La Touraine n'a connu que deux abbayes de femmes, à Beaumont-lès-Tours et à Moncé, cette dernière étant beaucoup moins importante que la précédente. Il n'a été conservé qu'un petit nombre des chartes la concernant, mentionnées dans un inventaire ancien[1],[2].
Voici ce qu'en disait Le Mercure Galant en 1706 : « L'abbaye de Moncé est de l'ordre de Cîteaux et de la filiation de Clairvaux ; Elle est située dans un des plus beaux endroits de Touraine. La communauté en est fort grande, et remplie de filles de qualité. L'abbaye de Moncé est ancienne, et elle a produit d'excellents sujets, particulièrement dans le siècle dernier, et on y a vu des filles qui auraient donné de bonnes leçons sur la vie spirituelle[3]. »
Toponymie
Montiacum[4], Moncé-lez-Amboise en 1185, Fons de Monceo à la création du prieuré en 1209, Monceium en 1228 (chartes de Fontaines les Blanches), Ecclesia B. Mariæ de Monceio en 1242 (charte de Moncé)[5], Moncy en 1288 (charte de la comtesse d'Alençon)[6], Mons Cœlestis[7] et finalement Moncé sur la carte de Cassini et Moncey sur le cadastre. Le nom découle probablement du latin mons devenu monceaus (1165) en vieux français, désignant une petite colline, soit la même origine que « monceau »[8]. Une autre source évoque un très hypothétique domaine de Moncius[9].
Histoire
La création de l'abbaye de Moncé est relatée dans la Grande chronique de Tours (Chronicon turonense magnum), rédigée au milieu du XIIIe siècle:
« L'année 1209 […] quatre religieuses, Ermengarde du Plessis et Perronelle de Méré, de l'abbaye de Beaumont-lès-Tours, accompagnées d'Agnès de Linières et de Pelerine, du prieuré de Saint-Avit, s'installèrent dans une maison en bois qu'elles avaient faite construire au sommet du coteau de Moncé. Elles y vécurent en suivant la règle cistercienne durant trois années. En 1212, un riche bourgeois de Tours, nommé Payen Hermenard (Pagani Hermenardi), leur fit bâtir en pierre un monastère et une église. Les religieuses furent peu à peu vingt, puis trente, puis cinquante. Elles s'installèrent dans les nouveaux bâtiments le . L'église fut consacrée solennellement le par Maurice, évêque du Mans[10]. »
Une des premières religieuses du prieuré aurait été apparentée à la famille d'Amboise en étant une descendante d'Adénor, sœur d'Hugues Ier d'Amboise.
Le prieuré de Moncé fut érigé en abbaye par le papeInnocent X en 1652, à la demande du roi Louis XIV qui en attribua ultérieurement les bénéfices à Madame de Châteaumorand, en qualité d'abbesse, le à Versailles[11]. Au XVIIe siècle l'abbaye abritait 40 religieuses.
Blason
Les armes de l'abbaye de Moncé se blasonnaient ainsi :
D'azur à la Vierge d'or portant de son bras dextre l'Enfant aussi d'or; accompagnée à dextre d'un pied humain contourné d'argent, et à senestre d'un bourdon et d'une main versée, tous deux aussi d'argent et rangés en fasce[12],[N 1].
Patrimoine
Sulpice III d'Amboise fut, sinon le fondateur, du moins un des premiers bienfaiteurs du prieuré en lui donnant une partie de son patrimoine. Dans une charte de 1214, il lui fait don de : « sa métairie de la Varenne située entre l'île Barbe et Limeray, avec toutes ses dépendances et droits de pêche en Loyre ». À sa mort en 1218, sa veuve, Isabelle de Chartes, dame d'Amboise poursuivit ces dons, tradition perpétuée par sa fille Mathilde. En 1242, Renaud de Précigny attribua aux religieuses une rente sur ses terrages et son moulin d'Augé et, en 1288, c'est Jeanne de Blois-Châtillon, comtesse d'Alençon, qui leur donna deux cents charretées de bois à prendre dans sa forêt de Blois. En 1363, Ingelger d'Amboise donna aux religieuses : « une maison dans l'enceinte du château »[13].
Le Clos Lucé, appelé fréquemment cloux ou clos, a appartenu aux religieuses du prieuré de Moncé, qui le louaient par bail à rente, d'abord à Amé du Perche, seigneur du Breuil, puis à Macé Baboyon et sa femme. Le , le clos sera définitivement cédé à Étienne le Loup, garde des forêts d'Amboise[14],[15].
En 1721, un paysan découvrit un petit trésor d'or et d'argent, caché dans un creux de rocher sous l'abbaye de Moncé. C'est sa soudaine aisance qui le fit remarquer[17].
Des Dames dures en affaires
Si les revenus du prieuré, puis de l'abbaye, sont substantiels, ce n'est pas pour autant que les religieuses, couramment dénommées dans les actes « Dames de Moncé », se montrent détachées des biens matériels, bien au contraire. Dès 1232, soit 23 ans après la création du prieuré, elles sont en procès avec le couvent des trinitaires de Saint-sauveur-lès-Tours, litige qui sera encore évoqué à la fin du XVIe siècle[18]. Un factum, produit au sujet de l'appel d'une sentence du , indique que cette sentence « ... a condamné la prétention des Appelantes [une prétendue héritière et les Dames de Moncé] qui sont des étrangères qui viennent avec des titres gratuits pour enlever à des petits enfants les débris de la fortune de leur aïeul[19]. ». L'abbesse Madeleine Dorat, refusant depuis 1690 de financer les réparations indispensables du clocher de l'église Saint-Saturnin de Limeray, celui-ci s'écroula le en détériorant gravement le chœur de l'édifice. Après plusieurs actions juridiques : « Le Roy en son Conseil fait tant droit sur le tout et conformément à l'avis dudit Sieur Chauvelin, sans avoir égard à l'opposition formée par les religieuses de Moncé, à l'exécution dudit arrest du Conseil du 22 juillet 1698, dont sa Majesté les a déboutées, a ordonné et ordonne que les rolles dans lesquels elles ont été comprises pour le prix entier des ouvrages qui ont été faits ou qui seront à faire au clocher de ladite paroisse de Limeray seront exécutées selon leur forme et teneur. Fait au Conseil d’État du Roy, tenu à Versailles le 16e jour d'avril 1715[20]. »
Fermeture et destruction
Comme toutes les communautés religieuses, l'abbaye fut victime de la déchristianisation pendant la Révolution française. Les religieuses en furent chassées, et les bâtiments, décrétés biens nationaux en . Mis en vente aux enchères le , le lot principal comprenant les bâtiments de l'abbaye, un moulin, une closerie, deux métairies et 188 ha de terres diverses fut adjugé pour 126 525 livres à Antoine Desmée, commissaire des guerres[21].
La plupart des constructions furent détruites entre 1792 et 1798. Ne subsistèrent que l'infirmerie[N 7], une fuye[N 8], l'église et le logis abbatial. Ces deux derniers furent rasés en 1844 pour faire place au château de Moncé[N 9], de style néo-renaissance, construit de 1845 à 1846, par Charles Alphonse de Sain de Bois-le-Comte[22],[N 10] Une statue de sainte Marthe, datée de la fin du XVe siècle, en provenance de l'abbaye de Moncé est conservée dans l'église Saint-Saturnin de Limeray. Une statue d'un moine cistercien, datée du XVIe siècle, a peut-être la même origine. Deux médaillons de vitraux ont également été sauvés et insérés dans les vitraux de l'église.
D'après les descriptions des bâtiments figurant dans les procès-verbaux des biens nationaux, on peut présumer que l'abbaye avait été en grande partie reconstruite au XVIIe siècle[22].
Acte d'adjudication de l'abbaye du .
Château de Moncé édifié sur l'emplacement de l'abbaye.
↑La métairie et les terres situées aux Fougerêts appartenaient avant la Révolution à l’abbaye de Moncé. Devenue propriété de la famille Lorin de Bray au cours du XVIIIe s., vendue comme bien national en 1791 à la même famille, elle est entrée dans le patrimoine de Jacques Pierre Orillard de Villemanzy lorsqu’il a hérité des biens de son demi-frère Étienne Jacques François Lorin de Bray, décédé en 1808 (voir le contrat de liquidation de la succession Villemanzy du 12 octobre 1830, sous la cote 111J113).
↑Orthographiée "Bois d'Enha". Affermée pour 330 livres et 2 livres de cire le 12 mai 1284
↑Charles Alphonse de Sain de Bois-le-Comte a été maire de Limeray. Selon Geneanet, il était le fils de Claude Christophe, seigneur des Arpentis, lieutenant des maréchaux de France.
↑Reconstitution approximative, les sources étant incomplètes et contradictoires :
M. de la Ponce, Recueil de documents destinés à faciliter la rédaction d'une géographie ecclésiastique et politique, 1856 in Mémoires de Société archéologique de Touraine, tome 9, à Tours chez Guilland-Verger, 1857.
Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre et Loire et de l'ancienne province de Touraine, t. 4, 1882.
↑Nommée le 4 octobre 1786. L'anneau d’argent de Marie de Roucy, dernière abbesse de Moncé, décédée le , est conservé dans la sacristie de l’église Saint-Saturnin de Limeray, monté sur un Christ en bronze du XVIIe siècle.
Références
↑Manuscrit no 1494 conservé à la bibliothèque de Tours
↑Rapports et délibérations du conseil général d'Indre et Loire, 184?, pp. 434-435.
↑Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique historique et biographique d'Indre et Loire et de l'ancienne province de Touraine, tome 4, 1882, p. 273.
↑Layette 38, Archives de la cour des comptes de Blois
↑Jean-Louis Chalmel, Histoire de la Touraine jusqu'en 1790, tome 3, chez H. Fournier jeune Paris et à Tours chez Mame et Moisy, 1828, p. 509
↑Robert - Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1998.
↑Pierre-Henri Billy, Origine des noms des villes et des villages de France, Genève, Éditions Famot, 1981.
↑André Salmon, Recueil de chroniques de Touraines, Ladevèse, Tours, 1854, p. 152-153 (texte en latin).
↑Journal de Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, tome 11, Paris, Firmin Didot frères, 1857, p. 180.
↑Ce blasonnement est reconstitué à partir du texte et du croquis figurants dans le manuscrit de l'abbé Blaive, reproduits dans le bulletin no 1 de la revue Ambacia paru en 1985, et de la transcription fournie par Louis-Auguste Bosseboeuf dans son livre : La Touraine historique, 1897, p. 585 (note en bas de page).
↑Marguerite Coleman, Histoire du Clos-Lucé, Tours, Arrault et Cie, 1937, p. 7-14.
↑Marguerite Coleman, Histoire du Clos-Lucé, Tours, Arrault et Cie, 1937, pp. 12-13.
↑Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique historique et biographique d'Indre et Loire et de l'ancienne province de Touraine, tome 2, 1882, p. 325.
↑Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique historique et biographique d'Indre et Loire et de l'ancienne province de Touraine, tome 1, 1882, p. 467.
↑Yves Combeau, Le comte d'Argenson (1696-1764) Ministre de Louis XV, École des Chartes, 1999, p. 211.
↑Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. 44, 1994, p. 193 Lire en ligne.
↑Archives départementales d'Indre-et-Loire, registre paroissial de Limeray 1700-1721, p. 222-224. Arrêt du conseil d'État consigné à la fin de l'année 1715 par le curé Isaïe Bonnette. Lire en ligne
↑Archives départementales d'Indre-et-Loire, 1 Q 12 no 17, 31 mai 1971 article 1.
↑ a et bDenis Jeanson, Sites et Monuments du Val de Loire 1, à compte d'auteur, 1976, p. 52.
↑Nicolas Viton de Saint-Allais, Nobiliaire universel de France, Volume 17, Bachelin-Deflorenne, Paris, 1872-1878, p. 419. Elle fut nommée le 21 août 1706.
↑« 19 novembre 1712 - Le Roy a donné l'Abbaye de Moncé, Ordre de Cisteaux, Diocèse Tours, à la Dames de Serpinès [sic], Religieuse du même Ordre » in Gazette de Paris, p. 588 Lire en ligne
Annexes
Bibliographie
Jean-Louis Chalmel, Histoire de la Touraine jusqu'en 1790, chez H. Fournier jeune Paris et à Tours chez Mame et Moisy, 1828.
Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique historique et biographique d'Indre et Loire et de l'ancienne province de Touraine en 6 tomes, 1879.
Marguerite Coleman, Histoire du Clos-Lucé, Tours, Arrault et Cie, 1937.
Denis Jeanson, Sites et Monuments du Val de Loire 1, à compte d'auteur, 1976.