Thubten Chökyi Nyima naît en 1883 d'une mère simple servante, qui garde des troupeaux dans la montagne, et d'un père inconnu, dont la mère ne dévoila pas le nom[1]. Il aurait eut un frère jumeau, lui même reconnu comme rTse-mchog-gling rinpoché[2]. Il a pour tuteur Khunu Lama Tenzin Gyaltsen[3].
À l'âge de cinq ans, il est intronisé 9e panchen-lama par le 13e dalaï-lama, lui-même âgé seulement de douze ans[1] en 1888.
En 1901, Choekyi Nyima reçoit la visite du lama mongol Agvan Dorjiev. Bien qu'il ne soit resté que deux jours au monastère de Tashilhunpo, Dorjiev reçoit du panchen lama certains enseignements secrets, de même que la lecture de la « Prière de Shambhala », écrite par Lobsang Palden Yeshe, le 6e panchen-lama (ou 3e selon la nomenclature), à propos du royaume bouddhiste de Shambhala, prière qui fut d'une grande importance pour le développement de la compréhension par Dorjiev des enseignements tantriques du Kalachakra (la Roue du Temps). Choekyi Nyima a aussi donné des cadeaux à Dorjiev dont des statues en or[4].
Charles Alfred Bell est invité à rendre visite au 9e panchen-lama à Tashilhunpo, où ils ont des discussions amicales sur la situation politique[8].
En 1907, O'Connor fait acheminer au Tibet les deux premières automobiles à travers l'Himalaya, dont l'une est une Laurin & Klement offerte par le gouvernement indien au panchen-lama[9],[10].
En 1907, O'Connor suggère que l'Inde encourage le panchen-lama à déclarer son indépendance vis-à-vis de Lhassa en créant un état indépendant au Sud du Tibet, dirigé depuis son siège à Shigatsé. Le gouvernement britannique aurait alors reconnu et soutenu ce nouvel état[11].
Vers le début du XXe siècle, les relations sino-tibétaines sont conflictuelles et mènent à la fuite du 13e dalaï-lama en Inde en 1910.
La Chine prend prétexte d'une suzeraineté pour demander à deux reprises au 9e panchen-lama de prendre la place du 13e dalaï-lama, ce qu'il refuse.
Révolution chinoise et déclaration d'indépendance du Tibet
L'empire Qing s'effondre à la suite du Soulèvement de Wuchang en à Wuhan. En , 18 provinces et districts chinois appuient la révolution, déclarant les unes après les autres leur indépendance[12]. Le 13e dalaï-lama proclame, en 1912, l'indépendance du Tibet, indépendance de facto, qui ne fut reconnue par aucun État[13].
Rapports entre le panchen-lama et le dalaï-lama
Selon le tibétologue Melvyn Goldstein, lorsque le 13e dalaï-lama, après son retour d'Inde en 1913, veut appliquer de nouvelles impositions aux domaines féodaux, le 9e panchen-lama refuse net, faisant valoir que les clauses des octrois de terres de l'empereur mandchou excluent tout impôt supplémentaire[14]. Selon John Powers, le 13e dalaï-lama cherchait non seulement à prélever des revenus des domaines du panchen-lama pour couvrir un quart des dépenses militaires du Tibet, mais aussi à réduire les pouvoirs de ce dernier, lequel, à l'époque, régnait sur une région de fait autonome autour de Shigatsé[15].
Alexandra David-Néel chez le panchen-lama (1916)
Le , Alexandra David-Néel quitte le Sikkim pour le Tibet en compagnie de Yongden et d'un moine. Elle projette, entre autres choses, de se rendre au monastère de Tashilhunpo, près de Shigatsé. Au monastère, où elle arrive le , on la laisse consulter les écrits bouddhistes et visiter les divers temples. Le 19, elle se rend chez le panchen-lama, dont elle reçoit la bénédiction et un accueil charmant : il la présente aux notables de son entourage, à ses professeurs et à sa mère (avec laquelle Alexandra noue des liens d'amitié et qui lui suggère d'habiter un couvent). Le panchen-lama enchérit et lui propose de rester à Shigatsé comme son invitée, ce qu'elle décline, quittant la ville le , non sans avoir reçu les titres honoraires de lama et de docteur en bouddhisme tibétain et connu des heures de grande félicité[16].
Fuite du panchen-lama en Chine
Le , le 9e panchen-lama s'enfuit en Chine[17] puis reste en exil en Chine et en Mongolie-Intérieure entre 1924 et 1934[18]. Depuis longtemps tenu en suspicion par le gouvernement tibétain en raison de ses rapports étroits avec les Chinois et contestant ses obligations fiscales à l'égard de Lhassa[19], il se sent menacé après que les moines de son monastère se voient interdire toute fonction dans le gouvernement tibétain et ses représentants sont enfermés à Lhassa[20]. Invité de façon impérative à venir habiter une maison spécialement construite pour lui à Lhassa et craignant qu'un attentat ne soit projeté contre sa personne, il annonce son intention de se renfermer dans ses appartements pour méditer quelque temps ; en réalité, il quitte son palais en secret pour gagner la frontière chinoise sous la garde d'une centaine de soldats du Tsang[21]. Pensant pouvoir se servir de sa personne pour reprendre pied au Tibet, le gouvernement chinois l'accueille à bras ouverts, lui donnant l'usage du Parc du Sud à Pékin[22] et favorisant la mise sur pied d'un « gouvernement du panchen-lama à l'étranger »[23].
Apprenant le départ du 9e panchen-lama, Agvan Dorjiev tente en vain de le rencontrer sur sa route jusqu'à Pékin, il laisse cependant une lettre à son attention lui suggérant de se réconcilier avec le 13e dalaï-lama. Selon Alexander Andreyev, le 9e panchen-lama répondit à Agvan Dorjiev qu'il n'avait pas de différend avec le 13e dalaï-lama et que sa fuite avait pour cause une lutte entre ses disciples et ceux du dalaï-lama[24].
Selon la thèse de Fabienne Jagou, malgré sa richesse apparente, le monastère de Tashilhunpo était devenu insolvable, et ne pouvait plus payer sa contribution au gouvernement tibétain[25]. Le 9e panchen-lama ne se serait pas enfui, mais serait parti à la recherche de donateurs mongols pour régler cet impôt. Après diverses péripéties, il atteint la province du Gansu. Il est conduit jusqu'à Pékin. En Chine, il s’intéresse aux « Trois principes du peuple » de Sun Yat-sen, et joue le rôle de médiateur pour la paix pour la Mongolie septentrionale. C’est encore en Chine qu’il élabore un projet de modernisation du Tibet[26].
Le 9e panchen-lama demeure quatorze ans en exil et, alors qu'il est en chemin vers son monastère de Tashilhunpo, il meurt prématurément en 1937, à Jyekundo, de nos jours incorporé à la province du Qinghai, et alors dans la province tibétaine du Kham, à la frontière entre le Tibet et la Chine, à la suite du conflit sino-tibétain des années 1930. Sa dépouille est transportée de Jyekundo à Kansé, une ville du Sikang, où son corps, assis, les jambes croisées en posture de méditation, est mis dans une caisse remplie de sel en vue de sa momification, des centaines de lampes au beurre fournissant une illumination perpétuelle[27].
Interaction avec la diplomatie britannique
Dans les années 1930, le 9e panchen-lama affirma à un diplomate britannique alors en poste à Pékin qu'il l'avait rencontré dans son monastère. Le diplomate qui n'était jamais allé au Tibet apprit plus tard qu'il avait une ressemblance avec George Bogle[28].
Indications pour la réincarnation du 13e dalaï-lama
Peu avant sa mort, il donne des indications qui se confirmeront à une délégation de lamas recherchant la réincarnation du 13e dalaï-lama. Il s'agissait d'informations sur la localisation de la maison où rechercher l'enfant, dans le village de Taktser dans l'Amdo[29]
Partie de Lhassa, la délégation de Ketsang Rinpoché et de ses trois auxiliaires arriva dans le Kham après un voyage de deux mois. Atteignant le village de Riwoché, Ketsang Rinpoché écrivit au panchen-lama alors à Jyekundo, lui demandant si les escarmouches à la frontière sino-tibétaine pouvaient gêner la mission. Un mois plus tard, il reçut la réponse du panchen-lama qui l’assurait qu’aucun obstacle ne surviendrait. Le deuxième jour du Losar, ils rendirent visite au panchen-lama lui remettant des présents et des documents scellés du gouvernement tibétain. Le panchen-lama leur indiqua trois noms d’enfants comme des candidats prometteurs. Il fournit au groupe deux aides, des chevaux et ânes, un guide et les dirigea vers le nord, en Amdo. Des trois enfants mentionnés par le panchen-lama, l'un était décédé avant la visite de la délégation et le second ne montra pas de signes permettant sa reconnaissance. Le troisième enfant reçut la visite de Ketsang Rinpoché et de Tsédroung Lobsang, accompagnés d'un moine et d'un interprète du monastère de Kumbum connaissant le tibétain de Lhassa, et qui se présentèrent comme des pèlerins. L'enfant reconnut Ketsang Rinpoché comme un lama de Séra et il mentionna le nom de Tsédroung Lobsang. Il s'agissait de Lhamo Teundroup qui allait être reconnu comme le 14e dalaï-lama[30].
↑Fabienne Jagou, Le 9e Panchen Lama (1883-1937) : enjeu des relations sino-tibétaines, Publications de l'École Française d'Extrême-Orient : Monographies, no. 191, 2004, (ISBN2855396328), p. 36
↑Lacarne, « Au Thibet — Le Dalaï-Lama de Lhassa duit la domination anglaise », Le Petit Journal, supplément du dimanche, Paris, no 781, , p. 370 (lire en ligne)
↑(de) Susanne Amtsberg, Das Dach der Seligen : Roman (lire en ligne), p. 255
↑(en) Spencer Chapman, Lhasa : The Holy City, Londres, Readers Union Ltd., , p. 141.
↑(en) Frederick O'Connor, On the frontier and beyond: a record of thirty years' service, 1931 : « I had brought out with me a small 8 h.p. motor-car as a present to the Tashi Lama from the Government of India, and also my own little 61/2 h.p. Baby Peugeot. »
↑(en) Alex McKay, Tibet and the British Raj : The Frontier Cadre, 1904-1947 (lire en ligne), p. 35:« In February 1907 he suggested that India should encourage the Panchen Lama to declare his independence from Lhasa and create a separate state in southern Tibet, ruled from his Shigatse headquarters. The British would then recognise and support the new state. »
↑(en) Joseph W. Esherick et C.X. George Wei, China : How the Empire Fell, Rootledge, , 302 p. (ISBN978-1-134-61215-4, lire en ligne), p. 184 : « According to statistics in The History of the 1911 Uprising, eighteen provinces and districts supported the revolution by the end of December 1911. Wu Tingfang, the south's chief negotiator, notified Prince Qing that the emperor had better abdicate and endorse a republic before Qing rule collapsed, as all parts of the country declared independence one after the other. »
↑Eric Faye, Christian Garcin, Dans les pas d'Alexandra David Néel, Stock, 2018, 320 p. (livre numérique Google, n. p.) : « la situation s'était rapidement dégradée en Chine avec la chute de la dynastie Qing en 1911, et le Tibet s'était autoproclamé indépendant l'année suivante - une indépendance que, soit dit en passant, aucun État ne reconnut jamais. »
↑(en) Melvyn Goldstein, The Snow Lion and the Dragon, p. 103 : « Relations between the Panchen and Dalai Lamas in the early twentieth century were poor, so when the thirteenth Dalai Lama levied new taxes on feudal estate holders after his return to Lhasa from India in 1913, the ninth Panchen Lama refused, arguing that the terms of his land grants (from the Manchu emperor) precluded such additional taxation.[9] The thirteenth Dalai Lama's insistence on payment precipitated the flight of the ninth Panchen Lama into exile in China together with his top officials in 1924. He died there in 1937. »
↑(en) Foster Stockwell, Westerners in China: A History of Exploration and Trade, Ancient Times Through the Present, McFarland, 2003, 226 p., p. 121 : « In 1916 she again went into Tibet, this time at the invitation of the Panchen Lama [...]. He gave her access to Tashilhunpo's immense libraries of Buddhists scriptures and made every corner of the various temples accessible to her. She was lavishly entertained by both the Panchen Lama and his mother, with whom she remained a longtime friend. "The special psychic atmosphere of the place enchanted me," she later wrote. "I have seldom enjoyed such blissful hours." »
↑(Jagou 2006) « Le 9e Panchen Lama est un personnage tibétain important. Sa fuite du Tibet vers la Chine en 1923 est l'événement majeur de la première moitié du XXe siècle en ce qu'elle révèle des conditions sociales, politiques et économiques du Tibet à l'époque. »
↑(Tuttle 2006) « The second part deals with the Panchen Lama’s time in exile in China and Inner Mongolia from 1924 to 1934 »[1]
↑(en) Robert Barnett, Shirin Akīner, Résistance and Reform in Tibet, Motild Banarsidass Publisher, 1996, 314 p., Chronology, p. XV : « The Panchen Lama, long distrusted for his close relations with the Chinese, disputes his tax liability to the Tibetan government and flees to China. »
Fabienne Jagou, Le 9e Panchen Lama (1883-1937) : enjeu des relations sino-tibétaines, Paris, publications de l'École Française d'Extrême-Orient, coll. « Monographies » (no 191), , 431 p. (ISBN2-85539-632-8)
Compte-rendu : Isabelle Charleux, « Fabienne Jagou, Le 9e Panchen Lama (1883-1937).Enjeu des relations sino-tibétaines », Archives de sciences sociales des religions, nos 131-132 « Vara », , p. 215-311 (lire en ligne)
Fabienne Jagou, « Recherches préliminaires sur les biographies des maîtres tibétains et mongols ayant vécu en Chine à l'époque moderne. », Cahiers d'Extrême-Asie, vol. 15 « Conception et circulation des textes tibétains, sous la direction de Fabienne Jagou », , p. 275-294 (DOI10.3406/asie.2005.1229, lire en ligne)
(en) Spencer Chapman, Lhasa: The Holy City, 1940, Readers Union Ltd., London.
(en) Bradley Mayhew et Michael Kohn, Tibet 6th Edition, 2005, Lonely Planet Publications (ISBN1-74059-523-8).
(en) John Powers, History as Propaganda: Tibetan Exiles versus the People's Republic of China, 2004, Oxford University Press (ISBN978-0195174267).
(en) John Snelling, Buddhism in Russia: The Story of Agvan Dorzhiev : Lhasa's Emissary to the Tsar, 1993, Element Books (ISBN1-85230-332-8).