La mobilisation de 2019 est née en partie sous l'impulsion des syndicats, en réponse à la révision adoptée en 2018 de la loi fédérale suisse sur l’égalité entre femmes et hommes de 1996, révision qui ne prévoit aucune sanction concernant le non-respect de l'égalité salariale[8].
Contexte
La grève du s'inscrit dans le mouvement de lutte pour l’égalité des sexes en Suisse :
Des inégalités existent dans plusieurs domaines notamment :
Salaires
Selon l'Office fédéral de la statistique, en 2018 l'écart entre le salaire moyen des hommes et des femmes et de 19%. Une partie de cet écart est expliqué par des facteurs structurels tels que la position professionnelle, le nombre d'années de service ou la formation, mais 45,4% de cet écart est inexpliqué. L'écart entre le salaire médian des hommes et des femmes est lui de 11,5%[12].
Travail domestique
Selon l'Office fédéral de la statistique, en 2016 les femmes consacrent 28 heures au travail domestique contre 18 pour les hommes[13]. Cette différence s'explique en grande partie par la répartition des taches à l'intérieur des ménages avec enfant. Elle a notamment pour conséquence un plus grand taux de pauvreté chez les femmes (8,5%) que chez les hommes (6,5%)[5].
Violences sexuelles
Selon un sondage de gfs.bern de 2019, en Suisse 22% des femmes de 16 ans et plus ont déjà subi des actes sexuels non consentis et 12% des rapports sexuels contre leur volonté[14].
Revendications
L'« appel de Bienne pour une grève féministe et des femmes*» invite à manifester pour réclamer, entre autres[5],[15]:
L'égalité salariale, car à poste de travail égal, les femmes touchent toujours un salaire inférieur à celui des hommes[12].
La reconnaissance du travail domestique, notamment les soins apportés aux enfants ou aux personnes âgées, qui n'est pas intégré dans le modèle économique suisse ; temps de travail non rémunéré qui n'est pas partagé équitablement entre les sexes en Suisse[13].
Le slogan de campagne affiché sur le site web déclare : « Égalité. Point final ! » (en allemand : Gleichberechtigung. Punkt. Schluss!).
Organisation
La grève féministe a été organisée par un ensemble de collectifs (cantonaux, régionaux, locaux) coordonnés au niveau suisse et romand.
Déroulement
Avant le
En , le Congrès des femmes de l’Union Syndicale Suisse vote une résolution envisageant une nouvelle grève des femmes* en 2019. À la suite de cette résolution et de l’initiative d’un collectif de femmes, le se tiennent à Lausanne des Assises féministes : le principe d’une grève des femmes*/féministe est approuvé. À partir de ce jour commence une année d’action féministe, qui culminera le .
Le , 20 000 personnes manifestent à Berne pour l'égalité salariale entre hommes et femmes et contre les discriminations[16].
Le , les organisatrices de la grève féministe du publient un manifeste explicitant en dix-neuf points les raisons de la grève[16].
Le
La manifestation a pris des formes diverses selon les villes et les cantons[17]. Deux moments unitaires sont toutefois fixés : à 11 h, l'appel à la grève est lu dans les différentes villes suisses[17] ; à 15 h 24 les femmes sont invitées à quitter leurs lieux de travail ou leurs domiciles pour se réunir[17], cette heure correspond au moment de la journée à partir duquel les femmes ne sont plus payées, en se basant sur les différences de salaire calculées par l'Office fédéral de la statistique et sur un horaire de travail classique de huit heures[18]. À Berne, les députés interrompent leur séance pendant un quart d'heure en soutien symbolique, une majorité des parlementaires rejoignent les manifestantes sur la Place fédérale[19].
Estimation du nombre de personnes participantes
Il n'y a pas de bilan officiel de la mobilisation au niveau national et les chiffres de la participation à la grève ont fait l'objet de controverses[20],[21]. L'Union syndicale suisse avance le chiffre de 500 000 personnes ayant pris part à cette journée de grève[18]. Les grévistes dénoncent la sous-évaluation de la participation par les autorités, qui revoient finalement à la hausse leurs estimations pour plusieurs grandes villes, telles que Genève ou Zurich[20],[21]. La presse retiendra le chiffre d'un demi-million de personnes[22],[23],[24],[25],[26]. Les estimations pour les principales villes de Suisse sont les suivantes[17],[18] :
Genève : d'abord annoncé entre 15 000 et 20 000 personnes[28], puis arrêté à 20 000 personnes pour la police[21] et, pour les grévistes, entre 30 000[29],[21],[20] et 75 000 selon un algorithme statistique développé par le laboratoire d'intelligence visuelle pour les transports (VITA) de l'EPFL à partir des images fournies par le media Heidi.news[30]
Lausanne : 40 000 personnes selon la police, 60 000 selon les organisatrices[21],[20]
À la suite de la mobilisation le parlement introduit un congé paternité de deux semaines (contre un jour précédemment)[1], le texte, combattu par un référendum porté par l'UDC et quelques membres des jeunes PLR et PDC[33], est finalement accepté en votation le par 60.3% des votants avant d'entrer en vigueur le [34]. Si la secrétaire centrale de l’USS Regula Bühlmann reconnaît «un petit succès» elle estime toutefois que la décision ne va pas assez loin la Suisse restant en retard par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE[1].
La grève est reconduite le 14 juin en 2020 malgré la pandémie[35], puis en 2021[36], 2022[37],[38] et 2023, imposant la date comme une journée d'actions nationales[39] et transformant durablement le paysage féministe suisse[40].
Slogan des Grèves féministes «On est fortes et fièr·e·s et féministes et en colère»
Notes et références
Notes
↑Le nom retenu par les Assises organisatrices est « grève féministe et des femmes* »[2]. L’utilisation de l’astérisque inclut toute personne qui n'est pas un homme cisgenre (homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance)[3]. À noter que les hommes cisgenres sont invités à se montrer solidaires de la grève, par exemple en assurant un soutien logistique et en organisant des garderies pour les enfants[4].
Références
↑ ab et cKaty Romy, « Un an après la grève, les femmes ont marqué des points », swissinfo, (lire en ligne, consulté le ).
↑Michela Bovolenta et Geneviève de Rham, « « Grève – grève – grève féministe ! »: Du 14 juin 1991 au 14 juin 2019 en Suisse », Mouvements, vol. n° 103, no 3, , p. 148–155 (ISSN1291-6412, DOI10.3917/mouv.103.0148, lire en ligne, consulté le )
↑(de) Angelika Hardegger, Alexandra Kohler, Linda Koponen et Esther Widmann, « Frauenstreik Schweiz 2019, was bleibt 2020 von der Euphorie ? », NZZ, (lire en ligne).
↑ a et b(de) « Das war der Frauenstreik: «Ich kann nicht glauben, dass wir für Gleichberechtigung auf die Strasse müssen» +++ Tausende demonstrierten in Frauenfeld, St.Gallen, Wil und Trogen », St. Galler Tagblatt, (lire en ligne).
Silvia Federici, Morgane Merteuil, Morgane Kuehni, Maud Simonet, Travail gratuit et grèves féministes, Genève-Paris, Éditions entremonde, 2020, 118 p. (ISBN978-2-940426-62-1)
Clio Devantéry, « Rejouer un même pourtant si différent du 14 juin 1991 au 14 juin 2019, la grève des femmes vue par 24 Heures », Revue historique vaudoise, vol. 129, , p. 135-145 (ISSN1013-6924).
Jacqueline Allouch, Florence Zufferey, Féministes valaisannes d’une grève à l’autre, Editions de Juin, Suisse, 2021, recueil de portraits, 56 p. (ISBN978-2-8399-3203-5)
Mélanie Pitteloud, Femmes et fières, Mélusine Films, Suisse, 2021, documentaire, 10 min, VO Fr, ST En-De-It (ISAN 0000-0006-0055-0000-9-0000-0000-A)