich, mais surtout d'Uri. Avant son élection surprise à l'Empire, Rodolphe rachète à ses cousins les droits qu'ils possèdent sur Schwytz et Unterwald.
  10. La rédaction de la charte, en latin médiéval de tabellions, qui atteste de la révolte dans le cadre d'une soumission aux justes droits régaliens ou seigneuriaux est souvent donnée comme l'acte de naissance de la Confédération suisse : cette fête de la confédération ou de l'assistance mutuelle est ensuite fixée au 1er août, pour s'accorder probablement au rite ancien de la Lugnasad, christianisé pour complaire autant aux éleveurs qu'aux artisans. C'est aujourd'hui la fête nationale de la Confédération suisse. Notons que le texte, en langue juridique, est incompréhensible aux représentants des cantons forestiers d'Uri, Schwytz et Unterwald ou, a fortiori, aux paysans des trois vallées.
  11. Les bourgeois jubilent, mais pas les paysans pour qui cela ne change rien.
  12. Un convoi réussi peut représente deux années de fret alpin, en quantité.
  13. Outre le passage importants des hommes (marchands, soldats et mercenaires, hommes d'escortes seigneuriales, pèlerins…), l'intense commerce textile (matière de base, produits semi-finis, étoffes de luxe) ou les livraisons de bétail sur pied qui franchit les cols à destination des marchés italiens se maintiennent, malgré la crise rampante, avec les activités bancaires qui les garantissent, notamment à Lucerne.
  14. Ils peuvent être de simples forestarii des cantons primitifs, des paysans des bans migrants ou installés par des autorités seigneuriales ou comtales, ou encore associés aux modestes villes dès leurs formations.
  15. Il est évident que parmi les modestes forces armées, un recrutement local a permis de former une piétaille d'appoint, essentiellement d'origine paysanne. Mais ce ne sont déjà plus des paysans même s'ils peuvent le redevenir après leurs courtes carrières, ce sont d'abord des soldats mercenaires, constamment à l'exercice ou plus prosaïquement des gardiens de ville, engagés volontaires pour une période définie, qui peuvent venir de partout. Les villes ont enfin fait appel au vivier de petite noblesse des environs, délaissée depuis la crise par les puissants seigneurs et dûment rémunérée par les petites villes, pour encadrer et commander les hommes sous les bannières des villes, désormais alléguées aux cantons.
  16. Tout comme les gestes et les mouvements coordonnés d'un arquebusier ou d'un piquier à hallebarde, réaliser des amas de bois (rondins, troncs) pour les rouler ou lancer dans le lac ou la rivière, voire le fond d'une vallée, appelle une dextérité technique. La qualité d'observation des masses paysannes, familières des lieux, permet souvent des enquêtes rapides, lors d'affaires de vol.
  17. Position de la colonne autrichienne et de l'embuscade [PDF]. Il est même possible d'envisager, logiquement, un appât avec quelques avant-gardes des cantons, ayant ordre de détaler de façon couarde et bien en vue et d'entraîner le gros de l'armée vers la passe de Morgarten. Une passe déjà équipé de pièges. Si on tient compte des conteurs paysans, le calendrier rituel donnait une quinzaine de jours aux équipes de bûcherons et de voituriers pour aménager les passes périlleuses en pièges mortels pour des troupes de cavaliers, en installant des tas de bois en rolles, c'est-à-dire destinés à être roulés vers le bas de la vallée pour être flottés sur les eaux. Il y a donc pléthore de rondins ou grands troncs, qu'on pouvait faire dévaler vers le bas. L'erreur monumentale de l'armée habsbourgeoise proviendrait d'une méconnaissance de la culture paysanne, à l'origine de la logistique de cette guerre, par amplification provoquée par les ordres militaires. Une attaque différée à la Saint-Jean d'été, au moment de la fenaison, aurait été autrement efficace.
  18. Éric Tréguier, « À Morgarten, l'union fait la Suisse », Guerres & Histoire, no 34,‎
  19. Le mode probable d'organisation de la cohorte est une alternance de cavaliers avec leurs servant, et d'unité d'infanterie type piquiers. Les cavaliers sont vulnérables dans les endroits boisés, pentus, étroit, par contre l'infanterie en masse est vulnérable sur les replats à découvert.
  20. Monument surélevé de la bataille et son panorama en 2012 [2]. La vie pastorale plus intense et les conditions climatiques assez favorables réduisaient à l'époque du conflit l'importance des zones boisées en bas des vallées. Notons qu'en 1250, le climat était doux et agréable sur les hauteurs, ainsi que l'attestent les cultures. Le début du XIVe siècle est connu par quelques aléas climatiques (sécheresse, froid surprise, pluies, neiges abondantes en montagne ou en plaine) qui ne sont nullement étrangères à la détresse et à la révolte paysannes. De gigantesques inondations marquent les années 1315 et 1316.
  21. « Encyclopédie Française - Le savoir est d'or », sur Encyclopédie Française (consulté le ).
  22. Théo Rimli (dir.), Gaston Castella, 650 ans d’histoire suisse, Morat, Libris 1941, 375 pages, 400 illustrations, 10 planches en couleurs hors-texte.
  23. Zurich est une ville libre d'Empire, raffinée, très liée à l'Italie, ne serait-ce que l'artisanat de la soie. Rodolphe Brun, noble chef de guerre, se place à la tête des corporations d'artisans en crise. Il s'impose, sous des apparences électives en 1336, en véritable dictateur de la ville. Sa politique fluctue en recherche continuelle d'alliances diverses. Mais en 1351, le traité avec les confédérés lui donne l'occasion de conduire une véritable guerre.
  24. Les modélisations démographiques les plus simples de la montagne et du plateau suisses conviennent d'une décroissance de population supérieure à un quart au cours du XIVe siècle, malgré la très forte natalité en période de reprise. La misère progresse également avec le cortèges des épidémies, guerres, ravages de bandes de soudards démobilisés…
  25. Cette répression, à peu près la même que prévoyaient les partisans Habsbourg avant Morgarten, montre que les forces politiques bourgeoises et citadines n'ont aucun idéal démocratique : il s'agit d'imposer la loi du plus fort par l'argent ou la guerre, dans le cadre juridique autorisé par la seigneurie et par la souveraineté régalienne. Ce n'est qu'une fois devenu seigneur en nom collectif à leur tour, que la volonté d'émancipation face aux nombreux devoirs reliques envers les empereurs et duc d'Autriche va titiller les villes et leurs cantons soumis.
  26. Cette politique double d'entente économique et de protection séduira plus tard Bâle ou même Mulhouse en Haute-Alsace.
  27. Le duc d'Autriche est banni de l'Empire en 1415 : quiconque peut saisir par la force ses biens car il n'a aucun compte à rendre à la justice. Sa mise au ban provoque une ruée sur ses terres. Berne et les confédérés, au mépris des traités signés et parfois des anciennes allégeances locales à celui qui est encore seigneur en titre, accaparent l'Argovie, qui compte le fief de naissance légendaire de la dynastie régnante, Habsbourg. En 1460, le pape excommunie le duc d'Autriche, aussitôt les Confédérés raflent la Thurgovie et plantent leurs piques dans le lac de Constance. Les territoires soumis aux confédérés ont désormais une frontière avec la Bavière et la Souabe. L'autre duché victime sur le long terme est celui de la maison de Savoie, qui voit se restreindre son influence au sud du plateau suisse, par l'expansion de Berne, aidée par Soleure et Fribourg.
  28. La Confédération des XIII cantons est présente à la clôture de la guerre de Trente Ans en 1648.
  29. Jean-Daniel Morerod, « La bataille de Morgarten a bel et bien eu lieu », Passé simple, 2015.
  30. (de) « Die Schlachtkapelle », sur morgarten2015.ch, (consulté le ).
  31. (de) « Das Schlachtdenkmal am Ägerisee », sur morgarten2015.ch, (consulté le ). AM 15. NOV. 1315 KÄMPFTEN FÜR GOTT UND VATERLAND DIE EIDGENOSSEN AM MORGARTEN DIE ERSTE FREIHEITSSCHLACHT.
  32. (fr + de + it + en) « La fondation Morgarten », sur morgarten2015.ch, (consulté le ).
  33. a b et c (fr + de + it + en) « La commémoration annuelle », sur morgarten2015.ch, (consulté le ).
  34. a b et c (fr + de + it + en) « Culture du souvenir », sur morgarten2015.ch, (consulté le ).
  35. (fr + de + it + en) « Thaler de Morgarten 1965 », sur morgarten2015.ch, (consulté le ).
  36. Frédéric Roux, « Carole Barthélémy, La pêche amateur au fil du Rhône et de l’histoire », Lectures,‎ (ISSN 2116-5289, DOI 10.4000/lectures.13281, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

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Articles connexes

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