L’abbaye saint Pierre de Senones est une abbayebénédictine fondée à Senones dans le département français des Vosges. De 770 avant la fondation réelle d'une abbaye bénédictine à , la présence de bénédictins de différentes congrégations ou lieux d'origine a marqué ce lieu.
Moutier et église avant l'essor bénédictin
Les circonstances de la création de cette abbaye sont mâtinées de légendes[2]. Selon la tradition hagiographique, Gondelbert, évêque de Sens, fondateur de l'abbaye de Senones[3], est arrivé dans la vallée du Rabodeau vers 640. Le premier document concernant l'abbaye se trouvant dans une copie du cartulaire de Senones est une charte d'immunité accordée par Childéric II vers 661[4]. La charte de Childéric II indique que Senones se trouvait sur la Strata Sarmatorum qui reliait Metz à Schlestadt avant qu'elle soit appelée en 1172 via Salinaria[5].
L'installation bénédictine prend la place d'un moutier proche et surtout d'une minuscule église ou sanctuaire dédié par Gondelbert, père d'un ban mérovingien fondé à la Grande Fosse vers 660. Le ban est, plus qu'un découpage territorial stricte, une assemblée qui légifère et gère des intérêts communs, choisit les administrateurs politiques et religieux en tranchant les différends par un vote responsable à main nue[6].
Un titre royal de fondation, recopié d'une charte originale de 661, confirme l'attribution par le roi d'Austrasie Childéric II d'un périmètre de terres fiscales qui rejoignent les biens communs du ban. Ce ban est toutefois remanié et découpé. Il n'en parvient qu'une partie septentrionale sous le contrôle de l'évêque de Metz.
Charlemagne a nommé Angelramnus abbé et seigneur de Senones, vers 768, ce qui semble montrer qu'à cette époque c'était une abbaye royale. Ce dernier était aussi évêque de Metz. Le diplôme rendu par Louis le Pieux, le , en faveur de Ricbod, abbé de Senones, indique que l'abbaye de Senones dépend de l'évêché de Metz. Dans le traité de Meerssen, l'abbaye de Senones est attribuée à Charles le Chauve[7].
Bénédictins administrateurs
Quelques moines bénédictins s'installent probablement entre 770 et 800 à l'emplacement d'un lieu religieux préexistant ou à proximité d'un sanctuaire vraisemblablement au lieu-dit "Ferme St Siméon". Ce sont surtout des administrateurs qui sont envoyés par Angelramnus, évêque de Metz et archichapelain de l'empereur Charlemagne. Angelram a reçu en 770 en commende le monastère de Senones et les terres du ban qui lui sont associés. Le monastère dont on a chassé les précédents moines est en piteux état. Le territoire est par contre peuplé et assujettis à l'impôt. Mais les biens collectés enrichissent d'abord le commendataire, l'évêque. Néanmoins il semble qu'un monastère naisse, accueillant de vieux bénédictins valeureux. L'institution pauvre reste modeste, connaît même des phases de déclin à la suite de l'introduction de mœurs coupables et d'actes de brigandage de jeunes moines en 894. Les moines pillards ou indignes sont chassés. Momentanément, l'administration du monastère est confié à des chanoines de Metz. Un abandon de la vie religieuse caractérisent les décennies de famines et de désordre qui suivent les pillages hongrois entre 912 et 924.
Une nouvelle institution qui adopte la règle bénédictine renaît après 960. En effet, en 955 le moine de Gorze Adalbert est envoyé pour faire cesser les exactions des moines de Moyenmoutier. Après de nombreuses vicissitudes, son successeur l'abbé Allmann peut lancer une vie spirituelle et intellectuelle en s'appuyant sur de solides rentrées de dîmes, basée sur une administration et une gestion assagie et efficace. L'abbaye de Moyenmoutier devient un modèle que s'empresse d'imiter la petite abbaye de Senones.
L’abbaye s’enrichit et les moines sont obligés de demander la création d'une charge d'avoué pour protéger leurs biens et ceux de l'abbé. Les chevaliers, servant le châtelain de Langstein ou Pierre-Percée à l'époque Pétria Perceia, s'acquittent de cette tâche de surveillance pour le compte de l'évêque de Metz. Après les Langstein, Un conte de Salm épouse Agnès de Langstein et la maison de Salm est choisie par l'évêque Étienne de Bar.
Un village se forme à proximité de l’abbaye (emplacement actuel du lotissement de la Princesse Charlotte), qui devient la petite ville de Senones. L’abbé Antoine de Pavie déplace et reconstruit l'abbatiale au début du XIIe siècle. Il fait édifier la rotonde, chapelle circulaire incluse dans l’église abbatiale aujourd’hui disparue.
L’apogée au siècle des Lumières
Le monastère est radicalement reconstruit au XVIIIe siècle, d'abord l’abbatiat de Dom Calmet, puis sous celui de son successeur. Les bâtiments que l’on voit aujourd’hui datent tous de cette période, à l’exception de trois éléments :
le clocher de l’église, seul élément conservé du XIIe siècle ;
l’église, reconstruite au XIXe siècle, vers 1860 sur l’un des côtés du cloître ;
les maisons individuelles au nord qui remplacent le moulin et un bâtiment agricole.
L’abbaye de Senones vaut par son ensemble architectural relativement bien conservé. Les bâtiments actuels conservent encore la disposition du cloître bénédictin ; la bibliothèque dépouillée de ses livres et des rayonnages en 1793, le logis abbatial et les importants bâtiments d’exploitation sont d’un style sobre et élégant qui ne manque pas d’allure et ont une extension remarquable, marquant la puissance de l’abbaye à son apogée. La fameuse cage d’escalier monumentale, ornée d’une rampe en fer forgé par Jean Lamour, inscrit l’abbaye parmi les plus belles réalisations architecturales du siècle des Lumières.
La petite ville de Senones est devenue capitale princière (de la principauté de Salm-Salm) après le coup d'état de 1751. Dom Calmet est l’abbé le plus célèbre de l’abbaye de Senones. On lui doit une partie du monastère que l’on admire aujourd’hui. Érudit autant qu’homme d’Église, il a réuni plus de 15 000 ouvrages dans la bibliothèque du monastère et est resté célèbre pour sa correspondance avec Voltaire qu’il a reçu en 1754.
L’abbaye de Senones avait dans sa dépendance le prieuré de Ménil à Lunéville et plusieurs paroisses du secteur d'Emberménil.
La sécularisation
En 1793, pendant la Révolution française, les bâtiments abbatiaux sont confisqués et vendus comme biens nationaux. Ils sont rachetés par des industriels qui y installent rapidement des usines textiles.
C'est ainsi qu'en 1806, la première filature mécanique de coton des Vosges, créée par John Heywood est installée dans les bâtiments agricoles de l’abbaye.
Tous les bâtiments abbatiaux serviront à l’industrie textile jusque 1993.
Ils abritent désormais un magasin d’usine, l’office du tourisme et divers services.
L'ancienne église abbatiale, actuellement église paroissiale, est en totalité, sauf la tour qui est classée, inscrite au titre des monuments historiques par arrêté du . Le grand escalier ovale avec sa rampe en fer forgé, les galeries du cloître, les façades et toitures du logis abbatial sont classés par cet arrêté du [1].
↑Laurent Martino, Histoire chronologique de la Lorraine: des premiers Celtes à nos jours, Place Stanislas, , p. 35
↑Remarque : Le nom de Senones serait dérivé de Sens.
↑Voir L'avouerie de l'Abbaye de Senones et la Principauté de Salm (661?-1793), p. 9-10. M. Thouvenot indique que l'original du cartulaire de Senones n'existe plus et n'est connu que par des copies, dont une faite à la demande de dom Augustin Calmet, en 1730, se trouvant aux Archives départementales des Vosges.
↑Abbé Idoux, « Voies romaines de Langres à Strasbourg et de Corre à Charmes », dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 33e année, 1907-1908, p. 152 note 1 (lire en ligne)
↑Ces responsables élus deviennent ainsi les donneurs d'ordre et les porte-paroles responsables devant l'assemblée.
↑L'avouerie de l'Abbaye de Senones et la Principauté de Salm (661?-1793), p. 23-24.
↑Dom Augustin Calmet, « Des abbés de Senones, ordre de S. Benoît », dans Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, qui comprend ce qui s'est passé de plus mémorable dans l' archevêché de Trèves, et dans les évêchés de Metz, Toul et Verdun, depuis l'entrée de Jules César dans les Gaules jusqu'à la mort de Charles V, duc de Lorraine, arrivée en 1690, chez Jean-Baptiste Cusson, Nancy, tome 3, 1728, col. CXCIV-CXCVIII(lire en ligne)
↑Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, série H.226-263. Cartulaires, bulles et chartes concernant Léomont ( fondé en 1048) et l'abbaye de Senones, titres de propriété, procès (1123-1790)
Augustin Calmet, abbé de Senones, Histoire de l'abbaye de Senones manuscrit inédit publié par François Dinago, typographie L. Humbert, Saint-Dié, 1877 ; 439p. (lire en ligne)
Auguste Kroeber, « Chronique de Senones, par Richer. Projet de publication d'une nouvelle édition », dans Annuaire-bulletin de la Société de l'histoire de France, tome 2, 1864, p. 40-43(lire en ligne)
Louis Jouve, « Étude géographique sur le Ban et les possessions de Senones jusqu'au milieu du XIIIe siècle », dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 4e année, 1878-1879, p. 128-172(lire en ligne)
Dom E. Didier-Laurent et D. Thirion d'Anthelupt, « Un document à ajouter à l'histoire de l'abbaye de Senones. Rôle de D. Thirion d'Anthelupt () », dans Bulletin de la Société philomatique vosgienne, 25e année, 1899-1900, p. 367-379(lire en ligne)
M. Thouvenot, L'avouerie de l'Abbaye de Senones et la Principauté de Salm (661?-1793) thèse pour le doctorat en droit, Imprimerie commerciale et industrielle, Bordeaux, 1908 (lire en ligne)
Aurélie Gérard, Dom Augustin Calmet et l'abbaye de Senones : un milieu littéraire, D. Guéniot, Langres, 2012, 951 p. + XXIV p. de pl., (ISBN978-2-87825-472-3) (texte remanié d'une thèse de Langues et littératures françaises, Nancy 2, 2008)
Damien Parmentier, Abbayes des Vosges : quinze siècles d'histoire, La Nuée Bleue, Strasbourg ; Éditions Serpenoise, Metz, 2012, 256 p. (ISBN978-2-7165-0790-5)
Dominique Dantand, Chronique de Richer, moine de l'bbaye de Senones Lorraine - XIIIe siècle, Cayon-Liébault, 2013
Gilles Banderier, « Richer de Senones. La chronique de Richer, moine de l’abbaye de Senones », dans Revue d'Alsace, 2914, no 140 (lire en ligne)