En mathématiques, et notamment en combinatoire algébrique la règle de Littlewood-Richardson est une description combinatoire des coefficients qui apparaissent dans la décomposition du produit de deux polynômes de Schur en combinaison linéaire d'autres polynômes de Schur. Ces coefficients sont des entiers naturels. La règle de Littlewood-Richardson les interprète comme le nombre de tableaux de Young particuliers. Ces coefficients se rencontrent dans de nombreux autres contextes mathématiques, Par exemple, il dénotent la multiplicité dans la décomposition des produits tensoriel de représentations irréductibles du groupe général linéaire (ou de groupes voisins comme le groupe spécial linéaire et le groupe spécial unitaire), ou également dans la décomposition de certaines représentations induite dans les représentations du groupe symétrique.
Un coefficient de Littlewood-Richardson dépend de trois partitions λ , μ , ν {\displaystyle \lambda ,\mu ,\nu } , où λ {\displaystyle \lambda } et μ {\displaystyle \mu } paramètrent les fonctions de Schur à multiplier, et où ν {\displaystyle \nu } est l'indice de la fonction de Schur dont il est le coefficient dans la combinaison linéaire ; ce sont les coefficients c λ , μ ν {\displaystyle c_{\lambda ,\mu }^{\nu }} tels que s λ s μ = ∑ ν c λ , μ ν s ν . {\displaystyle s_{\lambda }s_{\mu }=\sum _{\nu }c_{\lambda ,\mu }^{\nu }s_{\nu }.} La règle de Littlewood-Richardson donne l'interprétation combinatoire suivante de ces coefficients (les tableaux de Littlewood-Richardson sont définis plus bas) :
Règle de Littlewood-Richardson — Le coefficient c λ , μ ν {\displaystyle c_{\lambda ,\mu }^{\nu }} de la décomposition
est égal au nombre de tableaux de Littlewood-Richardson de forme ν / λ {\displaystyle \nu /\lambda } et de poids μ {\displaystyle \mu } .
Étant donné un tableau de Young semi-standard gauche T {\displaystyle T} , le mot de T {\displaystyle T} est la suite w ( T ) {\displaystyle w(T)} obtenue en concaténant les lignes de T {\displaystyle T} , lues de droite à gauche. Par exemple, le mot du premier des tableaux de la figure 1 ci-contre est 112132 {\displaystyle 112132} .
Un tableau de Littlewood-Richardson est un tableau semi-standard gauche vérifiant la propriété supplémentaire que son mot de tableau est un mot de Yamanouchi gauche (ou mot de treillis), c'est-à-dire tel que dans tout préfixe, le nombre i {\displaystyle i} apparaît au moins aussi souvent que le nombre i + 1 {\displaystyle i+1} . Le mot 112132 {\displaystyle 112132} est bien un mot de Yamanouchi.
Une autre caractérisation (dont l’équivalence n’est pas immédiate) est que le poids du tableau et de chaque tableau obtenu en supprimant des colonnes à gauche, est décroissant au sens large. Par exemple, les poids du tableau de gauche de la figure 1 et de ses tableaux successifs sont (3,2,1), (3,1,1), (2,1), (1). D'autres notions combinatoires sont en bijection avec les tableaux de Littlewood-Richardson et peuvent donc servir à les définir.
Le coefficient de Littewood-Richardson c λ , μ ν {\displaystyle c_{\lambda ,\mu }^{\nu }} est le nombre de tableaux de Littlewood-Richardson de forme ν / λ {\displaystyle \nu /\lambda } et de poids μ {\displaystyle \mu } .
On considère les tableaux gauches de la figure 1. Ce sont des tableaux gauches de forme ν / λ {\displaystyle \nu /\lambda } et de poids μ {\displaystyle \mu } , avec λ = ( 2 , 1 ) {\displaystyle \lambda =(2,1)} , μ = ( 3 , 2 , 1 ) {\displaystyle \mu =(3,2,1)} and ν = ( 4 , 3 , 2 ) {\displaystyle \nu =(4,3,2)} . Le deuxième des tableaux a pour mot 112213, c'est donc aussi un tableau de Littlewood-Richardson.
Pour vérifier que c λ , μ ν = 2 {\displaystyle c_{\lambda ,\mu }^{\nu }=2} , on va montrer que les deux tableaux donnés à droite sont les seuls tableaux de forme ν / λ {\displaystyle \nu /\lambda } et poids μ {\displaystyle \mu } qui sont des tableaux de Littlewood-Richardson. En effet, la dernière cellule de la première ligne doit contenir le nombre 1. Mais alors la première ligne ne contient que des 1 (ceci est le cas pour tout tableau de Littlewood-Richardson, et montre donc tout de suite que le premier des tableaux de la figure 2 n'est pas un mot de Littlewood-Richardson). La dernière cellule de la deuxième ligne contient un 2 car les colonnes sont strictement croissantes et que l'on ne peut placer un entier plus grand avant d'avoir placé un 2 par la condition de Yamanouchi. La première cellule de la deuxième ligne contient soit 1 soit 2. Ceci détermine les entrées de la troisième ligne qui sont croissantes au sens large et doivent assurer que le poids est (3,2,1). Ceci donne deux possibilités qui s'avèrent être tous deux des tableaux de Littlewood-Richardson.
On peut remplacer la condition que les entrées d'un tableau, lus dans l'ordre, forment un mot de Yamanouchi, par une condition locale, plus géométrique. On numérote les occurrences d'un nombre dans le tableau dans l'ordre dans lesquelles elles apparaissent dans le mot du tableau formé des lignes, candidat à être un mot de Yamanouchi. Appelons index l'ordre d'apparition, et notons i [ j ] {\displaystyle i[j]} pour l’occurrence de i {\displaystyle i} d'index j {\displaystyle j} . Le mot du premier tableau de la figure 1, à savoir w = 112132 {\displaystyle w=112132} , devient le mot « décoré » 1 [ 1 ] 1 [ 2 ] 2 [ 1 ] 1 [ 3 ] 3 [ 1 ] 2 [ 2 ] {\displaystyle 1[1]1[2]2[1]1[3]3[1]2[2]} .
Maintenant, si un tableau de Littlewood-Richardson contient une entrée i > 1 {\displaystyle i>1} d'index j {\displaystyle j} , cette entrée apparaît après l'occurrence de i − 1 {\displaystyle i-1} d'index j {\displaystyle j} dans le mot du tableau par la condition de Yamanouchi, et en fait dans une ligne strictement en-dessous de la ligne de i − 1 {\displaystyle i-1} parce que les lignes sont croissantes. En fait, l'occurrence i [ j ] {\displaystyle i[j]} doit aussi figurer dans une colonne qui n’est pas plus à droite que l'entrée i − 1 [ j ] {\displaystyle i-1[j]} (ce qui semble à première vue une condition plus restrictive).
Si le poids du tableau de Littlewood-Richardson est donné, on peut former une collection d'entrées indexées, puis les placer de manière à respecter ces restrictions géométriques, en plus de celles de la définition des tableaux semi-standard et enfin la condition que l'ordre des occurrences d'un même nombre respecte l'ordre de ses index, alors on est assuré que les tableaux obtenus sont des tableaux de Littlewood-Richardson.
La règle de Littlewood-Richardson énoncée plus haut donne une expression combinatoire pour les coefficients de Littlewood-Richardson, mais ne donne pas d'indication immédiate sur une méthode pratique pour énumérer les tableaux de Littlewood-Richardson en vue de trouver les valeurs de ces coefficients.
Pour déterminer les coefficients c λ , μ ν {\displaystyle c_{\lambda ,\mu }^{\nu }} pour λ {\displaystyle \lambda } et μ {\displaystyle \mu } fixés, il faut faire varier le tableau « extérieur » correspondant à ν {\displaystyle \nu } . Mais comme le poids μ {\displaystyle \mu } est donné, l'ensemble des entrées indexées de la description géométrique est fixé. Une exploration systématique repose sur un examen des entrées par ordre croissant, alors que pour des entrées égales, on peut opérer par index décroissant : l'entrée i [ j ] {\displaystyle i[j]} doit être dans une colonne à droite de i [ j + 1 ] {\displaystyle i[j+1]} , mais pas plus loin que i − 1 [ j ] {\displaystyle i-1[j]} (si cette entrée existe). Ceci restreint de manière efficace le nombre de positions candidates mais conserve toujours une position possible pour i [ j ] {\displaystyle i[j]} .
Les coefficients de Littlewood-Richardson sont les coefficients de l'écriture d'un produit de polynômes de Schur dans la base de ces polynômes, au moyen de la formule
La liste ci-dessous contient tous les coefficients c λ μ ν {\displaystyle c_{\lambda \mu }^{\nu }} pour | ν | ≤ 4 {\displaystyle |\nu |\leq 4} . De plus, on a s 0 s π = s π {\displaystyle s_{0}s_{\pi }=s_{\pi }} pour tout π {\displaystyle \pi } , où s 0 = 1 {\displaystyle s_{0}=1} est le polynôme de Schur de la partition vide.
Pour les petites partitions, les coefficients sont en général 0 ou 1, et cela se produit aussi quand un des facteurs est s n {\displaystyle s_{n}} ou s 11 ⋯ 1 {\displaystyle s_{11\cdots 1}} à cause de la formule de Pieri (en) ou sa transposée. Le cas le plus simple d'un coefficient plus grand que 1 est obtenu quand aucun des deux facteurs n'est de cette forme ; par exemple :
L'expression devient vite plus compliquée pour des partitions plus grandes. Par exemple :
avec un total de 34 termes et la somme des coefficients (multiplicité) égale à 62, le plus grand coefficient est 4.
Voici d'autres exemples :
L'exemple original de (Littlewood et Richardson 1934, p. 122-124) est le suivant (après une correction qui concerne 3 tableaux qu'ils avaient trouvés mais oublié d'inclure dans la somme finale) :
Ses 26 termes proviennent de 34 tableaux suivants:
....11 ....11 ....11 ....11 ....11 ....11 ....11 ....11 ....11 ...22 ...22 ...2 ...2 ...2 ...2 ... ... ... .3 . .23 .2 .3 . .22 .2 .2 3 3 2 2 3 23 2 3 3 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ...12 ...12 ...12 ...12 ...1 ...1 ...1 ...2 ...1 .23 .2 .3 . .23 .22 .2 .1 .2 3 2 2 2 3 23 23 2 3 3 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ....1 ...2 ...2 ...2 ... ... ... ... ... .1 .3 . .12 .12 .1 .2 .2 2 1 1 23 2 22 13 1 3 2 2 3 3 2 2 3 3 .... .... .... .... .... .... .... .... ...1 ...1 ...1 ...1 ...1 ... ... ... .12 .12 .1 .2 .2 .11 .1 .1 23 2 22 13 1 22 12 12 3 3 2 2 3 23 2 3 3
Le calcul des fonctions de Schur gauches est similaire. Par exemple, les 15 tableaux de Littlewood-Richardson pour ν = ( 5 , 4 , 3 , 2 ) {\displaystyle \nu =(5,4,3,2)} et λ = ( 3 , 3 , 1 ) {\displaystyle \lambda =(3,3,1)} sont :
...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...11 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 ...2 .11 .11 .11 .12 .11 .12 .13 .13 .23 .13 .13 .12 .12 .23 .23 12 13 22 12 23 13 12 24 14 14 22 23 33 13 34
de sorte que
(Zelevinsky 1981) étend la règle de Littlewood-Richardson comme suit aux fonctions de Schur gauches : s λ s μ / ν = ∑ λ + ω ( T ≥ j ) ∈ P s λ + ω ( T ) {\displaystyle s_{\lambda }s_{\mu /\nu }=\sum _{\lambda +\omega (T_{\geq j})\in P}s_{\lambda +\omega (T)}} où la somme est sur tous les tableaux T {\displaystyle T} sur μ / ν {\displaystyle \mu /\nu } tels que la suite λ + ω ( T ≥ j ) {\displaystyle \lambda +\omega (T_{\geq j})} est décroissante au sens large, et où ω ( X ) {\displaystyle \omega (X)} est le poids de X {\displaystyle X} . Dans cette écriture, T ≥ j {\displaystyle T_{\geq j}} dénote le tableau obtenu à partir de T {\displaystyle T} en ne conservant que les colonnes d'indices j , j + 1 , … {\displaystyle j,j+1,\dots } .
La formule de Pieri (en) est le cas particulier de la règle de Littlewood-Richardson où le diagramme de Ferrers d'une des deux partitions n'a qu'une seule ligne (partition en une seule part). Elle s'énonce :
où s n {\displaystyle s_{n}} est la fonction de Schur de la partition de n {\displaystyle n} en une seule part, et la somme est sur toutes les partitions λ {\displaystyle \lambda } obtenues à partir de μ {\displaystyle \mu } en ajoutant n {\displaystyle n} éléments à son diagramme de Ferrers, avec au plus un élément par colonne.
Lorsque les deux partitions λ {\displaystyle \lambda } et μ {\displaystyle \mu } ont une forme « rectangulaire », c'est-à-dire lorsque toutes leurs parts sont égales, les coefficients c λ μ ν {\displaystyle c_{\lambda \mu }^{\nu }} dans la règle de Littlewood-Richardson valent 0 ou 1 (Okada 1998). De plus, on peut donner une construction géométrique des partitions ν {\displaystyle \nu } . Plus précisément, soient a , b , p , q {\displaystyle a,b,p,q} des entiers positifs avec p ≥ q {\displaystyle p\geq q} . Notons ( a p ) {\displaystyle (a^{p})} une partition en p {\displaystyle p} parts toutes égales à a {\displaystyle a} , de sorte que son diagramme de Ferrers est un rectangle de largeur a {\displaystyle a} et de hauteur p {\displaystyle p} . Les partitions qui sont les indices de termes non nuls du produit s ( a p ) s ( b q ) {\displaystyle s_{(a^{p})}s_{(b^{q})}} sont les partitions ν {\displaystyle \nu } de longueur ≤ p + q {\displaystyle \leq p+q} qui vérifient les trois conditions :
Voici un exemple. On prend a = 3 , b = 2 , p = q = 2 {\displaystyle a=3,b=2,p=q=2} . Le produit s ( 3 2 ) ( 2 2 ) {\displaystyle s_{(3^{2})(2^{2})}} fait intervenir 6 partitions; on a en effet
La figure les représente schématiquement. Le premier diagramme est la superposition des partitions ( 3 2 ) {\displaystyle (3^{2})} et ( 2 2 ) {\displaystyle (2^{2})} ; chacun des diagrammes suivants s'obtient en découpant une partie du rectangle inférieur et en la collant, après une rotation si nécessaire, à la droite du rectangle supérieur. Les conditions énoncées ci-dessus se réduisent, dans l'exemple, à :
Les coefficients de Littlewood-Richardson c λ μ ν {\displaystyle c_{\lambda \mu }^{\nu }} apparaissent dans les contextes suivants :
La règle de Littlewood-Richardson a été énoncée par Dudley E. Littlewood et Archibald Read Richardson en 1934 (Littlewood et Richardson 1934, theorem III p. 119), mais n'a été démontrée dans cet article que dans des cas particuliers plutôt simples.
Gilbert de Beauregard Robinson (Robinson 1938) a tenté de compléter leur preuve, mais sa démonstration présentait des lacunes. L'article est si difficile à lire que ces lacunes n'ont pas été remarquées pendant un certain temps et que leur preuve est reproduite dans le livre de Littlewood 1950.
Certaines lacunes ont été comblées ultérieurement dans Macdonald 1995. Les premières démonstrations rigoureuses ont été données quarante ans après l'énoncé par Schützenberger 1977 et Thomas 1974, basées sur la théorie combinatoire développée par Craige Schensted[2], Schützenberger[3], et Knuth[4] dans leurs travaux sur la correspondance de Robinson-Schensted.
Il existe maintenant plusieurs démonstrations courtes, tels que (Gasharov 1998) et (Stembridge 2002), utilisant la notion d'involution de Bender-Knuth (en). Peter Littelmann (Littelmann 1994) fournit une généralisation de la règle de Littlewood-Richardson aux autres groupes de Lie semi-simples, formulée et démontrée en termes de son modèle des chemins (en).
La règle de Littlewood-Richardson est connue pour le nombre d'erreurs qu'elle a pu provoquer avant la publication de la première démonstration complète. Même les calculs sont difficiles à mener à bout à la main ; ainsi, même l'exemple original de l'article de Littlewood et Richardson (Littlewood et Richardson 1934) contient une erreur.
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