Un traité d'amitié et d'alliance entre le gouvernement de Mongolie et le Tibet a été signé à Ourga, l'actuelle Oulan-Bator, en Mongolie, le [1] correspondant au selon le calendrier julien[2]. Son texte en langue mongole a été publié par l'Académie des sciences de Mongolie en 1982[3], et en 2007 un exemplaire original en langue tibétaine et en écriture tibétaine est apparu dans les archives mongoles[4].
Des doutes ont été exprimés sur L'autorité d'un négociateur, Dorjiev, a conclure un tel traité, étant à la fois un citoyen russe et d'origine ethnique tibétaine [5].
Dans le traité d'amitié et d'alliance, la Mongolie et le Tibet déclaraient leur reconnaissance et fidélité mutuelles. Les représentants mongols ayant signé le traité étaient le ministre des affaires étrangères Da Lama Ravdan et le général Manlaibaatar Damdinsüren(en). La délégation tibétaine qui a signé ce document était composée d'un Tibétain, Gendun-Galsan, et d'un Bouriate, Agvan Dorjiev, ressortissant de l'empire russe. Le traité porte les sceaux des représentants du Tibet et de la Mongolie[8].
Selon Charles Alfred Bell, rien n'indique que ce traité ait été ratifié par le 13e dalaï-lama ou son gouvernement. La lettre du dalaï-lama à Agvan Dorjiev ne mandatait en rien celui-ci pour signer un quelconque traité, elle l'exhortait simplement à œuvrer pour le bien de la religion bouddhiste[9],[10]. Selon Warren W. Smith Jr, en désavouant partiellement le traité, le dalaï-lama souhaitait apaiser les craintes des Britanniques concernant une ingérence russe au Tibet[11]. De plus, une ratification à cette époque de la Mongolie monarchique et du Tibet n'était pas nécessaire[12].
Le gouvernement russe a soutenu qu'en tant que sujet russe, Dorjiev ne pouvait pas agir à titre diplomatique au nom du dalaï-lama [13]. Néanmoins, avant de signer le traité, Dorjiev a rencontré en Mongolie I. Ya. Korostovets, plénipotentiaire russe à Urga, et lui déclaré que le Tibet voulait conclure des traités avec la Mongolie et la Russie. Korostovets, ayant mentionné que "Khlakha (Mongolie extérieure) venait de déclarer son indépendance, reconnue par la Russie", il n'avait aucune objection à la conclusion d'un traité entre la Mongolie et le Tibet, mais il était opposé à un traité du Tibet avec la Russie [14].
Selon la Commission internationale de juristes, des informations provenant d'archives russes révèlent que Dorjiev était bien le représentant autorisé du 13e dalaï-lama et le traité Tibet-Mongolie de reconnaissance mutuelle un traité légitime[15].
Selon le 14e dalaï-lama, ce traité a été conclu sous l'autorité du 13e dalaï-lama[16]. Pour John Snelling, le 13e dalaï-lama conféra à Dorjiev les pouvoirs plénipotentiaires pour négocier et formaliser un rapprochement entre la Mongolie et le Tibet en tant qu’États souverains[17].
Selon Warren W. Smith Jr, la validité du traité est souvent mise en doute principalement quant à l'autorité de Dorjiev pour négocier au nom du Tibet et l'approbation quelque peu ambiguë du traité par le Tibet. Le fait que Dorjiev était un citoyen russe portait atteinte quelque peu à son rôle ; le traité présentait certains avantages pour la Russie dans la mesure où il pouvait s'interpréter comme étendant au Tibet le protectorat exercé par cette dernière sur la Mongolie[18].
Selon Barry Sautman, la Mongolie et le Tibet n'étaient pas reconnus en tant qu'État en 1913 au moment de la signature du traité. La Mongolie avait proclamé son indépendance fin 1911 alors que de nombreux territoires et provinces de Chine faisaient sécession à la suite de la chute de la dynastie des Qing. La Mongolie ne fut reconnue que des décennies plus tard par la Russie et la Chine : l'Union soviétique et la République de Chine ne reconnurent la Mongolie qu'en 1946 (pour revenir, en ce qui concerne la République de Chine (i.e. Taïwan), sur cette reconnaissance en 1953 avant de se raviser en 2002). Les États-Unis ne reconnurent la Mongolie qu'en 1987. Le Tibet et la Mongolie en 1913 n'étant pas reconnus comme États par les autres États, le fait pour l'un et l'autre de se reconnaître mutuellement n'a pas plus d'importance que la reconnaissance mutuelle de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie aujourd'hui[19].
Elliot Sperling remarque que Sautman ne va pas au-delà des points de vue de la Chine. Pour Sperling, que les Tibétains et les Mongols aient affirmé dans leur traité de 1913 s'être affranchis de la domination de l'État mandchou et de n'être ainsi plus reliés avec la Chine est important sur le plan de la terminologie[20]. Il faut aussi préciser que les États-Unis se sont abstenus, mais n'ont pas voté contre l'admission de la Mongolie à l'ONU en 1961[21].
Selon Sergius L. Kuzmin, mongoliste, tibétologue, bouddhologue et auteur de Hidden Tibet(en)[22], il existe des données selon lesquelles le traité signé par la Russie avec la Mongolie en 1912 (c'est-à-dire avant de signer le traité avec le Tibet) signifiait la reconnaissance internationale de la Mongolie en tant qu'État qui ne nécessitait pas de sanction d'un tiers ; en conséquence, selon Sergius L. Kuzmin, le traité entre le Tibet et la Mongolie indique que le Tibet dans la première moitié du XXe siècle était un État indépendant de facto et de jure[12].
Pour Michael van Walt van Praag, « le Tibet possédait sans aucun doute la capacité de conclure un traité en 1913, puisqu'il remplissait à l'époque les critères d'un État indépendant et qu'il avait conclu des traités valides auparavant, démontrant amplement sa capacité à conclure des traités. Quant à la Mongolie, elle remplissait elle aussi les critères d'un État indépendant et avait conclu un traité avec une puissance majeure, la Russie, quelques mois seulement avant de conclure le traité avec le Tibet, démontrant également sa capacité à conclure des traités. »[23]
Conséquences
Lors de la Convention de Simla, les informations au sujet du traité ont suscité des soupçons considérables parmi les négociateurs britanniques qui craignaient que la Russie n'utilise le traité pour influer sur les questions tibétaines[9].
Un traité similaire, le Traité tripartite de Kiakhta, a été signé par la Mongolie, la République de Chine et la Russie le [24]. L'accord a affirmé l'autonomie complète de la Mongolie dans les questions internes et les privilèges russes en Mongolie, formellement reconnaissant en même temps la suzeraineté de la Chine sur le pays[25].
Extrait
Dans les premières lignes du traité, le Tibet et la Mongolie attestent s'être libérés de la domination Mandchoue et d'avoir chacun constitué un État indépendant. De courts articles portent notamment sur :
l'engagement mutuel de secours et d'assistance du Tibet et de la Mongolie ;
« La Mongolie et le Tibet s'étant libérés de la dynastie mandchoue et séparés de la Chine, sont devenus des États indépendants. Les deux États ont toujours professé une seule et même religion, et, afin de consolider leur ancienne amitié mutuelle, ils sont convenus de signer [cet accord] » [26].
Références
↑(de) Udo B. Barkmann, Geschichte der Mongolei, Bonn 1999, pp. 119-122, 380f.
↑Warren Smith, "Tibetan Nation", p186:"The validity is often questioned, mainly on grounds of the authority of Dorjiev to negotiate on behalf of Tibet...the fact that Dorjief was a Russian citizen while ethnically Tibetan somewhat compromises his role; the treaty had some advantages to Russia in that it could be interpreted as extending Russia's protectorate over Mongolia to encompass Tibet."
↑ a et b(en) Charles Bell, Tibet Past and Present, Oxford, Clarendon Press, 1924, pp. 150f, 228f, 304f : « This 'treaty' was concluded on behalf of Tibet by the Russian Buriat, Dorjieff, tireless as ever in the work of drawing Russia and Tibet together. His authority was based on a letter given him by the Dalai Lama, when the latter was fleeing from the British expedition to Lhasa. But the Dalai Lama denied that this letter – which enjoined Dorjieff to work for the Buddhist religion, a not uncommon request – justified anything in the nature of a treaty. Nor does it appear that the Lama or his government ever ratified the document » (p. 151).
↑(en) Tom Grunfeld, The Making of Modern Tibet, M. E. Sharpe, 1996, p. 65.
↑[Korostovets, I.Ya. Девять месяцев в Монголии. Дневник русского уполномоченного в Монголии. Август 1912 — май 1913 гг. (Nine months in Mongolia. A diary of Russian plenipotentiary in Mongolia. August 1912 - May 1913.) Ulaanbaatar, Admon publisher, 2011, p. 198]
↑(en) Tibet: Human Rights and the Rule of Law, International Commission of Jurists, 1997, p. 39 : « However recent information from Russian archives reveals that Dorjiev was an authorized representative of the Dalai Lama and that the Tibet-Mongolia treaty of mutual recognition was a legitimate treaty »
↑(en) Dalai Lama, My Land and My People, New York, 1962 : « In 1913 the Tibetan Government entered into a treaty with the Government of Mongolia. This entreaty was entered into under the authority of the Dalai Lama. By this treaty Tibet and Mongolia declare that they recognized each other as independent countries ».
↑(en) John Snelling, Buddhism in Russia: The Story of Agvan Dorzhiev, Lhasa's Emissary to the Tsar, Éditeur Élément, 1993 (ISBN9781852303327), p. 148 : « The Dalai Lama therefore invested Dorzhiev with plenipotentiary powers to negotiate and finalize a rapprochement between Mongolia and Tibet as sovereign states. »
↑(en) Warren W. Smith Jr, Tibetan Nation: A History of Tibetan Nationalism and Sino-Tibetan Relations, Westview Press, 1996, p. 186 : « The validity of this treaty is often questioned, mainly on grounds of the authority of Dorjiev to negotiate on behalf of Tibet and the later somewhat equivocating endorsement of the treaty by Tibet. The fact that Dorjiev was a Russian citizen somewhat compromises his role; the treaty had some advantages to Russia in that it could be interpreted as extending Russia's protectorate over Mongolia to encompass Tibet. »
↑(en) Barry Sautman, “All that Glitters is Not Gold”: Tibet as a Pseudo-State 2009 : « Norbu claims Tibet had a mutual recognition treaty with Mongolia in 1913 and the Simla treaty of 1914 with Britain, but Tibet was not recognized by any established state in the modern era, the era that matters to the modern concept of statehood. Mongolia was not a recognized state in 1913. It proclaimed independence in late 1911, when many Chinese provinces and territories were declaring they were separate, because the Qing Dynasty had just collapsed. Mongolia was not recognized until decades later by Russia and China, the two states whose territories surround Mongolia, or by Japan, the power most interested in prying Mongolia loose from Russian and Chinese influence. The Soviet Union and ROC recognized Mongolia only in 1946 and the latter withdrew its recognition in 1953. It did not recognize Mongolia again until 2002. Japan recognized Mongolia in 1972; the US did so only in 1987. (...) The treaty [with Mongolia] was apparently inspired and executed with Russian interests at the fore; yet, whether that is so is not the main point, because Tibet and Mongolia were not recognized as states. Thus, for them to recognize each other had no more significance than the present-day mutual recognition by South Ossetia and Abhazia (...) ».
↑(en) Elliot Sperling, The History Boy, Rangzen Alliance, 24 juin 2010 : « Sautman is oblivious to all of this because he does not (and seems to feel no need to) go beyond the views from China. That the Tibetans and Mongols asserted in their 1913 treaty that they had emerged from under rule by the Manchu State and were thus no longer linked with China (Rgya-nag) is significant in terms of terminology. »
↑« Сотрудники Института востоковедения РАН » [« Institute of Oriental Studies of the Russian Academy of Sciences, Department of Korea & Mongolia, S.L. Kuzmin, D.Sc. (Hist.), Ph.D. (Biol.), Principal Research Fellow »], sur ivran.ru
↑(en) Michael van Walt van Praag, A Legal Examination of the 1913 Mongolia-Tibet Treaty of Friendship and Alliance, 17 Lungta: The Centennial of the Tibeto-Mongol Treaty, 1913–2013 (Spring 2013): 81–100.
(en) Parshotam Mehra, « The Mongol–Tibetan Treaty of January 11, 1913 », Journal of Asian History, vol. 3, no 1, , p. 1–22 (lire en ligne)
(en) Matteo Miele, « A geopolitical reading of the 1913 Treaty between Tibet and Mongolia », Tibetan Review, vol. XLVIII, nos 01-02, , p. 14–16 (lire en ligne)