Le gouverneur (parfois appelé capitaine) de province, de ville ou de forteresse est un des principaux représentants du pouvoir royal dans le royaume de France. Ses pouvoirs et attributions évoluent tout au long de l'Ancien Régime : s'il fait figure de vice-roi jusqu'au début du XVIIe siècle, commandant les troupes de la province et parfois se révoltant contre le pouvoir central, son rôle diminue sous la monarchie absolue et tend à devenir honorifique jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Historique
La fonction de gouverneur et de capitaine de place apparaît de façon isolée au XIIIe siècle et de façon plus fréquente aux XIVe et XVe siècles, pendant la guerre de Cent Ans ; elle répond en effet à la nécessité qu’est le maintien de l'ordre et la défense du territoire pendant cette période troublée[1]. Le gouverneur ou capitaine assure le commandement de la garnison et les fonctions militaires pour lesquelles le bailli, accaparé par ses fonctions civiles, est peu disponible.
La fonction de gouverneur comme commissaire ordinaire du roi, chargé de le représenter dans une circonscription administrative appelée gouvernement, est vraiment créée au XVe siècle[1], bien que ses prérogatives soient encore floues. Pendant les XVIe et XVIIe siècles, son rôle s'accroît avec le développement de l'armée permanente[2].
Ses fonctions sont multiples : chef de l'armée, il peut en réalité intervenir en toutes occasions où l'ordre public, la sécurité des populations ou l'autorité royale sont menacés[1]. Il doit « faire vivre en bonne union et concorde les uns avec les autres », arbitrer les querelles des habitants, réprimer les voleurs, vagabonds, criminels et rebelles. Il commande également les troupes en garnison ; il peut convoquer le ban et l'arrière-ban ou la milice bourgeoise, et veiller au service des étapes des troupes en transit[3]. En raison de ses pouvoirs militaires, il est choisi exclusivement dans l'ordre de la noblesse[1].
Il peut prêter main-forte aux juges et convoquer les états provinciaux, mais il lui est interdit de lever des impôts et taxes comme de rendre la justice[4]. Ses attributions sont donc différentes de celles de l'intendant, à caractères administratif et fiscal[5].
L'ordonnance de Blois réduit à 12 le nombre des gouvernements généraux et particuliers : la Bretagne, la Normandie, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, la Guyenne, l'Orléanais et l'Île-de-France[1]. Ils sont 19 en 1624, 25 à 26 au milieu du XVIIe siècle, 35 en 1718 et 39 en 1774[6].
En ce qui concerne les gouverneurs de place forte, chargés de l'entretien et de la défense des fortifications, un auteur du XVIIe siècle, Antoine de Ville, note que leurs prérogatives et attributions varient considérablement selon le statut de la place, l'état de paix ou de guerre, les relations avec le gouverneur ou le lieutenant général de la province, avec les autorités civiles urbaines ou les commandants des troupes de campagne qui stationnent dans la place, « comme aussi selon qu'il plaist au Prince », ce qui donne lieu à d'innombrables contestations[7].
Le gouverneur de province est généralement choisi dans la haute noblesse ou parmi les maréchaux de France. Sous Henri IV et Louis XIII, il jouit d'une grande indépendance et il lui arrive de se révolter, comme le maréchal de Biron en Bresse, le maréchal de La Force en Béarn ou le duc de Montmorency en Languedoc[8]. Le cardinal de Richelieu procède à une purge sévère : de 19 gouverneurs en place en 1624 au début de son ministère, il n'en reste que 4 à sa mort en 1642[9]. Le pouvoir royale peut également laisser vacant un gouvernement comme entre 1661 et 1671, pour la Guyenne[10].
Pour limiter l'autorité des gouverneurs de province, le roi nomme directement les gouverneurs de villes et de châteaux qui ne sont généralement pas choisis dans les mêmes familles ; il nomme aussi des gouverneurs différents pour la ville et la citadelle, celui de la ville ayant autorité sur la milice bourgeoise[11]. Un édit d'août 1696 instaure un statut fixe de gouverneur de ville et de place pour remplacer les anciennes charges de gouverneur et de « capitaine chastelain » : ce poste devient un office héréditaire au bénéfice d'anciens maires ou de vieux militaires, assorti de privilèges et avantages honorifiques comme de passer la revue des troupes et allumer les feux de joie[12].
N'étant point propriétaires de leur charge, les gouverneurs sont révocables à tout instant ; à partir du XVIIe siècle notamment, le roi n’hésitent pas à user de cela, s’il estime que l'influence de ces hauts personnages contrebalance la sienne.
Le gouverneur est assisté par un ou plusieurs lieutenants de roi selon la taille de la province (trois en Languedoc), généralement des militaires aguerris ; en 1776, le nombre des lieutenants généraux de ville, place forte ou château est réduit à 176[13]. Ces lieutenants généraux prennent le véritable commandement de l'armée[1].
Il est d'usage que le gouverneur fasse de grandes dépenses dans le pays, dépassant largement son traitement et les dons votés par les États, et il peut se constituer une clientèle personnelle[8]. Ainsi, Claude de Rouvroy de Saint-Simon, gouverneur de la place de Blaye en Guyenne, paie de sa poche une partie des travaux d'entretien des remparts[14]. Le maréchal de la Ferté, gouverneur du duché de Lorraine occupé et annexé de 1643 à 1661, réside dans le palais des ducs de Lorraine et l'orne de nouvelles peintures commandées à Claude Deruet[15].
Du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, le gouverneur réside de moins en moins dans sa province, et, à partir du règne de Louis XIV, il ne peut plus s’y rendre que par commission spéciale[1]. Un duc de Randan, commandant en chef en Franche-Comté, avoue qu'il ne sait ce qui s'y passe que par la Gazette[9].
Le mémorialiste Louis de Saint-Simon hérite de son père le gouvernement de Blaye où il n'entre qu'une seule fois dans sa vie à l'occasion d'un voyage en Espagne pour éviter une querelle de préséance avec le commandant, « un fou dangereux » qui lui disputait la première place dans la ville[19]. Cependant, il consacre de nombreuses lettres et démarches à l'entretien et aux nominations de la garnison[14].
Il faut attendre l'ordonnance du pour que le statut des gouverneurs soit uniformisé comme équivalent aux grades militaires. On compte alors 39 gouverneurs généraux dont 18 de première classe, fonctions réservées aux princes du sang et maréchaux de France avec un traitement de 18 000 à 60 000 livres, et 21 de seconde classe, correspondant au grade de lieutenant général des armées, avec un traitement de 21 000 à 30 000 livres ; et 114 gouvernements particuliers dont 25 de 1re classe à 12 000 livres, 25 de 2e classe à 10 000 livres et 64 de 3e classe à 8 000 livres[3].
François Formel-Levavasseur, « Le seigneur, le gouverneur et le solitaire, d'après plusieurs lettres autographes inédites du duc de Saint-Simon », Cahiers Saint Simon, no 5, , p. 65-75 (lire en ligne).
François Olivier-Martin, L'administration provinciale à la fin de l'Ancien Régime, L.G.D.J., 1996.
Josette Pontet, « La place du gouverneur dans la ville au XVIIIe siècle : l'exemple de Bayonne » in Des hommes et des pouvoirs dans la ville, XIVe – XXe siècles, CESURB, Université de Bordeaux 3, 1999 [3]
Michel Vergé-Franceschi, « Les gouverneurs des colonies françaises au XVIIIe siècle : l'exemple antillais et canadien » in Les Européens et les espaces maritimes au XVIIIe siècle, PUPS, 1996 [4]
Antoine de Ville, De la charge des gouverneurs des places, Paris, 1656
Alphonse de Waelhens, Le duc de Saint-Simon : immuable comme Dieu et d'une suite enragée, Facultés universitaires Saint-Louis, 1990
↑ a et bFrançois Formel-Levavasseur, « Le seigneur, le gouverneur et le solitaire, d'après plusieurs lettres autographes inédites du duc de Saint-Simon », Cahiers Saint Simon, no 5, , p. 65-75 (lire en ligne).
↑Auguste Digot, Histoire de Lorraine, t. 5, 1856, p. 359 [1]
↑Bernard Demotz, Henri Jeanblanc, Claude Sommervogel et Jean-Pierre Chevrier, Les Gouverneurs à Lyon 1310 - 2010 : le gouvernement militaire territorial, Lyon, Éditions lyonnaises d'art et d'histoire, 2011, p. 93.
↑Josette Pontet, « La place du gouverneur dans la ville au XVIIIe siècle : l'exemple de Bayonne » in Des hommes et des pouvoirs dans la ville, XIVe – XXe siècles, CESURB, Université de Bordeaux 3, 1999 [2]
↑Alphonse de Waelhens, Le duc de Saint-Simon : immuable comme Dieu et d'une suite enragée, p. 191, n. 8.
↑Michel Vergé-Franceschi, « Les gouverneurs des colonies françaises au XVIIIe siècle : l'exemple antillais et canadien » in Les Européens et les espaces maritimes au XVIIIe siècle, PUPS, 1996, p. 109-124.