Charles-Michel de L'Épée naît le à Versailles, fils de Charles-François de L'Épée et de Françoise Marguerite Varignon. Il est baptisé le en l'église Notre-Dame de Versailles[2] : son parrain est son oncle maternel, Michel Varignon, et sa marraine est Catherine Fortier, veuve de Thomas Valleran, entrepreneur des Bâtiments du Roi.
Son père, architecte expert des Bâtiments du roi Louis XIV, souhaitait que son fils devînt son successeur[3]. Cependant, après des études de théologie et de droit, Charles-Michel choisit l'Église et la prêtrise[3]. Alors qu'il est sur le point d'être ordonné, Charles-Michel de L'Épée est invité, par l'archevêque de Paris, à livrer son opinion sur le jansénisme ; Charles-Michel ne voulant prendre parti, il est privé d'ordination. Il entre alors au barreau, où il acquiert une grande réputation comme avocat.
Mgr Bossuet — le neveu du célèbre orateur et écrivain Bossuet — propose alors à Charles-Michel de le rejoindre dans son diocèse. Abandonnant sa carrière d'avocat, le jeune homme se fait ordonner prêtre à Troyes en 1736, puis revient à Paris en 1739. À la mort de Mgr Bossuet, l'abbé de L'Épée se lie d'amitié à un janséniste, et se trouvera ainsi de nouveau frappé d'interdit par l'archevêque de Paris[4], Mgr de Vintimille[5].
Possédant une fortune personnelle, l'abbé décide de consacrer son temps aux œuvres de charité. Entre 1760 et 1762, il découvre deux sœurs sourdes à la rue des Fossés-Saint-Victor, les sœurs communiquant entre elles par des signes[6]. Leur précepteur, le père Vanin, étant décédé en 1759[7], il accepte de le remplacer pour enseigner aux jumelles[6]. L'abbé de L'Épée étudie les signes employés par ces filles. Sa maison se transforme en école ouverte à tous les sourds où il accueille 60 élèves sourds[8]. Il a alors l'idée de mettre au point un alphabet à deux mains avec lequel les sourds pourront communiquer[5].
Au fil du temps, L'Épée aura 19 disciples qui fonderont plus tard 17 écoles pour les sourds — parmi lesquels René Dunan à Nantes[réf. nécessaire].
Le 23 décembre 1789, devenu pauvre et infirme en se privant durant des mois pour servir toujours au mieux ses chers élèves, Charles-Michel meurt à l'âge de 77 ans. Son corps est enterré dans l'Église Saint-Roch[9], dans le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui a appartenu à la famille de La Roche. L'abbé de L'Épée est le frère de Jacques-François de L'Épée dont l'épouse est née La Roche[10].
Enseignement de la LSF
L'Épée a mis en place la recherche sur une langue des signes méthodique utilisable par les sourds, afin de lier ces signes avec le français écrit, mais, comme l’a ultérieurement souligné Ferdinand Berthier, son erreur fut de vouloir assimiler la structure syntaxique du français à celle de la gestuelle des sourds.
Contrairement à ce que certains croient encore, ce n'est pas l'abbé de L'Épée qui a éduqué des sourds, même avec des gestes. Comme dit Pierre Desloges : « Ce n'est donc pas Monsieur l'abbé de L'Épée qui a créé et inventé ce langage ; tout au contraire, il l'a appris des sourds et muets. »[11]. En revanche, c'est le regroupement des élèves sourds dans son institution et le besoin de communiquer entre eux qui favorisèrent et perfectionnèrent la langue des signes française (LSF), la langue naturelle des sourds. L'échec de l'enseignement du langage de signes méthodiques de l'abbé de L'Épée montre qu'il est vain de vouloir enseigner aux sourds sans tenir compte de leur identité culturelle[réf. souhaitée]. Il pratiquait aussi les techniques de démutisation et a adapté à la langue française les techniques mises au point en Espagne par Juan de Pablo Bonet, en Angleterre par John Wallis et aux Pays-Bas par Johann Conrad Amman. Il opposa sa méthode à celle de deux autres précepteurs de sourds : Samuel Heinicke en Allemagne et Jacob Rodrigue Péreire en France, ce dernier employant des méthodes aujourd'hui considérées archaïques : l'oralisation artificielle à partir de l'observation de la phonétisation "naturelle" (la correspondance entre l'écriture et les mouvements labiaux des entendants) dans le but d'intégrer les sourds - par assimilation - à la culture orale des entendants.
Les signes méthodiques ne sont pas non plus proches de ce qu’on peut appeler le français signé, car ils ont été créés artificiellement.
Postérité
En , deux ans après sa mort, l'Assemblée nationale l'a reconnu en décrétant que son nom serait inscrit comme bienfaiteur de l'humanité et que les sourds bénéficieraient des Droits de l'homme.
Le , le moteur de recherche Google lui dédie son Google Doodle en page d'accueil à l'occasion de son 306e anniversaire après sa naissance.
L’abbé est une figure du roman Anatole, de Sophie Nichault de la Valette, écrit en 1815 : « Elle n'a plus de secrets pour elle, et trouve du plaisir à lui avouer que depuis trois mois les leçons de l'abbé de l'Épée l'ont rendue très-savante dans le langage d'Anatole »
Œuvres
Les Quatre Lettres sur l'éducation des sourds, Paris, Butard, 1774.
Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques Paris : Nyon l'Aîné, 1776, lire en ligne.
La Véritable Manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une longue expérience Paris : Nyon l'aîné, 1784, lire en ligne.
L'Art d'enseigner à parler aux sourds et muets de naissance, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1820, lire en ligne.
↑Dans la biographie qu'il consacrera à l'abbé de L'Épée, Berthier présente l'archevêque de Paris à ce moment comme étant Christophe de Beaumont. En réalité, ce dernier ne sera archevêque de Paris qu'en 1746, soit trois ans après la mort de Bossuet.
Ferdinand Berthier, L’Abbé de l’Épée : 1712-1789, dans Les bienfaiteurs de l'Humanité : Études biographiques, Paris : Librairie Paul Ducrocq, 1878, p. 1–17.
Yvonne Pitrois, La vie de l'Abbé de l'Epée racontée aux sourds muets, 1912.
Jean-René Presneau, Signes et institution des sourds, XVIIIe – XIXe siècle, Champ Vallon, 1998.
Maryse Bézagu-Deluy, L'Abbé de l'Épée, instituteur gratuit des sourds et muets, 1712-1789, Paris, Seghers, 1990, (ISBN2232103382)
Inauguration de la statue de l'Abbé de l'Epée dans Versailles, sa ville natale, le dimanche 3 septembre 1843, Imprimerie de Montalant-Bougleux (lire en ligne).