Il est surnommé familièrement « Tucho » par ses proches[1].
Biographie
Jeunesse et formation
Víctor Manuel Fernández est né dans une famille de commerçants le 18 juillet 1962 à Alcira Gigena, une petite ville de 5 000 habitants située à une quarantaine de kilomètres de Río Cuarto dans la province de Córdoba[2]. Son père Emilio, décédé en 1978, est un fervent partisan du leader radical Raúl Alfonsín. La même année Víctor Manuel Fernández entre au séminaire archidiocésain de Córdoba[2].
Il s'installe à Buenos Aires pour compléter ses études à la Faculté de Théologie de l'Université catholique argentine (UCA) et est ordonné prêtre en 1986. À l'instigation de l'évêque de Río Cuarto Adolfo Aranase, il part pour Rome afin de se spécialiser en études bibliques à l'Université pontificale grégorienne[2]. Tant à Rome qu'à Cordoue ou Buenos Aires, il consacre ses week-ends à travailler dans des paroisses populaires de la périphérie et rencontre le prêtre jésuite Pablo Tissera qui devient son directeur spirituel[2].
Prêtre
Fernández travaille comme éducateur au séminaire de Río Cuarto jusqu'en 1993 puis à nouveau à partir de 2000, après avoir reçu entre temps la charge de la paroisse de Santa Teresita[3]. Il enseigne dans le même temps deux jours par semaine au séminaire métropolitain du quartier de Villa Devoto à Buenos Aires et est sollicité par l'épiscopat argentin pour présenter les défis pastoraux que soulève la culture actuelle dans la formation des prêtres et des agents pastoraux[2]. Il fonde et dirige au milieu des années 1990 un centre de formation pour les laïcs et les enseignants[4], l'institut Jesús Buen Pastor[3].
En 1995, il publie un livre : Guéris-moi avec ta bouche, L'art d'embrasser (Saname con tu boca, El arte de besar)[5], qui lui vaut depuis les surnoms d' « El Tucho besame mucho (El Tucho m'embrasse beaucoup) » ou d' « Expert du baiser »[6].
Remarqué par le cardinal Jorge Bergoglio pour ses qualités d'écriture, Víctor Manuel Fernández est invité en tant qu'expert à la cinquième Conférence générale des évêques latino-américains, qui se tient en 2007 au sanctuaire marial d'Aparecida[7]. Il y aurait été remarqué pour sa capacité à inclure dans les textes des positions considérées comme étant « complètement opposées »[5]. Fernandez est considéré un « modèle du théologien pastoral » et s'inscrit dans le courant de la « théologie du peuple »[8] à la suite de Lucio Gera, Carlos Galli et Juan Carlos Scannone(es)[9].
Recteur de l'Université catholique argentine
À partir de la rencontre d'Aparecida de 2007, Fernández et le cardinal Bergoglio entretiennent une étroite collaboration. Ainsi, Fernández devient doyen de la faculté de théologie de l'UCA de 2008 à 2009, mais sa nomination par le cardinal Bergoglio comme recteur de l'université se heurte à une forte opposition de la part de la Curie romaine. Fernández ne prend sa charge qu'en 2011, après avoir répondu aux préoccupations de la Congrégation pour la Doctrine de la foi concernant l'orthodoxie de certains éléments de son enseignement[10], et après que le cardinal Bergolio ait dû se rendre lui-même à Rome pour débloquer la situation[11],[12].
Lorsque François devient pape en 2013[13], il nomme immédiatement Fernández archevêque titulaire de Tiburnia(de)[7]. Selon Catholic News Agency, Fernández a été « moins que gracieux » dans quelques articles en présentant cette nomination comme une victoire et en dénigrant ses critiques avec des « mots très méchants »[5]. La croix pectorale de Fernández est la copie conforme de celle du pape François, signe d'un lien très étroit[14],[15].
Toujours en 2013, le nouveau pape lui confie la rédaction de sa première exhortation apostolique, Evangelii gaudium, où Fernández insère une référence à un de ses propres textes (note 207[16]) sur un aspect mineur au milieu de textes magistériels[17].
Considéré comme la plume de François[4],[12] et le « meilleur interprète de la pensée » du pape[18], il est aussi le principal rédacteur de la version finale de textes importants[Lesquels ?] dont l'encyclique Laudato si' et l'exhortation apostolique Amoris lætitia[9],[12]. Le journal américain Crux(en) et le journaliste italien Sandro Magister font remarquer que plusieurs paragraphes-clés d'Amoris laetitia sont presque directement tirés de textes de Fernández[17],[19].
En 2015, son livre Théologie spirituelle incarnée (Theología espiritual encarnada) apparait dans la série argentine Esperanza mía, entre les mains de la religieuse ayant une relation amoureuse avec un prêtre[20].
En 2017, Víctor Manuel Fernández préside la Commission épiscopale pour la foi et la culture au sein de la Conférence épiscopale argentine[25].
Archevêque de La Plata
Bien qu'il soit considéré comme une figure controversée de l'épiscopat argentin[5], le pape pape François le nomme en juin 2018 à la tête du second plus important siège épiscopal du pays : l'archidiocèse de La Plata[25]. Il y remplace Héctor Rubén Aguer(en), archevêque dans la ligne de Jean-Paul II et Benoît XVI, dont le séminaire et l'université étaient considérées comme étant les plus orthodoxes du pays[5].
Sa mauvaise gestion de cas d'abus sexuels est critiquée dans la presse[26],[27],[28].
Dicastère pour la Doctrine de la foi
Le , bien qu'il n'ait jamais été cité dans la presse parmi les favoris à la fonction[13] (la plaisanterie « il serait capable de nommer Tucho » aurait cependant été assez répandue au Vatican[29]), Víctor Manuel Fernández est nommé par le pape François à la tête du dicastère pour la Doctrine de la foi[4]. Considéré comme étant sur la même ligne que le pape tant sur le plan pastoral que théologique (Fernández affirmant pourtant être, « sur de nombreux aspects », « plus progressiste que le pape »[5]), c'est le premier compatriote que François nomme à un poste d'importance à la Curie[13]. Le choix par François d'une personnalité décrite comme un « profil de rupture »[4], est interprétée par le vaticaniste Gerard O'Connell comme « l'indication la plus claire à ce jour de la détermination du pape à poursuivre sur la voie du renouveau théologique et pastoral de l'Église catholique dans la mise en œuvre des enseignements du concile Vatican II »[13]. Fernández aurait refusé cette nomination une première fois[12].
Dans la lettre « très inhabituelle »[30] du pape François qui accompagne l'annonce de cette nomination, le souverain pontife incite le nouveau préfet à « veiller sur l’enseignement » de l’Église « mais pas comme des ennemis qui montrent du doigt et condamnent ». Il entend que le nouveau préfet rompe avec « d’autres époques où des méthodes immorales ont été utilisées (...) [des] époques où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d’éventuelles erreurs doctrinales »[4]. L'évêque de Rome préconise au contraire que « [la] tâche [du nouveau préfet] est exprime que l’Église encourage le charisme des théologiens et leur effort de recherche théologique à condition qu’ils ne se contentent pas d’une théologie de bureau, d’une logique froide et dure qui cherche à tout dominer », insistant sur son attachement à développer « une pensée capable de présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne et qui sauve »[4].
Selon le rédacteur en chef du quotidien milanais Il Foglio, Victor Manuel Fernández a donné en une semaine (à la suite de sa nomination en tant que préfet du dicastère pour la doctrine de la Foi) plus d'interviews que Benoît XVI pendant les 24 années qu'il a passées au même poste. Ses multiples interviews auraient pour but de se défendre contre les diverses attaques concernant ses positions sur l'homosexualité, ses compétences théologiques, et de justifier ses critiques des "anciennes méthodes" du dicastère pour la doctrine de la Foi[31].
Prises de position et polémiques
Gestion controversée d'abus sexuels en Argentine
Le , un journal argentin d'extrême-gauche, La Izquierda Diario(en), qualifie Fernández de « dissimulateur de pédophiles » et affirme qu'il aurait clairement joué un rôle de dissimulation pour 11 cas d'abus par des prêtres[26],[27].
Le , le National Catholic Reporter relaie le communiqué du site BishopAccountability, une base de données en ligne nord-américaine qui documente depuis 2003 les abus sexuels de la part de membres du clergé. L'association dénonce la gestion en 2019 par Víctor Manuel Fernández des plaintes contre un prêtre de l'archidiocèse de La Plata accusé en 2008 d'abus sexuels sur de jeunes garçons. Il aurait fermement soutenu le prêtre et refusé de croire les victimes. Le prêtre s'était donné la mort en 2019 quelques heures après qu'un juge avait émis un mandat d'arrêt à son encontre, selon l'association qui juge « troublante et déconcertante » la nomination par le pape François de Fernández[28].
Polémiques sur deux ouvrages anciens
Son livre de 1995 Guéris-moi avec ta bouche : l’art d’embrasser refait surface en septembre 2023 lors de sa nomination à la tête du Dicastère pour la doctrine de la foi : il fait l’objet de critiques en raison de ses connotations érotiques[32],[33]
Dans le contexte de la publication de Fiducia supplicans, c'est un autre livre de 1999, Passion mystique : spiritualité et sensualité, qui fait également polémique en janvier 2024. Son contenu est révélé sur différents blogs conservateurs et traditionalistes. Fernández y évoque des figures de saintes dont il souligne le caractère sexuel de leurs expériences mystiques. Dans l'un des chapitres, l'auteur imagine une scène sensuelle entre Jésus et une adolescente de 16 ans. Dans un autre, il « décrit, avec force détails, les caractéristiques de l’orgasme féminin et masculin, s’appuyant notamment sur la description des organes génitaux de l’homme et de la femme, et mettant en lien le plaisir sexuel avec cet « orgasme mystique », qu’il a décrit auparavant. »[33],[32],[34].
Bénédiction des couples de même sexe
Dans une interview donnée en juillet 2023 au site InfoVaticana(en), Fernández se dit ouvert à la bénédiction de couples homosexuels, à condition d'éviter « les rituels ou les bénédictions qui pourraient alimenter une confusion » avec le mariage d'un homme et d'une femme[35]. Il affirme le même mois dans une interview à l'hebdomadaire The Catholic Herald que « la doctrine de l'Évangile ne change pas, mais [que sa] compréhension change, et change beaucoup »[36].
Fin décembre 2023, il signe la déclaration Fiducia Supplicans (précédemment approuvée par le pape), permettant de bénir les couples en situation irrégulière dont les couples de même sexe. Ce texte suscite une polémique ainsi qu'une vague de rejet au sein de l'Eglise catholique, en particulier parmi les évêques Africains[37],[38],[39].
Rôle du dicastère pour la doctrine de la foi
En 2015, en réaction à la déclaration du cardinal Gerhard Müller qui affirme que « [le] préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi [a] la responsabilité de l’unité dans la foi » et qu'il a « une mission de structuration théologique d’un pontificat »[40], Fernandez développe sa conception personnelle du rôle du dicastère :
« (...) certains disent que la curie romaine est une partie essentielle de la mission de l’Église, ou qu’un préfet du Vatican est la boussole assurée qui prévient l’Église de tomber dans une pensée superficielle ; ou que ce préfet assure l’unité de la foi et garantit le sérieux de la théologie du pape. Mais les catholiques, qui lisent l’Évangile, savent que le Christ a assuré une assistance spéciale et une lumière pour le pape et pour les évêques tous ensemble, mais non pour un préfet ou une autre structure. En entendant de telles choses il semble que le pape n’est que leur représentant, ou quelqu’un qui cause du trouble et qui a besoin d’être contrôlé. »[41]
Rôle du pape et des évêques
Le , il déclare que les évêques (tant « progressistes » que ceux issus de « groupes traditionalistes ») qui pensent avoir un « don spécial du Saint-Esprit pour juger la doctrine de la foi du Saint-Père » sont sur la voie de « l’hérésie » et du « schisme »[42]. Le , le cardinal Mûller (à la tête du même dicastère entre 2012 et 2017) qualifie, lui, d'« hérétique » et de « carriériste » la position selon laquelle Dieu ne se révélerait qu'au pape François à travers le Saint-Esprit et que les évêques n'auraient qu'à « répéter aveuglément ces illuminations célestes »[43].
Publications
Víctor Manuel Fernández est l'auteur de plus de 300 publications, dont en 2014 Ce que nous dit François, un livre d'entretien avec le journaliste Paolo Rodari, ouvrage qui a un impact important dans les milieux catholiques européens[44]. Le dialogue entre la théologie et la culture contemporaine constituent le fil conducteur de ses publications, avec une importance accordée aux questions sociales[4].
(es) Víctor Manuel Fernández, Los cinco minutos del Espíritu Santo : Un camino espiritual de vida y de paz, Editorial Claretiana, (ISBN978-987-762-075-7).
Víctor Manuel Fernández, Se libérer de la tristesse et des idées noires, Salvator, (ISBN978-2-7067-1964-6).
Víctor Manuel Fernández, Se libérer des attachements et des obsessions, Salvator, (ISBN978-2-7067-1878-6).
Víctor Manuel Fernández, Se libérer des difficultés familiales, Salvator, (ISBN978-2-7067-1876-2).
Victor Manuel Fernandez, « Rencontre », dans Collectif, Pape François : Lexique, Paris, Cerf, coll. « Spiritualité », (ISBN9782204127394), p. 377 et ss.
Víctor Manuel Fernández, Chapitre VIII de « Amoris laetitia » : Le bilan après la tourmente, Parole et Silence, (ISBN978-2-88918-589-4).
(en) Victor Manuel Fernández et Paolo Rodari, The Francis Project : Where He Wants to Take the Church, Paulist Press, (ISBN978-1-58768-575-0).
(pt-BR) Victor Manuel Fernández, Para curar a angústia causada pelos outros, Paulus, (ISBN978-85-349-3577-7).
Victor Manuel Fernandez et Paolo Rodari, Ce que nous dit François, éditions de l'Atelier, (ISBN978-2-7082-4271-5).
(es) Victor Manuel Fernández, Cuando amar duele, Dabar, , 94 p. (ISBN978-9706520548).
(es) Víctor Manuel Fernández, La pasión mística: espiritualidad y sensualidad, Mexico, Dabar, coll. « Espiritualidad », , 94 p. (ISBN978-9706520524).
(es) Víctor Manuel Fernández, Sáname con tu boca: El arte de besar, Buenos Aires, Lumen, coll. « Vida feliz », (ISBN978-950-724-510-7, lire en ligne).
↑« L'Argentin Mgr Víctor Manuel Fernández à la tête du dicastère pour la Doctrine de la foi. », RCF, (lire en ligne, consulté le )
↑ a et b(en) Hannah Brockhaus, « Pope Francis appoints Argentine Archbishop Fernández as head of doctrine dicastery », Catholic News Agency, (lire en ligne, consulté le )
↑La « théologie du peuple » est un courant théologique qui s’est élaborée dans l’Argentine péroniste, tandis que c'est plutôt la théologie de la libération qui s'est développée dans le reste de l’Amérique latine.
↑ a et b(en) Hannah Brockhaus, « Pope Francis names personal theologian Archbishop Victor Manuel Fernandez to Argentine archdiocese », Catholic News Agency, (lire en ligne, consulté le )
↑ abc et d(en) Gerard O’Connell, « Pope Francis appoints Archbishop Victor Manuel Fernandez as the new head of Vatican office for doctrine », America Magazine, (lire en ligne, consulté le )
↑(de) « Barrieren abbauen: Ein Gespräch mit dem Präfekten der Glaubenskongregation Kardinal Gerhard Ludwig Müller » [« Faire tomber les barrières : Un entretien avec le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi »], Herder Korrespondenz, no 6, , p. 17-22 (lire en ligne, consulté le )
↑(de) Giuseppe Nardi, « Ist der neue Glaubenspräfekt „häretisch“? » [« Le nouveau préfet pour la Doctrine de la Foi est-il "hérétique" ? »], sur Katholisches, (consulté le )
↑ a et b(en) Frances D'Emilio, « Bishop named to Vatican office handling sex abuse complaints discounted some victims, US group says », National Catholic Reporter, (lire en ligne)
↑(es) Elisabetta Piqué, « Ataque conservador a “Tucho” Fernández”: reflotan un libro que escribió hace 25 años sobre el orgasmo », La Nación, (lire en ligne)
↑(en-GB) Elise Ann Allen/ Crux, « EXCLUSIVE: I'm here to enforce the 'recent' Magisterium, says Archbishop Fernández », Catholic Herald, (lire en ligne, consulté le )
↑« Fiducia supplicans: des évêques d’Afrique donnent des orientations », Vatican News, (lire en ligne, consulté le )
↑Pascal Simon, « Bénédiction des couples de même sexe : les précisions des évêques de l’ouest », Ouest-France.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑« Le Vatican se justifie pour les bénédictions de couples homosexuels », RFI, (lire en ligne, consulté le )
↑Ignace Berten, « Miséricorde et doctrine : Enjeux théologiques et ecclésiologiques du synode sur la famille », Revue d'éthique et de théologie morale, vol. 287, no 5, , p. 33 (ISSN1266-0078, DOI10.3917/retm.287.0009)
↑Interview dans le Corriere della Sera du 10 mai 2015, cité par Berten 2015