Selon l'historien Ammien Marcellin, Silvanus était fils de Bonitus, chef franc qui servit Constantin Ier contre Licinius[7]. Il s'agirait donc d'un émigré germanique de seconde génération, semble-t-il d'éducation romaine. Sa mère était d'origine incertaine[8], une devineresse franque selon Michel Rouche[9], une aristocrate romaine originaire de Campanie selon Jean-Pierre Poly, peut-être une parente de Marcus Ulpius Silvanus Gennadus[8]. Pour Jean-Pierre Poly, qui l'appelle « Claudio Silvanus », son premier nom, germanique, était « hypocoristique d'un nom bâti avec un premier radical Hlud- ». Quant à « Silvanus », il lui venait peut-être du général qui commandait à Cologne sous le règne de Gallien en 258-260[5].
Tribun[8] de la schola des armaturae (tribunus scholae armaturarum) en Gaule, une unité de la garde lourdement armée (celle des instructeurs)[5],[4], il abandonna l'armée de l'usurpateur Magnence avec ses cavaliers quelques jours avant la bataille de Mursa () pour prendre le parti de Constance II, contribuant ainsi à la victoire de ce dernier. Ce ralliement favorisa sa carrière et celle de son fils, qui apparaissait comme un fidèle soutien du trône impérial[8].
À partir de 352-353[10], Silvanus acquit la dignité de comes et remplit les fonctions de magister peditum et equitem per Gallias (maître de l'infanterie et de la cavalerie en Gaule)[8]. Incapable de rétablir l'ordre au nord de la Gaule, Constance II s'était résolu à le nommer maître de la milice en Gaule, alors qu'il n'avait guère dépassé la trentaine (il est qualifié d'adulescentior — « encore assez jeune » — en 353)[5]. À la tête de 8 000 auxiliaires[11], il passa par Augustodunum en 354, dégagea Augusta Treverorum, menacée par les Alamans de Chnodomar et installa à Colonia Claudia Ara Agrippinensium (Cologne) son quartier général[12],[13],[14].
Procès et usurpation
En 355, alors qu'il combattait les Francs sur le Rhin, il fut victime d'une cabale d'officiers. À l'instigation de plusieurs personnalités, entre autres un collègue jaloux — le maître de cavalerieFlavius Arbitio (également d'origine franque) — et le préfet du prétoire des Gaules Caius Caeionius Volusianus Lampadius, Dynamius, un personnage de basse extraction (il s'occupait, selon Ammien Marcellin, des bêtes de somme de l'empereur), falsifia des lettres signées de Silvanus invitant à un complot pour usurper le trône impérial, et ils les présentèrent à Milan à l'empereur Constance II[8].
Un groupe d'aristocrates, composé majoritairement d'officiers de rang inférieur, francs ou d'origine franque, mais aussi de potentes originaires de Campanie prirent sa défense et réclamèrent l'ouverture d'une enquête[8]. Parmi eux, deux officiers francs, Malarichus, tribun commandant une unité de la garde, les Tribaux (Gentiles Franci), et Mallobaud, successeur de Silvanus au poste de tribun des scholes palatines[8],[15], se proposèrent d'établir l'innocence de Silvanus, l'un se constituant otage tandis que l'autre partait pour ramener Silvanus à Rome, afin qu'il puisse se défendre.
Après diverses machinations, les faussaires furent confondus, mais Silvanus, affolé et mal informé, craignant d'être condamné pour traîtrise, se fit proclamer Auguste (sous le nom d'Imperator Caesar Claudius Silvanus Augustus[16]) à Colonia Claudia Ara Agrippinensium par ses soldats le (selon Ammien Marcellin), quatre jours après le paiement de leurs arriérés[17].
Assassinat
Une petite délégation partie de Milan, commandée par Ursicin et comprenant Ammien Marcellin, se rendit à Colonia Claudia Ara Agrippinensium, fit semblant de rendre hommage à Sylvain et suscita son assassinat en soudoyant quelques soldats — des Brachiati et des Cornuti appartenant aux troupes auxiliaires[17]. Attaqué dans son palais, le matin, alors qu'il se rendait à la messe par une bande de rebelles qui massacrèrent sa garde du corps, Sylvain fut arraché de la chapelle chrétienne où il s'était réfugié en toute hâte et massacré[18],[6],[19],[20].
Parmi les fidèles de Sylvain, Ammien Marcellin signale Proculus, son assistant privé (domesticus Siluanus), Pœménius, vraisemblablement un ami Franc (qui avait été choisi par ses compatriotes pour défendre la plèbe quand les Trévires fermèrent les portes de leur cité au frère de Magnence, le César Magnus Decentius), et les comes Asclépiodote, Lutto et Maudio[21], les deux derniers d'origine franque[22]. Ils furent torturés et exécutés avec d'autres de ses partisans[23].
Né dans les années 340, son fils serait resté en disgrâce jusque dans les années 370, quand l'empereur, entreprenant de lutter contre les Alamans, accorda son pardon[15].
Postérité
Le César Julien, qui reprit peu après l'administration de la Gaule, affirma dans le panégyrique qu'il dédia à l'empereur que celui-ci épargna les proches et le jeune fils de Sylvain[24]. Néanmoins, Ammien Marcellin rapporta la mise à la torture de l'appariteur de Sylvain, qui y résista et innocenta Sylvain de tout complot, et l'exécution de plusieurs personnages importants[25].
L'historien Eutrope cite brièvement sa révolte en Gaule entre la chute de Magnence et la nomination de Julien comme César, sur moins de trente jours[26].
Paul Petit voit dans ce tragique épisode un indice des tensions entre les militaires occidentaux et les fonctionnaires civils de la cour impériale à Milan[27]. De leur côté, Héloïse Harmoy Durofil et Lellia Cracco Ruggini y voient un exemple de solidarité et de jalousies ethniques : on compte un officier d'origine franque, Flavius Arbitio, jaloux de ses succès militaires qui lui valent la faveur impériale, et un aristocrate romain, Caius Caeionius Volusianus Lampadius, parmi ceux qui le dénoncent ; et, si un groupe d'officiers inférieurs francs ou d'origine franque le soutient, il trouve également un appui au sein de l'aristocratie romaine d'origine campanienne, liée peut-être à ses origines maternelles[8],[4].
Notes et références
↑Sir George Francis Hill, A handbook of Greek and Roman coins, Macmillan and co., limited, 1899, 295 pages, p. 239.
↑Le gentilice Flavius — celui de la dynastie constantinienne — se diffuse parmi les personnalités franques qui émergent à partir du règne de Constance II. Voir Lellia Cracco Ruggini, « Les généraux francs aux IVe et Ve siècles et leurs groupes aristocratiques », in, Michel Rouche, Baptême de Clovis, son écho à travers l'histoire, vol. 1 de Clovis: histoire & mémoire, Presses Paris Sorbonne, 1997, 929 pages, p. 677 (ISBN2840500795).
↑Voir Pierre Hadot, Marius Victorinus, Études augustiniennes, 1971, 422 pages, p. 36 ; Robin George Collingwood, Sir Ian Archibald Richmon, The archaeology of Roman Britain, Methuen, 1969, 350 pages, p. 333 (ISBN041627580X) ; Lesley & Roy A. Adkins, Handbook to life in ancient Rome, p. 33 ; Samuel N. C. Lieu, The Emperor Julian: panegyric and polemic, Liverpool University Press, 1989, 146 pages, p. 24, note 43 (ISBN0853233764), qui signale « claudius » comme hypothétique.
↑ ab et cLellia Cracco Ruggini, « Les généraux francs aux IVe et Ve siècles et leurs groupes aristocratiques », in, Michel Rouche, Baptême de Clovis, son écho à travers l'histoire, 1997, p. 673-688.
↑ a et bDavid L. Vagi, Coinage and history of the Roman Empire, c. 82 B.C.--A.D. 480, vol. 1, Taylor & Francis, 2000, 1350 pages, p. 506 (ISBN1579583164).
↑Tentant de reconstituer le parcours de sa famille, John F. Drinkwater — The Alamanni and Rome 213-496 (Caracalla to Clovis), Oxford University Press, 2007, 408 pages, p. 151-152 (ISBN0199295689) — suppose que le grand-père de Bonitus faisait partie des chefs barbares qui lancèrent des raids sur l'Empire romain après la capture de Valérien, que son père aurait été mis au pas sous la Tétrarchie, fournissant des troupes à l'Empire et laissant son fils en otage.
↑ abcdefghi et jHéloïse Harmoy Durofil, 2005, p. 390-392.
↑Curieusement, dans le Code théodosien est inscrite une loi adressée par l'Imp. Constantius A. ad Silvanum comitem et magistrum militum et datée du . Voir David G. Wigg, Münzumlauf in Nordgallien um die Mitte des 4. Jahrhunderts n. Chr: numismatische Zeugnisse für die Usurpation des Magnentius und die damit verbundenen Germaneneinfälle, volume 8 de Studien zu Fundmünzen der Antike, Akademie der Wissenschaften und der Literatur (Germany). Kommission für Geschichte des Altertums, Gebr. Mann Verlag, 1991, 544 pages, p. 26 (ISBN3786115958).
↑Isabelle Crété-Protin, Église et vie chrétienne dans le diocèse de Troyes du IVe au IXe siècle, Presses universitaires du Septentrion, 2002, 446 pages, p. 44 (ISBN2859397531) ; John F. Drinkwater, 2007, p. 212-213 ; Walter Hamilton, Andrew Wallace-Hadrill, 1986, p. 89.
↑André Piganiol, L'Empire chrétien (325-395), Presses universitaires de France, 1972, 501 pages, p. 104.
↑Voir Alain Rebourg, Christian Goudineau, Autun antique, Éditions du patrimoine, 2002, 128 pages, p. 43 (ISBN2858226938) ; Matthieu Pinette, Alain Rebourg, Autun, Saône-et-Loire, ville gallo-romaine, Musée Rolin et Musée lapidaire, Ministère de la culture et de la communication, Direction du patrimoine, 1986, 118 pages, p. 20 (ISBN2110809078).
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