Le tata de Chasselay, officiellement nécropole nationale de Chasselay, est un cimetière militaire de la Seconde Guerre mondiale, située sur le territoire de la commune de Chasselay dans le département du Rhône, au lieu-dit du « Vide-Sac ».
Y sont inhumés 196 personnes (188 tirailleurs originaires de différents pays d'Afrique de l'Ouest, 6 soldats d'Afrique du Nord, et 2 légionnaires), tous massacrés par l'armée allemande en . D'après les photographies retrouvées en , il semblerait que ce massacre soit imputable à la 10e Panzerdivision de la Wehrmacht, imprégnée de propagande raciste.
Cette nécropole a été construite selon le style d'architecture de l'Afrique de l'Ouest. Le mot tata est d'origine mandingue[1]. Dans cette langue et d'autres comme le wolof, il signifie « enceinte fortifiée », mais ici il prend le sens d'« enceinte sacrée » dans laquelle on enterre les guerriers morts au combat selon la conception du constructeur du lieu, Jean-Baptiste Marchiani[2],[3].
La défense s'organise, le , à Chasselay, village situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Lyon. Des barricades sont dressées, grâce aux soldats du 405e RADCA de Sathonay, du 25e régiment de tirailleurs sénégalais, de légionnaires et aussi avec l'aide de civils.
N'ayant rencontré que très peu de résistance depuis Dijon, les Allemands arrivent le , près du couvent de Montluzin. De durs et violents combats entre troupes allemandes et françaises se soldent par 51 morts dont une civile du côté français, et plus de 40 blessés pour les Allemands.
Massacre de Chasselay
Le , à l'issue d'une deuxième bataille, au château du Plantin, les prisonniers, au nombre d'environ 70, sont divisés en deux groupes, les soldats français blancs d'un côté, les Noirs de l'autre.
Après avoir parcouru deux kilomètres à pied, les soldats français sont allongés dans l'herbe sous la menace de leurs gardes armés[4]. Le long d'un pré, ils assistent au massacre des soldats sénégalais par des mitrailleuses et pour certains écrasés par les chars d'assaut[5]. Le capitaine Gouzy tente de s'interposer pour protéger ses hommes et reçoit une balle allemande dans le genou[6]. Les Français blancs sont emprisonnés à Lyon. Deux jours durant, les Allemands recherchent les soldats des colonies que les habitants cachent et soignent. Une fois capturés, ces soldats seront brûlés vifs ou exhibés en trophées sur les chars de combat[6].
Horrifiés par le massacre, les habitants de Chasselay enterrent les corps des Africains : dès le lendemain, une soixantaine de volontaires procèdent à l'inhumation des soldats dans une fosse commune. Les effets personnels sont rassemblés pour procéder à l'identification des victimes.
Responsabilités du massacre
En l'absence d'indice, le massacre est d'abord attribué à la 3e division SS Totenkopf (« tête de mort »). En , l’historien Raffael Scheck pense que les chars ayant participé au massacre ne sont pas forcément issus de cette division SS comme souvent supposé, mais peuvent être des chars régimentaires de la division d'infanterie mécanisée Großdeutschland, ou encore de la 10ePanzerdivision, envoyés en renfort du fait de la résistance inattendue des Français[7].
L'acquisition en par un collectionneur français d'un album de photographies proposées à la vente sur internet par un brocanteur allemand permet de lever le doute sur les coupables de ces exactions : sur une double page de l'album, 8 clichés montrent le déroulement du massacre d'une colonne de prisonniers français noirs. L'historien Julien Fargettas, avec qui le collectionneur a pris contact, fait le rapprochement avec le massacre de Chasselay et attribue avec certitude ce crime à « deux chars de la 2e section de la 3e compagnie du 8e régiment de Panzer, intégrés à la 10ePanzerdivision »[8], confirmant une des hypothèses émises par Scheck[9],[10]. L'analyse de ces clichés permet aussi d'invalider l'hypothèse de la mise à mort de combattants par écrasement à l'aide des chars[11].
Cette découverte donne lieu à une nouvelle série d'articles dans la presse rappelant le massacre[4],[12],[13].
Construction du tata et postérité
Jean Marchiani, vétéran de la Première Guerre mondiale et secrétaire général de l'Office départemental des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation, mobilise les anciens combattants locaux pour leur rendre hommage. N'ayant pas réussi à obtenir un financement de la part du gouvernement de Vichy, il finance lui-même l'achat du pré[14]. D'abord réticent à un hommage qui pourrait froisser les Allemands, Vichy autorise finalement le regroupement des corps en , au moment où les colonies d'Afrique sont peu à peu reprises par la France libre[4]. Jean Marchiani fait alors construire une nécropole, sur le modèle des constructions du Soudan français (actuel Mali), réalisé en terre et de couleur rouge ocre, pour rassembler les corps des soldats tombés lors des massacres de et enterré à la hâte en divers endroits. Le Tata est finalement inauguré le [15], 3 jours avant l'invasion de la zone libre. Il comporte 196 tombes, 194 soldats coloniaux (dont six maghrébins) et deux légionnaires, un Russe et un Albanais[6].
En et , l'enceinte, qui avait souffert des outrages du temps, fait l'objet d'une rénovation. Dalles et tombes sont également rafraîchies[19], ainsi que le portail et les masques dont il est orné[19].
Le [9], Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées rend hommage aux tirailleurs sénégalais au tata : « Cette nécropole symbolise une part de l’histoire militaire de notre pays et rappelle constamment le sacrifice des combattants africains. Le Tata de Chasselay est une sentinelle de la mémoire partagée entre la France et l’Afrique, un dépositaire de nos histoires entremêlées ; un gardien des liens indéfectibles entre les rives de la Méditerranée… Les combattants africains ont payé un lourd tribut pour défendre une terre lointaine »[6].
Ce cimetière de 785 m2, de forme rectangulaire, est d'architecture néo-soudanaise[20]. Il abrite 198 stèles identiques dont 2 sont dédiées à la mémoire des soldats français morts le , et les 196 stèles autres sont marquées des noms des tirailleurs morts, sauf 50 où il est indiqué « Inconnu »[2]. Elles sont entourées de murs d'enceinte de 2,80 mètres de hauteur, de couleur ocre, dont le porche et les tourelles aux quatre angle sont surmontés de pyramides quadrangulaires bardées de pieux. Le portail à claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.
On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française lors de l'inauguration du lieu le [21].
Le drapeau tricolore implanté en son centre « matérialise [...] les sentiments de la reconnaissance nationale »[2].
« Splendide unité qui sous les ordres du Capitaine Gouzy, chef résolu, énergique et brave, a fait preuve des plus hautes qualités militaires en assurant sans défaillance et dans des conditions particulièrement difficiles, la défense du terrain confié à sa garde.
Les et au Château de Montluzin et à Chasselay, complétement encerclée et assaillie par des forces très supérieures en nombre et en moyens, comportant notamment de l'artillerie et des chars, s'est maintenue sur place pendant deux jours. N'a succombé dans cette lutte inégale qu'après avoir opposé une résistance farouche et causé des pertes sévères à l'ennemi. A poussé l'héroïsme jusqu'au sacrifice total.
Le ont été ajoutées deux plaques commémoratives portant les noms de 25 tirailleurs jusqu'à cette date inconnus[22]. Un communiqué de presse des armées affirme que ces 25 tirailleurs ont été identifiés grâce à des recherches génétiques. Les services du ministère ont reconnu ensuite qu'aucune recherche génétique n'a été menée et a déclaré que ce communiqué a été diffusé par erreur[23],[24]. Les travaux historiques conduits par Julien Fargettas établissent le parcours de ces 25 tirailleurs[11]. Depuis, l'historienne Armelle Mabon a entamé des démarches auprès du tribunal administratif pour demander le retrait de ces plaques malgré la joie de cette reconnaissance formulée par certains descendants[25].
Postérité
Films
Le Tata, Paysage de pierres, documentaire de 60 min de Patrice Robin et Eveline Berruezo ().
Le cimetière Tata, mémoires des tirailleurs sénégalais, documentaire de Rafael Gutierrez et Dario Arce (). Le cimetière Tata est le point de départ d'un film qui questionne l'histoire de la France coloniale comme celle des héros oubliés ou instrumentalisés. Une histoire encore problématique aujourd'hui. Il a été produit par la société C Productions Chromatiques, de Lyon.
Théâtre
Tam-tam au Tata : Évocation théâtrale de l'ombre d'un soldat inhumé au Tata sénégalais de Chasselay (Rhône) par Jacques Bruyas ().
Cérémonie annuelle au cimetière de Chasselay durant la Seconde Guerre mondiale, avec notamment Alexandre Angeli, préfet du Rhône.
Cérémonie au cimetière de Chasselay.
Masques sur le portail du tata de Chasselay.
Notes et références
↑(en) Sirio Canós-Donnay, Fluid fortresses in changing states: Tàta in southern Senegal (13th–19th centuries AD), Dr. Rudolf Habelt, (ISBN978-3-7749-4374-2, lire en ligne).
↑Bakari Kamian, Des tranchées de Verdun à l'église Saint-Bernard : 80 000 combattants maliens au secours de la France, 1914–18 et 1939–45, Paris, Karthala, , 468 p. (ISBN2-84586-138-9), p. 206 [lire en ligne].
Julien Fargettas, : Combats et massacres en Lyonnais, Paris, Éditions du Poutan, , 190 p. (ISBN978-2-37553-075-7).
William Robin-Detraz, Le Tata sénégalais de Chasselay : Ancrage spatial et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais (mémoire de master 1 en Sciences sociales), Lyon, ENS de Lyon, , 112 p. (lire en ligne [PDF]).
William Robin-Detraz, « Haut-lieu et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais : Le Tata de Chasselay (69) », Bulletin de l'association des géographes français, vol. 97, no 3, , p. 280–303 (DOI10.4000/bagf.6883, lire en ligne).
Raffael Scheck (trad. de l'anglais américain par Éric Thiébaud), Une saison noire : Les massacres de tirailleurs sénégalais, – , Paris, Tallandier, , 287 p. (ISBN978-2-84734-376-2).
Yérim Thiam-Sabine, « Le tata sénégalais de Chasselay : Une architecture néo-soudanaise en France », dans Mémoires africaines (congrès), Lyon, musée des Confluences, (HALhal-04306394).