Théorème de Wedderburn. —Tout corps fini est commutatif.
Remarque sur la terminologie : diverses sources, notamment sous l'influence de l'anglais où le mot field désigne un corps commutatif, posent la commutativité de la multiplication dans la définition d'un corps et en particulier pour les corps finis. Le théorème serait alors une tautologie triviale si on interprétait ainsi l'expression « corps fini » qui y figure. L'énoncé ci-dessus doit être lu avec l'autre interprétation où la commutativité de la multiplication dans la définition de « corps » n'est pas exigée. Dans le cas contraire où elle est exigée, on peut énoncer le théorème ainsi: tout corps gauche (encore appelé anneau à division) fini est commutatif. On renvoie à l'article Corps (mathématiques) pour plus de détails sur la terminologie.
Conséquence et généralisation
Tout anneau sans diviseur de zéro et fini est un corps (a priori non commutatif), puisque la multiplication par un élément non nul, qui est injective par intégrité, est alors aussi surjective dans le cas fini. Le théorème de Wedderburn affirmant l'inexistence d'un corps non commutatif fini, on en conclut qu'un anneau fini sans diviseur de zéro ne peut lui aussi qu'être un corps commutatif.
En 1905, Wedderburn et Dickson publient chacun un article où il est démontré que tout corps fini est commutatif. Dickson attribue le résultat à Wedderburn. En effet, Wedderburn a communiqué une preuve du résultat à Dickson, et celui-ci, alors qu'il doute de sa véracité, finit par découvrir une preuve différente qu'il communique à son tour à Wedderburn. Ce dernier s'en inspire pour deux autres démonstrations qu'il publie, jointes à la première, dans son article. Ce n'est que plus tard que la première démonstration de Wedderburn apparut comme incomplète[3],[4],[5].
De nombreuses autres démonstrations de ce théorème, utilisant des outils mathématiques assez différents, ont été proposées depuis[5],[4]. La première preuve de Wedderburn a elle-même été corrigée de plusieurs façons[4].
Démonstration
La démonstration proposée ici est due à Ernst Witt[6],[7] en 1931. Elle peut se découper en quatre temps.
K est un espace vectoriel sur son centre
K est un corps fini. Soient Z son centre (c'est un sous-corps commutatif de K) et q = | Z | le cardinal de Z (qui vaut au moins 2 car Z contient 0 et 1).
K est un Z-espace vectoriel de dimension finie d = dimZ(K). Le cardinal de K est alors |K| = qd. Il s'agit, pour prouver que K est commutatif c'est-à-dire K = Z, de démontrer que d = 1.
Pour tout corps intermédiaire Z ⊂ K' ⊂ K, la dimension d' de K' sur Z divise d, puisqu'on vérifie facilement[5] en prenant des bases que d = d''d', où d'' désigne la dimension de K considéré comme espace vectoriel (à gauche) sur le corps (non commutatif a priori) K'. (On pourrait également utiliser simplement le Théorème de Lagrange stipulant que l'ordre de chaque élément d'un groupe divise l'ordre du groupe)
Soient x un élément de K et Zxl'ensemble des éléments de K commutant avec x. Zxest un sous-corps de K contenant Z. D'après le point précédent, dx= dimZ(Zx) divise d.
Formule des classes pour l'action de K× sur lui-même par conjugaison.
Notons K× le groupe multiplicatif de K, constitué des éléments inversibles de K. K×agit sur lui-même par conjugaison par pour .
Le cardinal de l'orbite d'un élément de K× est où, rappelons, . La conjugaison est triviale sur Z ; les éléments de Z× ont une classe réduite à un élément.
Si (xi) est une suite de représentants des k orbites non ponctuelles, la formule des classes s'écrit :
soit, en constatant que est l'ensemble des éléments inversibles et commutant avec par "multiplication" de , ce qui implique que est un sous-corps de contenant Z (et donc ) :
En notant
on vient de voir que F(q) = q – 1.
Φd(X) divise F(X) dans Z[X]
La théorie des polynômes cyclotomiques usuels (qui sont à coefficients entiers) démontre l'égalité suivante, si Φe(X) désigne le polynôme cyclotomique d'indice e :
En particulier Φd(X) divise Xd – 1, et pour tout diviseur strictd' de d, Φd(X) divise aussi (Xd – 1)/(Xd' – 1) puisque
pour un certain polynôme C(X) à coefficients entiers : le produit des Φe(X) pour tous les e qui divisent strictement d mais qui ne divisent pas d' .
Par conséquent, Φd(X) divise F(X) dans ℤ[X]. En effet, pour tout dont l'orbite n'est pas ponctuelle, est un diviseur strict de d donc le raisonnement précédent s'applique à et la conclusion suit, vu la définition de F(X).
Géométrie des racines primitives d-ièmes
On a obtenu 0 < q – 1 = F(q) = Φd(q)Q(q), où Q(q) est un entier, nécessairement non nul, donc |Q(q)| vaut au moins 1, si bien que
Pour tout entier n ≥ 1, , où ui décrit l'ensemble des racines primitives n-ièmes de l'unité. Comme l'illustre la figure ci-contre, si u est une racine primitive n-ième de l'unité avec n > 1, on a |q – u| > q – 1, donc
Les deux inégalités précédentes entraînent d = 1 ; ainsi K est commutatif. Le théorème est démontré.
Interprétation cohomologique
Le théorème équivaut essentiellement au fait que le groupe de Brauer de tout corps fini K est trivial. Cette reformulation permet la démonstration suivante, plus rapide : comme le quotient de Herbrand(en) est nul par finitude, Br(K) = H2(Kalg/K) coïncide avec H1(Kalg/K), qui est lui-même nul d'après le théorème 90 de Hilbert.
↑(en) K. H. Parshall, « In pursuit of the finite division algebra theorem and beyond: Joseph H M Wedderburn, Leonard E Dickson, and Oswald Veblen », Arch. Internat. Hist. Sci., vol. 33, , p. 274-299.