Paul Sérusier naît dans une famille de classe moyenne aisée. Son père, un homme d'affaires qui travaille dans l'industrie du parfum, lui assure une éducation classique. En 1875, Sérusier est admis au lycée Condorcet à Paris où il étudie la philosophie, le grec, le latin et les sciences. Il reçoit ses deux diplômes de philosophie et de mathématique en 1883.
En 1885, après avoir travaillé dans la société d'un ami de son père pendant une courte période, il entre à l'Académie Julian. D'un caractère agréable, il sympathise vite avec les étudiants et les professeurs. Son amitié avec Maurice Denis date de cette époque.
Il passe une courte partie de l'été 1888 à la Pension Gloanec à Pont-Aven, en Bretagne, village qui attire alors beaucoup d'artistes français et étrangers. Là, son attention se porte sur un petit groupe d'artistes qui gravitent autour d'Émile Bernard et de Paul Gauguin. Il se rapproche d'eux et reçoit même une leçon de peinture de Paul Gauguin, après lui avoir montré une de ses toiles. Gauguin encourage Sérusier à se débarrasser de la contrainte imitative de la peinture, à user de couleurs pures, vives, à ne pas hésiter à exagérer ses visions, et à donner à ses peintures sa propre logique décorative et symbolique.
Sérusier revient à Paris avec un petit tableau peint sous les directives de Gauguin, et le montre avec enthousiasme à ses compagnons, partageant ainsi ses nouvelles idées apprises de Gauguin. Le tableau est alors renommé Le Talisman. Des débats se développent entre lui et les autres étudiants. À l'été 1889, Sérusier revient dans la région de Pont-Aven et s'installe au village du Pouldu avec Paul Gauguin, Charles Filiger et Meyer De Haan dans la petite Auberge de Marie Henry, qui devient rapidement le foyer de l'École de Pont-Aven.
Avec ses proches, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Henri-Gabriel Ibels, Paul-Élie Ranson, qui partagent ses idées, Sérusier forme un groupe, les nabis[4] (« prophète » en hébreu). Ils se rencontrent régulièrement pour parler de théories de l'art, de symbolisme, d'occultisme et d'ésotérisme. Plus tard, Armand Seguin, Édouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel rejoignent le groupe. Durant une brève période, celui-ci contribue au milieu de l'art d'avant-garde en participant à des expositions, en réalisant des décors de théâtre et en collaborant à de petites revues, parmi lesquelles la Revue blanche. Cependant, vers 1896 les liens du groupe se relâchent et chacun prend une direction individuelle. L'été 1891, Sérusier délaisse Pont-Aven et le Pouldu en s'installant à Huelgoat, où il revient pendant l'été 1892 et où il rencontre l'actrice polonaise Gabriella Zapolska. Il peint des figures monumentales et solides de paysans bretons. Sa palette change, il n'utilise plus de couleurs pures mais les rompt avec du gris. À partir de 1893, il s'installe en compagnie de Gabriella Zapolska à Châteauneuf-du-Faou dans le Finistère, lieu qui deviendra son domicile principal à compter de 1906 et qui le restera jusqu'à la fin de sa vie.
Depuis son atelier dans sa maison de « Duchenn Glas » ("Tertre vert" en breton), il jouit d'une vue sur la vallée de Pontadig et les Montagnes Noires ; il décore cette maison de peintures aux thèmes religieux, païens ou ésotériques (cette maison a été inscrite au titre des monuments historiques en 1995 (mais, propriété privée, elle n'est pas visitable)[5].
Il passe ses hivers à Paris, travaillant avec son ami Lugné-Poe, fondateur du théâtre de l'Œuvre. Beaucoup d'artistes nabis, Sérusier inclus, travaillent aux décors et costumes du théâtre symboliste. Dans ces travaux, les artistes expriment leur idéal de simplification et de synthèse à partir de plusieurs moyens d'expression. Dès 1892, il expose régulièrement chez Le Barc de Boutteville (Paris).
En 1895, Sérusier accepte une invitation de son ami, Jan Verkade, à visiter le monastère bénédictin de Beuron, en Allemagne. Les moines-artistes de l'école de Beuron ont des principes ("Les Saintes Mesures") selon lesquels les lois de la beauté seraient divines, mystérieusement cachées dans la nature, et ne pourraient être révélées qu'aux artistes possédant un sens des proportions et de l'harmonie des formes : « Mais toi, Seigneur, tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids »[6]. Sérusier traduit alors en français le livre de Desiderius Lenz, théoricien et chef de file de l'école de Beuron, qui paraît en 1905, accompagné d'une préface de Maurice Denis.
Cette doctrine l'enthousiasme et, de retour à Paris, il tente de convaincre ses amis de sa nouveauté et de son importance, mais elle ne rencontre pas le succès escompté et Sérusier prend de la distance envers ses anciens amis. Après plusieurs voyages à Beuron, il se donne pour objectif d'appliquer la doctrine des moines en développant un art reposant sur le calcul et les mesures.
Sérusier enseigne régulièrement à l'Académie Ranson à Paris à partir de 1908 (on comptera parmi ses élèves notables Suzanne Roger et Gaston-Louis Roux). Durant l'été 1908, il entreprend de peindre les trois panneaux des Bacchanales dont le Cortège de Pan, où il représente son ami Albert Clouard (1866-1952) sous les traits du dieu des bergers et des troupeaux[7].
Le , il épouse une de ses élèves rencontrée dans cette académie, Marguerite Gabriel-Claude, plus connue comme peintre sous le nom de Marguerite Sérusier[8], à qui Maurice Denis offre en cadeau de mariage son tableau Le Pardon de Guidel, une huile sur toile peinte en 1904[9].
En 1921, il publie ABC de la peinture[10], un court traité dans lequel il développe ses théories à propos de l'art. Il s'agit du mémoire de toutes ses recherches esthétiques.
En mai 1927, la revue L'Art et les Artistes publie un long article de Charles Chassé, consacré à son œuvre[11].
Paul Sérusier meurt le dans une rue de Morlaix, frappé brutalement d'une crise cardiaque en allant rendre visite à sa femme hospitalisée. Son décès passe presque inaperçu : le journal régional La Dépêche de Brest et de l'Ouest écrit seulement dans la rubrique « état-civil » de la ville de Morlaix : « Décès : Louis Sérusier, 62 ans (Château) ». Il est alors inconnu du grand public[12].
Il est inhumé au cimetière Saint-Charles de Morlaix[13]. A l'initiative de ses amis, une stèle funéraire dessinée par Maurice Denis et couronnée d'un bronze du buste de Sérusier par Georges Lacombe a été élevée sur sa tombe[14].
Le Champ de blé d'or et de sarrasin, 1900, huile sur bois, 103 × 47 cm[31].
Île de la douane sur le Trieux et bateau blanc (1910).
Chaumière Peint au Pouldu, 1912, huile sur toile, 50 × 82 cm[32].
Laveuse au Pouldu (huile sur toile vendue 82 000 euros en mai 2024)[33].
Sites dédiés
À Châteauneuf-du-Faou, sa maison est inscrite à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le . Des peintures murales réalisées par Sérusier au sein des fonts baptismaux de l'église paroissiale traduisent des scènes de la vie du Christ.
Un circuit « Sur les pas de Paul Sérusier » retrace, à travers la ville, son existence châteauneuvienne et permet de découvrir les paysages qu’il immortalisa[34].
↑Charles Chassé, « Paul Sérusier », dans L'Art et les artistes, tome XIV, no 77, mai 1927, pp. 260-267, nombreuses reproductions de tableaux (en ligne).
↑Pierre-Yves Collinet, Le XXe siècle en Bretagne et dans le monde : 1921. Sérusier de Châteauneuf le grand Nabi boutou koad, Le Télégramme, , page 51.
↑René Le Bihan, « Principales données biographiques de Paul Sérusier (1864-1927 » sur le site Le Comité Paul Sérusier comité-serusier.com.
↑Renaissance du Musée de Brest, acquisitions récentes : [exposition], Musée du Louvre, Aile de Flore, Département des Peintures, 25 octobre 1974-27 janvier 1975, Paris, , 80 p.
↑Un fonds d'œuvres, entreposées à la mairie de la ville, sont accessibles sur rendez-vous, dans l'attente de l'ouverture du futur Musée qui sera consacré à Paul et Marguerite Sérusier (ouverture prévue en 2021).
↑Marcel Guicheteau, Paul Sérusier, t. II, reproduction, p. [?][réf. incomplète].
↑Toile réalisée lors du séjour de l'artiste au mois de mai 1912 pendant son voyage de noces avec Marguerite Gabriel-Claude, reproduction photographique dans La Gazette de l'Hôtel Drouot, n°44, 17 décembre 2004, p. 65.
Charles Chassé, "Paul Sérusier", La Bretagne touristique n°71, 15 février 1928.
Charles Chassé, Les Nabis et leur temps, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 1960.
(en) Patricia Eckert Boyer, Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, Elizabeth Prelinger, The Nabis and the Parisian Avant-Garde, Rutgers University Press, 1988.
(en) Arthur Ellridge, Gauguin and the Nabis: Prophets of Modernism, Terrail, 1995.
Virginie Foutel, Sérusier, un prophète, de Paris à Châteauneuf-du-Faou, Éditions Locus Solus, 2014, 208 p. (ISBN978-2-36833-034-0).
Marcel Guicheteau, Paule Henriette Boutaric, Paul Sérusier, 2 vol., t.I, Éditions Side, 1976, 289 p. ; t.II, Éditions Graphedis, 1989, 142 p
Claudie Maynard, « Les Mammoù ou les Origines de l’Homme : les archétypes féminins dans la peinture de Paul Sérusier (1891-1893) ». Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2019. 217 p., ill.