Dans un premier temps, Philippe Desloubières s'engage dans un travail de mise en scène et d'installations à caractère sociopolitique où des objets d'apparence hétéroclite — des jouets, entre autres — côtoient des matériaux divers. Dans un second temps, il assemble du métal ouvragé, de la pierre roulée de rivière et du bois, façonnant un équilibre où s'insinue un sentiment d'instabilité et de précarité.
En 1999, il se rend à Harare dans le cadre d'échanges d'artistes organisés par une institution privée du Zimbabwe, puis en Corée du Sud en 2001 pour la réalisation d'une sculpture monumentale.
À compter de 2010, utilisant l'acier Corten comme matériau de prédilection, Philippe Desloubières conçoit une suite de sculptures intitulées Entre nous avant de lier son œuvre au concept de Germination. Le processus de la germination — qu'il soit indéfiniment végétal ou animal —, avec ce qu'il sous-tend de fécondante dualité masculin-féminin, lui servant de modèle, les œuvres portent l'idée de « double », se créent l'une à la suite de l'autre, ainsi que leurs titres (Germination 1, Germination 2…) le signifient en les situant dans une chronologie. Offrant à Jean-Louis Poitevin d'y ressentir « ambivalence et ambiguïté »[2], à Jean-Pierre Delarge d'y voir une « schématisation à la Jean Arp »[3], chacune d'entre elles fige un état de la maturation, la réalisation de l'une engageant dialectiquement la forme de la suivante : « chacune, explique Philippe Desloubières, est comme un arrêt sur image dans l'ensemble du développement »[4]. Jean-Mary Thomas rejoint cette approche de l'œuvre : « La diversité des espèces, leur ambiguïté sexuelle et leur transformation dans les différents cycles de leur croissance sont un “terreau” favorable à la réalisation de formes “mutantes” »[5].
Desloubières décrit son travail ainsi : « J'utilise l'acier. Bien que de fabrication industrielle, aucun autre matériau n'a pour moi ce caractère vivant, cette sensuelle densité. J'aime ce paradoxe. Mes sculptures ont des formes plutôt organiques, simples, sans anecdote. Elles peuvent évoquer des espèces, des genres indéfinis : féminin, masculin, végétal, animal et humain s'y retrouvent. L'équilibre, le rapport à l'espace lié à leur monumentalité, l'aspect de la matière parfois oxydée, peinte ou patinée, parfois lisse ou granuleuse, la ligne exclusivement courbe et le volume totémique ou au contraire déployé à l'horizontale sont leurs composantes. »[4]
Exposition-manifeste organisée à l'occasion du 41e anniversaire de l'enlèvement et de l'assassinat de Mehdi Ben Barka, Ligue des droits de l'homme, rue Francis-de-Pressensé, Paris, février-[24].
Cloc par Philippe Desloubières, expérimentation impromptue, création Anaïs Lelièvre, Wattwiller, [45].
Citations
Dits de Philippe Desloubières
« En m'inspirant du végétal et parfois du monde animal sans les capter, je réalise des formes abstraites mais néanmoins évocatrices que chacun d'entre nous peut reconnaître sans précisément savoir ce que cela représente. L'évocation peut être multiple, elle est personnelle à chacun, ma sculpture les renferme toutes et plus encore car à travers sa forme, elle touche à notre identité. » - Philippe Desloubières[46]
Réception critique
« Ample et large, de face, de profil, indécise, la forme peut-être saisie comme l'ombre. Elle est envahissante et, par la matière aux nuances profondes, résonne comme si elle n'en finissait pas de nous placer à contre-jour. En effet, miroir, elle nous renvoie à l'enfance, images, bonshommes ou arbres de toute espèce. » - Nadine Cossin[47]
« Ces sculptures monumentales inventent le mouvement. Une touche, une inclinaison les engage dans un ralenti cinématographique. Leur secret, une majestueuse lenteur, tient au dialogue du matériau noble, quelle qu'en soit l'échelle, en tension avec un rigoureux travail d'évacuation de la matière pour modeler le vide, un vide constitutif qui fait respirer l'espace. Le vide s'en trouve façonné de main d'artiste, enserré dans la tôle soudée, car ces pièces ne sont que rarement fondues, mais il est également le vide interstitiel montré, celui que désignent les duplications de Germinations. Ces figures ne font pas que nous toucher, ce qui serait réducteur, elles nous atteignent. » - Maïté Bouyssy[48]
« En fait, les sculptures de Philippe Desloubières nous mettent face à un problème qui nous dépasse parce qu'il nous englobe. C'est celui de l'identité dans ce qu'elle touche de plus profond en nous. Le problème, c'est en fait celui de l'articulation entre les deux faces du monde qui sont comme le double l'une de l'autre. La première, c'est l'ambivalence. Etre ambivalent, c'est pouvoir dire “je suis ceci et cela, homme et poisson, arbre et tête”. La seconde, c'est l'ambiguïté. C'est pouvoir dire “je ne suis ni ceci ni cela, ni homme ni femme, ni animal ni végétal, ni matière ni esprit”. » - Jean-Louis Poitevin[2]
« Les œuvres de Philippe Desloubières ne sont pas tant un déploiement qu'un dépliement. Leurs arêtes fines articulent des surfaces qui ne se découvrent que par déplacement, conjoignent des aplats épidermiques, mats ou luisants, sur lesquels glisse le regard. Aussi ne sont-elles pas écran au paysage où elles se trouvent placées, seraient-elles laquées de couleurs franches, unies, hardiment anti-naturalistes. Avec Philippe Desloubières, l'artefact n'impose pas son étrangeté. Il reprend au contraire sa place dans une parcelle du monde qui l'aurait vu naître et dont il serait la métaphore : la sculpture comme figure du monde vu de loin ou de très près. » - Jean-François Cocquet[49]
« Il accomplit des sculptures dont le seul matériau est l'acier. L'artiste associe à cette matière froide une couleur laquée franche. De plus, s'ajoute, à ce paradoxe d'utilisation de la tôle, la forme du dessin. En effet, pour certains, son style fait allusion à une sculpture plutôt féministe. Philippe Desloubières donne à ses sculptures des figures à l'aspect organique, végétal, voire animal. Ses œuvres, destinées à être exposées en extérieur, émergent dans le paysage telles des pousses en plein développement. » - Siloé Pétillat[35]
Récompenses
Prix du Salon d'art contemporain de Saint-Cloud, 1998.
Maïté Bouyssy, Philippe Desloubières et Jean-Louis Poitevin, Philippe Desloubières (monographie), Éditions Help Art, (lire en ligne).
Stéphanie Guglielmetti et Nicolas Pfeiffer, Philippe Desloubières, sculpteur, Issy-les -Moulineaux, Éditions Les Arches, coll. « atelier 23 », (lire en ligne).
Escaut. Rives, Dérives (catalogue du festival international de sculpture contemporaine), Éditions Escaut & Acier, .
Jean-François Gocquet, Philippe Desloubières - Sculptures dans les jardins du Carmel d'Abbeville, Éditions Stéphanie Guglielmetti, .
Philippe Desloubières, Sculptures dans les jardins de la Ville d'Eu, Éditions de la Ville d'Eu, .
Philippe Desloubières, Mers-les-Bains, Éditions Traverse, .
Alain Georges Leduc (photogr. Gérard Lorriaux), Flâneries artistiques au fil de l'Escaut, Éditions Fred Greneron, (présentation en ligne).
Jean-Mary Thomas, Ouvert Fermé - En pays de Vimeu, Éditions Démucher, .
Maïté Bouyssy, Philippe Desloubières (textes), Nicolas Pfeiffer, Valérie Hue, Bahi Johnson et Gari Johnson, Philippe Desloubières, Stéphanie Guglielmetti, .
Delphine Jonckheere, « Philippe Desloubières », Art Mag, n°11, novembre-décembre 2022.