Antoine Béchamp est né en Lorraine d’un père meunier[1]. Alors qu’Antoine est âgé de onze ans, un oncle maternel, consul à Bucarest, remarque le potentiel de l’enfant et obtient des parents que leur fils l’accompagne à Bucarest pour y faire ses premières études qu’il fera en roumain et en utilisant l’alphabet cyrillique. Au décès de son oncle en 1834, il retourne en France avec le titre de maître en pharmacie acquis chez Maüsel. Il doit réapprendre sa langue maternelle ainsi que l’alphabet latin tout en travaillant dans une pharmacie de Benfeld.
Il s’inscrit à l’École supérieure de pharmacie de Strasbourg, ville où il ouvre une officine en 1843. Il se marie, après sept ans de fiançailles, avec Clémentine Mertian, fille d’un négociant de tabac et de betterave. Peu après son mariage il retourne à Strasbourg. Agrégé en 1851 de l’École de Strasbourg, il y enseigne la chimie, la physique et la toxicologie jusqu’en 1856 date à laquelle il est nommé professeur de chimie médicale et de pharmacie à la faculté de Médecine de Montpellier. Il y enseignera pendant vingt ans tout en poursuivant des recherches sur la pébrine (une maladie du ver à soie), la fermentation du vin et la transformation des sucres par les moisissures. Son fils aîné, Joseph, prend part à ses travaux.
En 1876, Antoine Béchamp devient le premier doyen de la faculté libre de médecine de Lille, où ses travaux rencontrent l’hostilité des autorités ecclésiastiques. À la suite des démêlés qui l’opposent à Louis Pasteur à partir de 1881, il doit quitter son poste en 1888. Son fils fit de même. Il achète alors une pharmacie au Havre, ville d’origine de la femme de Joseph. Ce dernier décédé, Béchamp gagne Paris où il continue ses expériences dans un laboratoire de la Sorbonne mis à sa disposition par un de ses amis, Charles Friedel. Il y travaillera jusqu’en 1899. Il meurt le en son domicile dans le 5e arrondissement de Paris[2].
À la suite de travaux expérimentaux et d'observations, il émet l'hypothèse que toute cellule animale ou végétale est constituée de petites particules capables, sous certaines conditions, d'évoluer pour former des bactéries qui continueraient à vivre après la mort de la cellule dont elles proviendraient. Béchamp appela ces hypothétiques petits éléments autonomes « microzymas ». Cette thèse s'inscrit dans celle de la génération spontanée : elle affirme que c'est l'organisme qui crée les bactéries.
Ces thèses, dès l'époque de Béchamp, furent toujours très minoritaires parmi les scientifiques. Jules Tissot, professeur de physiologie générale au Muséum national d'histoire naturelle, pensa les confirmer par des photographies de haute précision de cellules végétales et animales.
Pour Tissot comme pour Béchamp (et contrairement au consensus scientifique général)[3], les organismes vivants, quand ils se dérèglent, produiraient ou, plus exactement, favoriseraient[4] eux-mêmes la prolifération de bactéries pathogènes et virus.
Les principaux tenants des théories de Béchamp sont désormais des partisans des « médecines non conventionnelles » comme Hulda Regehr Clark et Tamara Lebedewa, ou des médecins et biologistes marginaux produisant des théories pseudo-scientifiques.
Le zoologue et entomologiste allemand Günther Enderlein (1872-1968) se fonda également sur les travaux de Béchamp quand il introduisit l'hypothèse d'un pléomorphisme des bactéries[5]. Cette hypothèse très controversée soutient que la forme des bactéries n'est pas fixe, ce qui ne s'observe que rarement (ex. : Helicobacter pylori)
Béchamp fut contemporain de Louis Pasteur qu'il accuse de plagiat. Il ne craint pas d'affirmer en réponse à un collègue : « Je suis le précurseur de Pasteur, exactement comme le volé est le précurseur de la fortune du voleur heureux et insolent qui le nargue et le calomnie[6]. » Concurrent de Pasteur, contrairement à celui-ci, il tombe dans l'oubli avant de voir certaines de ses idées redécouvertes[7].
Synthèse des colorants et l'atoxyl
Ses recherches le conduisent à la découverte d'une méthode nouvelle et économique de production de l'aniline. Alors que le chimiste allemand August Wilhelm von Hofmann produit déjà de l'aniline en soumettant une mixture de nitrobenzène et d'alcool à la réduction par l'action de l'acide chlorhydrique et du zinc, Béchamp montre, en 1852, que l'emploi de l'alcool n'est pas nécessaire, que le zinc peut être remplacé par le fer, et l'acide chlorhydrique par l'acide acétique, ce qui permet de réduire les coûts de production industrielle de l'aniline. Cette réaction est aujourd'hui connue sous le nom de réduction de Béchamp.
La maison Renard de Lyon entend parler de la découverte de Béchamp, elle s'adresse à lui et, avec son aide, elle réussit à produire de manière économique la fuchsine (autrement dit le magenta) et ses variétés. Le seul profit que Béchamp tire de sa découverte est de recevoir, une dizaine d'années plus tard, une médaille d'or décernée par la Société industrielle de Mulhouse.
En 1859, par réaction chimique entre l'aniline et l'acide arsénique (métarsénite d'acétanilide), Béchamp synthétise l'arsanilate de sodium ; il nomme ce composé « atoxyl » par référence à la relative faiblesse de sa toxicité comparée à celle de l'arsenic. L'atoxyl est alors utilisé dans le traitement des maladies de la peau et de la maladie du sommeil. Mais il reste très toxique et n'agit pas sur tous les tréponèmes. Cinquante ans plus tard, cherchant à améliorer l'atoxyl, Paul Ehrlich étudie plus de six cents arsénobenzènes dérivés et, avec Sahachiro Hata, il aboutit en 1909 à la découverte du Salvarsan. Ce produit, le premier enfin réellement efficace contre la syphilis et la maladie du sommeil, marque une étape essentielle dans le développement de la chimie thérapeutique[8].
Ferments solubles (ou diastases, ou enzymes)
Dans un mémoire publié en 1858[9], Béchamp soutient[10] que l'interversion du sucre de canne, quand on l'obtient sans l'aide de la levure, n'a pas pour cause le simple contact avec l'eau, mais bien les moisissures, dont d'autres observateurs avaient noté avant lui la présence concomitante au phénomène. Il assimile[11] cette action des moisissures à celle de la diastase, un des « ferments solubles » (enzymes) connus à l'époque.
Ces expériences peuvent sembler préfigurer celles que Buchnner publiera en 1897. Des auteurs comme Philippe Decourt[12] et Milton Wainwright[13] en concluent ou semblent en conclure que Buchner usurpe une gloire qui revient à Béchamp.
Il faut toutefois noter que ce que Buchner obtenait à partir de la « zymase[14] » de la levure, et en l'absence de la levure elle-même, c'était la fermentation alcoolique[15]. Or Béchamp dit explicitement que la « zymase » qu'il extrait de la levure produit l'interversion du sucre de canne, mais non la fermentation alcoolique. Après avoir distingué entre les deux fonctions : « Comme ferment, la levure possède donc deux fonctions : celle d'intervertir le sucre de canne et celle de produire l'alcool. Ces deux phénomènes sont-ils du même ordre ? » et rappelé que la « zymase » de la levure peut à elle seule intervertir le sucre de canne, il ajoute : « Or, on peut laisser la zymase en contact avec le sucre, aussi longtemps qu'on le veut, sans qu'il se forme aucune trace d'alcool, ou se manifeste aucun indice de fermentation »[16]. Buchner a donc réussi, notamment par l'addition de kieselguhr (tripoli) et l'usage d'une presse hydraulique[17], là où Béchamp avait échoué.
Le continuateur d'Antoine Béchamp fut le professeur Jules Tissot (1870-1950) du Muséum d'histoire naturelle, qui fonde la ligue « Santé et Liberté » en 1948. Cette ligue fusionne en 1954 avec « l'Association des parents des victimes de vaccinations » pour devenir la « Ligue nationale contre l'obligation des vaccinations ». Cette ligue fédère un courant hygiéniste fondé sur le jeûne et le végétarisme, centré sur une chaîne de magasins diététiques. On y trouve aussi le courant de la pédagogie Freinet. En 1964, la ligue change de nom pour devenir « Ligue nationale pour la liberté des vaccinations ». En 1992 se produit une scission avec la création de « Association Liberté Information Santé ».
Dans leurs références théoriques, ces associations revendiquent une tradition antipasteurienne savante, fondée sur Béchamp et Tissot, à laquelle peuvent se joindre des médecins homéopathes, des médecines non conventionnelles fondées sur le vitalisme, ou des chercheurs originaux comme Louis-Claude Vincent, inventeur de la « bio-électronique ». Ces théorisations diverses visent à légitimer a posteriori le rejet intuitif ou culturel de la vaccination ; elles n'en sont pas l'origine[19].
Analyse qualitative et quantitative de l'eau minérale alcaline gazeuse de Soultzmatt, éd. Imprim. Huder (Strasbourg), 1853, lire en ligne sur Gallica.
Essai sur les substances albuminoïdes et sur leur transformation en urée, éd. Imprim. Silberman, 1856.
Leçons sur la fermentation vineuse et sur la fabrication du vin, C. Coulet (Montpellier), 1863, lire en ligne sur Gallica.
La Nature parasitaire de la maladie actuelle des vers à soie et M. Pasteur, [lettre à M. le Président de l'Académie des sciences], impr. de Boehm et fils (Montpellier), 1867, lire en ligne sur Gallica.
Euzet-les-Bains. Eaux minérales : 1°bitumo-sulfureuses purgatives ; 2°magnésiennes, ferrugineuses, cuivreuses. (Analysées par le Prof. Béchamp .), impr. de Roger et Laporte (Nîmes), 1871, lire en ligne sur Gallica.
Recherches sur la composition du charbon de peuplier dit de Belloc, impr. de P. Grollier (Montpellier), 1872, lire en ligne sur Gallica.
Les Microzymas, éd. J.B. Baillière et fils (Paris), 1883, lire en ligne sur Gallica, seconde édition revue et corrigée E. Dentu (Paris), 1893,lire en ligne sur Gallica, (réédition par le Centre international d'études A. Béchamp, 1990).
Recherches sur les modifications moléculaires ou états isallotropiques de la matière amylacée, éd. Imprimerie L. Daniel (Lille), 1884,lire en ligne sur Gallica.
↑Les renseignements biographiques sont tirés de Marie Nonclercq, Antoine Béchamp, l’homme et le savant, éd. Maloine, 1982, et de François Renaud, Willy Hansen et Jean Freney, Dictionnaire des précurseurs en bactériologie, éd. ISKA, 2005.
↑E. Douglas Hume, Béchamp ou Pasteur, un chapitre perdu de l'histoire de la biologie, Paris, éd. Librairie Le François, 1948, p. 11.
↑« De l'influence que l'eau pure ou chargée de divers sels exerce à froid sur le sucre de canne». Extrait dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 4 janvier 1858, t. 46, 1858, p. 44-47, consultable sur Gallica; texte complet dans Annales de chimie et de physique, 3e série, t. 54, 1858, p. 28-42, consultable sur Gallica.
↑Sa démonstration a convaincu Pasteur : « cet observateur [= Béchamp] a reconnu ce fait intéressant que les moisissures, comme la levûre, cèdent à l'eau une substance qui intervertit le sucre. En empêchant par un antiseptique la naissance des moisissures, le sucre ne s'intervertit plus. » (L. Pasteur, Études sur la bière, 1876 ; Œuvres complètes de Pasteur, t. 5, p. 252, consultable sur Gallica.)
↑Annales de chimie et de physique, 3e série, t. 54, 1858, p. 40, point 27.
↑« On peut regretter que les prix Nobel ne soient pas toujours donnés à ceux qui le méritent. Ce fut le cas pour les zymases ou ferments solubles d'Antoine Béchamp. En 1907, le prix Nobel de chimie fut attribué à l'Allemand Eduard Buchner pour la découverte en 1897 de la zymase qui transforme le sucre en alcool. (...) À vrai dire, Buchner n'avait rien découvert. » Philippe Decourt, Les vérités indésirables, Paris, 1989, p. 257.
↑M. Wainwright, après avoir rapporté les observations et expériences de Béchamp sur le rôle de la « zymase » dans l'interversion du sucre de canne, fait ce commentaire ; « Pourtant, nos manuels nous disent erronément que Buchner fut le premier à extraire une enzyme de la levure, et à l'appeler zymase, ' percée ' accomplie en 1897, environ 35 ans après les expériences de Béchamp ! » (Milton Wainwright, « Early history of microbiolgy », Advances in applied microbiology, vol. 52, 2003, p. 333-355, partiellement consultable sur Google Books, spéc. p. 341-342.
↑Buchner employait lui aussi ce mot formé par Béchamp. Voir Pierre Thuriaux « Eduard Buchner, ou un siècle d’enzymologie », MS Médecine Sciences (Histoire de la médecine et des sciences), vol. 14 (1998), 248-251, en ligne, spéc. p. 251.
↑Son article (Buchner E, « Alkoholische Gährung ohne Hefezellen : vorlaüfige Mitteilung », Berichte der Chemischen Gesellschaft 1897 ; vol. 30, p. 117-24) est intitulé « Fermentation alcoolique sans cellules de levure » et précédé de cette introduction : « Il n’avait pas été possible jusqu’ici d’obtenir une activité de fermentation en dehors des cellules vivantes de levure. Cet objectif est atteint par le procédé expérimental décrit ci-dessous. ». Voir Pierre Thuriaux « Eduard Buchner, ou un siècle d’enzymologie », MS Médecine Sciences (Histoire de la médecine et des sciences), vol. 14 (1998), 248-251, en ligne.
↑Antoine Béchamp, Les microzymas, Paris, 1883 (réimpr. photogr., Paris, 1990), p. 286. Aux p. 287-288 et 289, Béchamp insiste et théorise.
↑Pierre Thuriaux « Eduard Buchner, ou un siècle d’enzymologie », MS Médecine Sciences (Histoire de la médecine et des sciences), vol. 14 (1998), 248-251, en ligne, spéc. p. 251.
↑Karl Oppenheimer, Ferments and their Actions (trad. anglaise), Londres, 1901, p. 197 (réimpr. Bibliobazaar, 2008, partiellement consultable sur Google Books); Keith L. Manchester : « Antoine Béchamp: père de la biologie. Oui ou non? », Endeavour, Volume 25, no 2, 1er juin 2001, p. 68-73; Keith L. Manchester : « Louis Pasteur, fermentation, and a rival », South African Journal of Science, vol. 103 (2007), en ligne.
↑J. Skomska-Godefroy, La résistance contemporaine à la vaccination, Paris, Fayard, , 498 p. (ISBN978-2-213-59412-5, BNF35850224), p. 423-437
dans « L'Aventure de la Vaccination » sous la direction de A-M Moulin.
Dr Philippe Decourt, « Les zymases ou ferments solubles de Béchamp à la lumière des connaissances du XXe siècle », Histoire des sciences médicales, 18, 1984, 147-151.
Dr Philippe Decourt, Les Vérités indésirables, éd. Les archives internationales Claude Bernard, 1989
François Guermonprez, Béchamp:Études et souvenirs, Amédée Legrand, 1927 , 141 p.
E. Douglas Hume, Béchamp ou Pasteur, un chapitre perdu de l'histoire de la biologie, Paris, éd. Librairie Le François, 1948 (traduit de l'anglais par Aurore Valérie).
Pierre Lance, Savants maudits, chercheurs exclus, éd. Pierre de Valmy, 2001 (ISBN2-84445-457-7), (3 volumes)
Pierre-Yves Laurioz, Louis Pasteur, la réalité après la légende, éd. De Paris, 2003 (ISBN2-85162-096-7)
Adrien Loir, A l'ombre de Pasteur - souvenirs personnels, éd. Le mouvement sanitaire, 1938
Marie Nonclercq, « Aperçu de la vie de Béchamp et de son œuvre », Revue d'histoire de la pharmacie, Année 1978, Volume 66, Numéro 239, p. 257-262, Texte intégral en ligne.
Marie Nonclercq, Antoine Béchamp, l'homme et le savant, éd. Maloine, 1982 (ISBN2-224-00854-6)
François Renaud, Willy Hansen et Jean Freney, Dictionnaire des précurseurs en bactériologie, éd. ISKA, 2005 (ISBN2-7472-0710-2)
Yves Robin, Lettre ouverte à Monsieur Louis Pasteur, éd. France Europe Éditions, 2002 (ISBN2-84825-014-3)
Anne de Saint Romain, « Pasteur, les vraies raisons d'une gloire », dans L'Histoire, no 74 (numéro dirigé par Anne-Marie Moulin), p. 40-41 (1984).
Aurore Valérie (alias Madeleine Renault), De Béchamp à Lazzarro Spallanzani, Paris, Maloine, 1963,350 p.
Aurore Valérie, Béchamp et l'évolution européenne, Paris, Maloine, 1958,191 p.
Aurore Valérie, Béchamp et le bon sens, Paris, Maloine, 1958,245 p.