Six vilayets

Les Six vilayets[1],[2],[3] (en turc ottoman : ولايت سته, Vilâyat-ı Sitte[4],[5],[6]), aussi appelés les Six vilayets arméniens (en arménien : Վեց հայկական վիլայեթներ, Vets' haykakan vilayet'ner ; en turc : Altı vilayet, Altı Ermeni ili[7]), étaient les vilayets de l'Empire ottoman majoritairement peuplés d'Arméniens. Ces six vilayets étaient les suivants : le vilayet de Van, le vilayet d'Erzurum, le vilayet de Mamouret-ul-Aziz, le vilayet de Bitlis, le vilayet de Diyarbekir et le vilayet de Sivas[1],[3],[8],[9]. Ensemble, ils sont parfois désignés par l'expression « Arménie ottomane »[2],[3] par opposition à l'Arménie russe.

Ces vilayets renvoient aux « provinces habitées par les Arméniens » visées par l'article 16[N 1] du traité de paix signé à San Stefano (auj. Yeşilköy) le [11] puis par l'article 61[N 2] de l'acte final du congrès des Nations tenu à Berlin du au de la même année[13]. Par ces clauses, la Sublime Porte s'engageait, d'une part, « à réaliser les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux » des Arméniens et, d'autre part, « à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens »[N 1],[N 2].

Historique

En 1864, l'Empire ottoman entreprend de vastes réformes administratives territoriales inspirées du modèle centralisé napoléonien, remplaçant les provinces de l'Empire par vingt-sept vilayets, prenant le nom de leur chef-lieu. Au terme de plusieurs réaménagements (en 1878, 1880 et 1895) l'Anatolie orientale se voit finalement découpée en six vilayets, visant ainsi à diluer la population arménienne dans d'autres peuples afin qu'elle ne constitue plus une majorité compacte dans une circonscription, pouvant justifier un statut de plus grande autonomie[14]. Le terme « Six provinces arméniennes » a d'abord été utilisé au congrès de Berlin en 1878, où l'Empire ottoman devait s'engager à y faire des réformes.

Population

Groupes ethniques

Carte ethnique des six vilayets selon le Patriarcat arménien de Constantinople en 1912.
Population arménienne de l'Empire ottoman selon le recensement officiel de 1914.

Patriarcat arménien de Constantinople, 1912[15]

Groupes ethniques Bitlis Diyarbekir Erzurum Mamouret-ül-Aziz Sivas Van Total %
Arméniens 180 000 105 000 215 000 168 000 165 000 185 000 1 018 000 38,9
Turcs1 48 000 72 000 265 000 182 000 192 000 47 000 806 000 30,8
Kurdes2 77 000 55 000 75 000 95 000 125 000 72 000 499 000 19,1
Autres3 30 000 64 000 48 000 5 000 100 000 43 000 290 000 11,1
Total 382 000 296 000 630 000 450 000 507 000 350 000 2 615 000 100

1 incluant les Qizilbashs
2 incluant les Zazas
3 Assyriens (Nestoriens, Jacobites, Chaldéens), Arabes, Adyguéens, Grecs, Yazidis, Persans, Lazes, Juifs, Roms

Recensement officiel ottoman, 1914[16]

La plupart des historiens occidentaux modernes conviennent que le recensement officiel ottoman de 1914 sous-estime le nombre des minorités ethniques, dont celui des Arméniens[17]. Le recensement ottoman ne dénombre pas les groupes ethniques, mais les groupes religieux ; est donc considéré comme Arménien un adepte de l'Église apostolique arménienne, les Arméniens qui ont prétendu être musulmans ont été comptés en tant que musulmans, tandis que les protestants arméniens — comme les Grecs pontiques, les Grecs du Caucase et les Lazes — ont été comptés dans Autres.

Groupes religieux Bitlis Diyarbekir Erzurum Mamouret-ül-Aziz Sivas Van Total %
Musulmans1 309 999 492 101 673 297 446 376 939 735 179 380 3 040 888 79,6
Arméniens 119 132 65 850 136 618 87 862 151 674 67 792 628 928 16,5
Autres 44 348 4 020 5 797 4 047 78 173 11 969 148 354 3,9
Total 473 479 561 971 815 712 538 285 1 168 582 259 141 3 818 170 100

1 Le recensement ottoman ne donne pas d'informations pour les groupes ethniques musulmans séparés comme les Turcs, les Kurdes, les Adyguéens, etc.

Les plus grandes villes

Tous les chiffres sont en date du début du XXe siècle.

Ville Vilayet Population Arméniens %
Van[18] Van 40 000 25 000 62,5 %
Sivas[19] Sivas 60 000 30 000 50 %
Erzurum[20] Erzurum 60 000 15 000 25 %
Mezereh[21] Mamouret-ul-Aziz 12 000 6 080 50,67 %
Bitlis[19] Bitlis 30 000 7 000 23,33 %
Diyarbekir Diyarbekir
Arapgir[22] Mamouret-ul-Aziz 20 000 10 000 50 %
Malatya[23] Mamouret-ul-Aziz 40 000 20 000 50 %

Notes et références

Notes

  1. a et b Traité de San Stefano du , art. 16 : « Comme l'évacuation, par les troupes russes, des territoires qu'elles occupent en Arménie et qui doivent être restitués à la Turquie, pourrait y donner lieu à des conflits et à des complications préjudiciables aux bonnes relations des deux pays, la Sublime Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens. »[10].
  2. a et b Traité de Berlin du , art. 61 : « La Sublime Porte s'engage à réaliser, sans plus de retard, les améliorations et les réformes qu'exigent les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantie leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elle donnera connaissance périodiquement des mesures prises à cet effet aux puissances qui en surveilleront l'application. »[12].

Références

  1. a et b Casà 2016, n. 10.
  2. a et b Papazian 2017, § 5.
  3. a b et c Prévost 2016, § 32.
  4. Deringil 2012, map 2, p. 201.
  5. Ersal 2016, § I-II, p. 19.
  6. Ersal 2016, § II-I, p. 20.
  7. (tr) İsmail Soysal, Türkiye'nin Siyasal Andlaşmaları, I. Cilt (1920-1945), Türk Tarih Kurumu, 1983, p. 14.
  8. Panzac 1988, p. 59.
  9. Özbek 2012, p. 770.
  10. San Stefano, art. 16, p. 233.
  11. Payaslian 2007, p. 116.
  12. Berlin, art. LXI, p. 268.
  13. Payaslian 2007, p. 116-117.
  14. Gustave Meyrier, Les massacres de Diarbékir : Correspondance diplomatique du vice-consul de France (1894-1896), L'Inventaire, coll. « Valise diplomatique », , 259 p. (ISBN 978-2-910490-30-0, lire en ligne), p. 41
  15. "The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire 1915-1916" par James Viscount Bryce, Londres, T. Fisher Unwin Ltd., 1916
  16. (en) « Armenian Activities in the Archive Documents 1914-1918 Volume 1 » [PDF], sur ata-a.org.au, État-major général turc (consulté le ), p. 603-628
  17. Steven T. Katz,The Holocaust in Historical Context, 1994, p. 86 ...indique (sur la base des estimations britanniques de 1919) que si les données ottomanes étaient généralement fiables, ils ont sous-estimé la population arménienne en 1914...
  18. Hakobyan 1987, p. 236.
  19. a et b Hakobyan 1987, p. 222.
  20. Hakobyan 1987, p. 163.
  21. Hakobyan 1987, p. 134.
  22. Hakobyan 1987, p. 51.
  23. Hakobyan 1987, p. 182.

Voir aussi

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Traités

Bibliographie

  • (hy) Tadevos Hakobyan, Պատմական Հայաստանի քաղաքները (Les villes historiques de l'Arménie), Erevan, "Hayastan" Publishing,‎ .
  • [Deringil 2012] (en) Selim Deringil, Conversion and apostasy in the Late Ottoman Empire [« Conversion et apostasie dans l'Empire ottoman tardif »], Cambridge et New York, Cambridge University Press, (réimpr. ), 1re éd., 1 vol., XI-281-[8], 24 cm (ISBN 978-0-8047-9143-4, 978-1-107-00455-9 et 978-1-107-54601-1, EAN 9781107546011, OCLC 836116115, BNF 42759612, SUDOC 166981508, présentation en ligne, lire en ligne).
  • [Ersal 2016] (tr) Aytekin Ersal, « Milli bütünlüğün demokratik temsille inşası sürecinde Erzurum Kongresi » [« Le Congrès d'Erzurum dans le processus de construction de l'unité nationale par la représentation démocratique »], SDÜ fen-edebiyat fakültesi sosyal bilimler dergisi, no 38,‎ , p. 15-38 (résumé, lire en ligne, consulté le ).
  • [Casà 2016] Giancarlo Casà, « Les massacres arméniens de à Diyarbekir à travers le témoignage du vice-consul Gustave Meyrier », Études arméniennes contemporaines, no 8 : « « Varia » »,‎ , p. 1re partie : « Études », art. no 4, p. 91-118 (DOI 10.4000/eac.1175, résumé, lire en ligne, consulté le ).
  • [Özbek 2012] (en) Nadir Özbek, « The politics of taxation and the Armenian Question during the Late Ottoman Empire, - » [« La politique fiscale et la Question arméniennes pendant l'Empire ottoman tardif »], Comparative Studies in Society and History, vol. 54, no 4,‎ , p. 2e partie : « State effects in the tribal zone », art. no 2, p. 770-797 (DOI 10.1017/S0010417512000412, lire en ligne, consulté le ).
  • [Panzac 1988] Daniel Panzac, « L'enjeu du nombre : la population de la Turquie de à  », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, no 50 : « Turquie : la croisée des chemins »,‎ , p. 1re partie : « Les racines du présent », art. no 3, p. 45-67 (DOI 10.3406/remmm.1988.2253, lire en ligne, consulté le ).
  • [Papazian 2017] Taline Papazian, « Engagement militaire et droits politiques des Arméniens : la Légion d'Orient, exemple de négociations entre une nationalité non souveraine et ses Alliés européens », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 141 : « Par delà le théâtre européen de 14-18 : l'autre grande guerre dans le monde musulman »,‎ , p. 1re partie, art. no 8, p. 121-137 (résumé, lire en ligne, consulté le ).
  • [Payaslian 2007] (en) Simon Payaslian, The history of Armenia : from the origins to the present [« L'histoire de l'Arménie : des origines à nos jours »], New York, Palgrave Macmillan, coll. « Palgrave Essential Histories series », , 1re éd., 1 vol., VIII-296, 24 cm (ISBN 978-0-230-60064-5, 0-230-60064-6 et 1-403-97467-5, DOI 10.1057/9780230608580, SUDOC 129574465, présentation en ligne, lire en ligne).
  • [Prévost 2016] Stéphanie Prévost, « L'opinion publique britannique et la Question arménienne (-) : quelles archives pour quel récit ? », Études arméniennes contemporaines, no 8 : « Varia »,‎ , p. 1re partie : « Études », art. no 3, p. 51-90 (DOI 10.4000/eac.1170, résumé, lire en ligne, consulté le ).

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