Les principaux thèmes développés par le livret sont la dénonciation de l’arbitraire, incarné par le gouverneur d’une prison espagnole, l’appel à la liberté, et l’amour (notamment conjugal) qui pousse Leonore, déguisée en homme, à risquer sa vie pour libérer son époux Florestan.
Dans la tradition du Singspiel, l'ouvrage comporte des dialogues parlés.
Composition
L'opéra est commandé à Beethoven par le baron Peter von Braun qui venait de racheter le Theater an der Wien. Le livret est tiré d'une pièce de Jean-Nicolas Bouilly intitulée Léonore ou l'amour conjugal, traduite par Joseph Sonnleithner, secrétaire du Theater an der Wien. Bouilly s'est lui-même inspiré d'un fait divers sous la terreur révolutionnaire : une femme travestie en homme s'était fait engager comme geôlier pour libérer son mari de la prison de Tours.
Beethoven tient en très haute estime ses idéaux de liberté et de fraternité. Fidelio est si emblématique de ces thèmes que le compositeur n'hésitera pas à retravailler son œuvre à trois reprises pour qu'elle obtienne enfin le succès espéré. La première représentation eut lieu au Theater an der Wien le [4],[3]. Le premier public est constitué ce d'officiers français qui apprécient peu l'ouvrage, desservi par un mauvais orchestre[n 1]. L’œuvre est retirée après trois représentations. En décembre de la même année, au cours d'une réunion chez les Lichnowsky, Beethoven accepte avec l'aide de Stephan von Breuning mais à contrecœur, de faire des coupures, de fusionner les deux premiers actes et de composer une deuxième ouverture[5]. L'œuvre remaniée est donnée le , et obtient un demi-succès. Mais à la deuxième représentation, Beethoven retire l'ouvrage après une querelle avec le directeur du théâtre. Ce n'est qu'après une longue interruption que l'opéra sera mis de nouveau à l'affiche le [3] avec un nouveau librettiste Friedrich Treitschke. Beethoven procède à de nombreuses modifications et compose l'ultime version de l'ouverture. Beethoven de plus en plus sourd conduit la représentation, « aidé » par Michael Umlauf (qui plus tard crée la Symphonie no 9). Le succès est cette fois durable[3].
Les ouvertures
Au fil des différentes révisions, Beethoven a composé quatre ouvertures pour son opéra[6]. Il est probable que l’ouverture jouée lors de la création de la première version fut celle aujourd’hui appelée l’ouverture nº 2 de Leonore (ou ouverture Leonore II) ; il s’agit d’une vaste page symphonique présentant tout le mouvement de l’opéra depuis l’atmosphère lourde et sombre de la prison, le caractère dramatique de l’action, l’arrivée de Don Fernando annoncé par le célèbre appel de trompette, et la joie extatique de la libération. Beethoven la remania pour la création de la deuxième version, en 1806 ; cette version, l’ouverture no 3, est aujourd’hui préférée à la précédente et est devenue une pièce de concert à part entière.
Cependant, la longueur et le caractère dramatique de ces deux ouvertures produisait avec le duo semi-comique qui ouvre l’acte I un contraste tel que Beethoven la réduisit pour une représentation (qui en fait n'eut jamais lieu) à Prague en 1807 ; il est probable que l’ouverture no 1, malgré son numéro, soit cette version. Enfin, pour la création de la version définitive en 1814, Beethoven dota son opéra, maintenant titré Fidelio, d’une nouvelle ouverture, plus courte, dans l’esprit d’un prélude, pour mieux introduire l’action de l’acte I. Cependant, à la suite d'une question de changement de tonalité, Beethoven dut transposer son ouverture d'ut majeur à mi majeur et il perdit du temps ce qui explique que lors de la première du , l'ouverture ne fut pas prête et on dut lui substituer une autre ouverture, on pense qu'il s'agit plus de celle des Ruines d'Athènes plutôt que de celle des Créatures de Prométhée. Beethoven acheva enfin la quatrième ouverture qui fut jouée lors de la deuxième représentation le .
Au début du XXe siècle, Gustav Mahler introduisit la tradition de jouer l’ouverture Leonore III avant le finale (no 16), à l’issue du duo du no 15. Cette coupure dans l’action peut se justifier par le caractère solennel du final, qui ne se conclut que par l’arrivée d’un deus ex machina. Cette disposition permet de récapituler musicalement l’action de tout l’opéra, avant que le sens profond, détaché de l’histoire elle-même, n’en soit tiré par le chœur dans un effet d’ensemble qui peut rappeler la Neuvième Symphonie. Cette tradition, supprimée au lendemain du départ de Mahler, se perpétua avec Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler et Leonard Bernstein.
Une prison d’Étatespagnole, non loin de Séville, au XVIIe siècle : Florestan est prisonnier au secret sur l'ordre de Don Pizarro, le féroce gouverneur d'une prison d'État. Pour le libérer, sa femme Léonore se déguise en homme sous le nom de Fidelio et vient travailler à la prison.
Acte I
Dans la cour intérieure de la prison.
Marzelline, la fille du geôlier Rocco, est courtisée par le portier Jaquino (Duo : «Jetzt, Schätzchen...») mais elle est secrètement amoureuse de Fidelio qui a gagné la confiance de son père («O wär ich schon mit dir verein»). À l'arrivée de Fidelio qui revient de la ville avec des provisions et des lettres, l'amour de Marzelline pour Fidelio est révélé au grand jour (Quattuor: «Mir ist so wunderbar»). Rocco est favorable à cette union mais s'inquiète des revenus du futur couple («Hat man nicht auch Gold beineben». Fidelio questionne Rocco sur les prisonniers et lui promet une aide indéfectible (Trio : «Gut, Söhnchen, gut hab immer Mut»). Don Pizarro arrive sur ces entrefaites et apprend, par une missive, l'arrivée prochaine du ministre Don Fernando. Redoutant que celui-ci ne découvre l'emprisonnement injustifié de Florestan, il décide d'éliminer son prisonnier («Ah! Welch ein Augenblick»). Il envoie un de ses sbires surveiller l'arrivée de Don Fernando et l'en avertir et demande à Rocco de tuer Florestan mais celui-ci s'y refuse et ne sera finalement chargé que de creuser la tombe de Florestan (Duo : «Jetzt, Alter, jetzt hat es Eile»). Fidelio, qui a tout entendu, se doute que la future victime est son mari et prie le ciel de lui redonner espoir («Komm, Hoffnung»). Elle demande à Rocco de laisser sortir les prisonniers pour une promenade à la lumière (Choeur: «O welche Lust») mais Florestan n'est pas parmi eux. Rocco demande à Fidelio de l'aider à creuser la tombe (Duo:«Wir beide graben nur das Grab»). Pizarro revient et reproche à Rocco d'avoir laissé sortir les prisonniers. Rocco prétexte l'anniversaire du nom du roi mais reçoit l'ordre de les faire rentrer dans leur cellule.
Acte II
Dans le cachot de Florestan, puis sur le terre-plein de la prison pour la scène finale.
Florestan dans son sombre cachot se lamente sur sa situation tragique mais accepte la volonté de Dieu («Gott, welch Dunkel hier»). Il évoque l'image consolatrice de son épouse (Duo avec hautbois : «In des Lebens Frühlingstagen») avant de retomber dans une semi-inconscience. Surviennent Fidelio et Rocco qui finissent de creuser la tombe (Duo: «Nur hurtig fort»). Compatissants, ils offrent à Florestan un peu de vin et un quignon de pain (Trio: «Euch werde Lohn»). La tombe creusée, Rocco lance un signal et Don Pizarro surgit, décidé à poignarder Florestan mais Fidelio s'interpose, révélant son identité et menaçant Pizarro d'une arme. La vigie signale l'arrivée de Don Fernando et Don Pizarro est contraint de quitter le cachot pour accueillir le ministre, laissant le couple à ses retrouvailles (Duo: «O Namenlose Freude»). L'arrivée du ministre entraine la libération des prisonniers (Choeur:«Heil sei dem Tag»). Don Fernando découvre l'emprisonnement de Florestan et la forfaiture de Don Pizarro. Il ordonne la libération de Florestan opérée par son épouse. Le chœur entame le final célébrant l'amour conjugal («Wer ein holdes Weib errungen»). Ce final s’apparente à la thématique de l’hymne à la joie de la 9e symphonie.
Différences entre versions
Entre la version de 1805 et la version finale de 1814, Beethoven a progressivement modifié l'intrigue, la faisant passer de trois actes à deux actes, allégeant le thème de l'intrigue amoureuse avec Marzelline pour la recentrer sur l'amour entre Florestan et Leonore.
un solo où Rocco tente de décourager Jaquino («Ein Mann ist bald genommen»);
un acte II qui commence à l'entrée de don Pizarro l'acte III commençant aux lamentations de Florestan;
un duo amoureux entre Marzelline et Fidelio («Um in des Ehe»);
une clôture de l'acte II par une intervention de Don Pizarro distribuant réprimandes et ordres («Auf euch nur will ich bauen»);
Rocco désarmant Fidelio avant de rejoindre Don Pizarro lors de l'affrontement dans le cachot;
une foule criant vengeance («Zur Rache, Zur Rache») pénétrant dans le cachot de Florestan après ses retrouvailles avec Leonore et laissant tout craindre au couple.
Elle ne comportait pas l'un des deux hymnes finaux («Heil sei dem Tag» ) et présentait une version très différente du final («Wer ein holdes Weib errungen»)[8].
La seconde version de l'opéra jouée le rassemble les mêmes interprètes que la précédente à l'exception de Joseph August Röckel(de) qui prend le rôle de Florestan[9].
Ultérieurement
Il faut retenir la place qu'occupe Wilhelmine Schröder-Devrient dans la caractérisation du rôle-titre tant au niveau de la voix que du tempérament[10]. La chanteuse assuma ce rôle de soprano dramatique dans une représentation de 1822, à la grande satisfaction du compositeur présent dans la salle. Le 15 juin 1833 à Londres, elle le chante à Covent Garden, elle a été couverte d'applaudissements[n 2]. Par la suite, le rôle fut confié aussi bien à des sopranos dramatiques qu'à des mezzo-sopranos.
« Fidelio » est le mot de passe que doit donner Bill Hartford interprété par Tom Cruise dans le film Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick en 1999 (on connaît la passion de Kubrick pour le compositeur).
Arrangements et réduction pour piano
Sous la direction de Beethoven, deux réductions de l'opéra pour chant et piano ont été réalisées :
Un arrangement pour instruments à vent de la version définitive de l'ouverture et de dix arias a été réalisé par Wenzel Sedlák[n 3] et publié chez Artaria. La première mention de son existence a été faite dans une annonce parue en janvier 1815[11].
Compositeurs ayant traité le même sujet
Pierre Gaveaux, sur le livret original de Jean Nicolas Bouilly, Léonore ou l'amour conjugal — création le 19 février 1798 au théâtre Feydeau.
Ferdinando Paër, d'après la pièce de Bouilly sur le livret en italien de Giacomo Cinti, Léonore — création le 3 octobre 1804 à Dresde.
Simon Mayr, sous le titre L'Amour conjugal — création le 26 juillet 1805 à Padoue.
Le roman Parihaka Woman (2011) du romancier néo-zélandais Witi Ihimaera, traduit en français en 2014 sous le titre de La femme de Parihaka, transpose l'argument de Fidelio dans le contexte de la spoliation des terres maories dans la région du Taranaki[13], dans la Nouvelle-Zélande du XIXe siècle[14]. Le romancier rend hommage à l'opéra politique dans la préface et explicite les hommages à Fidelio, notamment à travers le nom des protagonistes (l'héroïne se nomme Erenora, transposition maorie de Léonore).
Annexes
Discographie et vidéographie
Cette liste présente quelques enregistrements particulièrement célèbres de Fidelio dans sa version définitive. Les chanteurs indiqués sont respectivement Leonore, Florestan, Pizarro et Rocco.
« Voici la version la plus romantique, mais aussi la plus grande lecture de l'œuvre et certainement l'une des mieux enregistrées »[20]. « Galvanisés par Klemperer, les chanteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes. Incontestablement une référence »[21],[22]. (OCLC933523853)
René Leibowitz, Les Fantômes de l’opéra. Essais sur le théâtre lyrique, chapitre III « Un rêve solitaire : « Fidelio » », Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires »), Paris, 1972, p. 61–105.
↑Wenzel Sedlak (1776-1851), clarinettiste, maître de chapelle du prince de Liechtenstein au début du XIXe siècle et directeur de son Harmonie. Il est aussi connu pour ses arrangements pour instrument à vent de plusieurs opéras de Rossini, Weber, von Winter et Cherubini.
↑Le titre de l'opéra Fidelio s'est imposé lors de la version définitive de 1814. Les titres des précédentes versions entre Léonore et Fidelio font l'objet de controverses — Voir à ce propos Massin 1967, p. 646–647
↑Jean-Louis Dutronc, L'Avant-Scène Opéra - Fidélio p. 88.
↑Livret du disque Fidelio, version pour harmonie. Vienne, c. 1815, Ensemble Nachtmusique, dir. Eric Hoeprich (2003, Glossa GCD 920606) (OCLC423660876).