Tableau périodique étendu

Tableau périodique étendu proposé par P. Pyykkö[1].

Un tableau périodique étendu est un tableau périodique comportant des éléments chimiques au-delà de la 7e période, éléments hypothétiques de numéro atomique supérieur à 118 (correspondant à l'oganesson) classés en fonction de leurs configurations électroniques calculées.

Le premier tableau périodique étendu a été théorisé par Glenn Seaborg en 1969[2] : il prévoyait une 8e période contenant 18 éléments du bloc g et une nouvelle famille d'éléments chimiques dite des « superactinides ». D'autres tableaux étendus ont été publiés par la suite, répartissant les éléments sur parfois 9 périodes, comme celui proposé en 1971 par Fricke et al.[3] ou celui proposé en 2011 par Pekka Pyykkö[1].

Limite du tableau périodique

Rien ne permet de préciser le nombre maximum de protons et d'électrons qu'un même atome peut contenir. La limite d'observabilité pratique est généralement estimée à au plus Z = 130[4], dans la mesure où l'existence des atomes superlourds se heurte à la limite de stabilité des noyaux[5]. Cela place la fin du tableau périodique peu après l'une des valeurs proposées pour le dernier îlot de stabilité, centré dans ce cas autour de Z = 126.

Richard Feynman releva en 1948 qu'une interprétation simple de l'équation de Dirac semi-relativiste aboutit à l'impossibilité de représenter les orbitales atomiques lorsque le numéro atomique Z est supérieur à 1α ≈ 137, où α est la constante de structure fine : de tels atomes ne pourraient avoir d'orbitale électronique stable pour plus de 137 électrons, ce qui rendrait impossible l'existence d'atomes électriquement neutres au-delà de 137 protons ; l'élément 137 est depuis lors parfois surnommé « feynmanium »[6].

Le modèle de Bohr donne par ailleurs une vitesse v1s supérieure à la vitesse de la lumière c pour les électrons de la sous-couche 1s dans le cas où Z > 137 :

.

Une étude plus poussée, prenant notamment en compte la taille non nulle du noyau, montre cependant que le nombre critique de protons pour lequel l'énergie de liaison électron-noyau devient supérieure à 2m0c2, où m0 représente la masse au repos d'un électron ou d'un positron, vaut Zcrit ≈ 173 : dans ce cas, si la sous-couche 1s n'est pas pleine, le champ électrostatique du noyau y crée une paire électron-positron[7],[8], d'où l'émission d'un positron[9] ; si ce résultat n'écarte pas complètement la possibilité d'observer un jour des atomes comprenant plus de 173 protons, il met en lumière un facteur supplémentaire d'instabilité les concernant.

Conjectures au-delà de la 7e période

8e période

Au-delà des sept périodes standard, une huitième période est envisagée pour classer les atomes — à ce jour inobservés — ayant plus de 118 protons. Cette huitième période serait la première à posséder des éléments du bloc g, caractérisés à l'état fondamental par des électrons sur une orbitale g. Néanmoins, compte tenu des limites à la périodicité aux confins du tableau — effets relativistes sur les électrons des très gros atomes — qui deviennent significatifs dès le dernier tiers de la 7e période, il est peu probable que la configuration électronique de tels atomes obéisse aux règles observées tout au long des six premières périodes. Il est en particulier délicat d'établir le nombre d'éléments contenus dans ce bloc g : la règle de Klechkowski en prédit 18, mais la méthode de Hartree-Fock en prédit 22.

Le tableau périodique étendu à la huitième période avec 22 éléments dans le bloc g pourrait ainsi présenter l'aspect suivant :

1  H     He
2  Li Be   B C N O F Ne
3  Na Mg   Al Si P S Cl Ar
4  K Ca   Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
5  Rb Sr   Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
6  Cs Ba   La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
7  Fr Ra   Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
8  119 120 * 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172
     
  * 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142  

9e période

Une neuvième période est parfois évoquée, mais, compte tenu de l'incertitude réelle quant à la possibilité d'observer à terme plus d'une dizaine d'éléments nouveaux sur la huitième période, tous les éléments de numéro atomique supérieur à 130 relèvent a priori de la pure extrapolation mathématique. À noter qu'une variante de la table ci-dessus, proposée par Fricke et al. en 1971[3] et revue par Pekka Pyykkö en 2011[1], répartit les 172 mêmes éléments sur 9 périodes, et non 8, en les distribuant de manière non périodique : les éléments 139 et 140 sont ainsi placés entre les éléments 164 et 169, dans le bloc p et non plus dans le bloc g, tandis que les éléments 165 à 168 sont placés sur une 9e période dans les blocs s et p :

1  H     He
2  Li Be   B C N O F Ne
3  Na Mg   Al Si P S Cl Ar
4  K Ca   Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
5  Rb Sr   Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
6  Cs Ba   La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
7  Fr Ra   Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr Rf Db Sg Bh Hs Mt Ds Rg Cn Nh Fl Mc Lv Ts Og
8  119 120 * 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 139 140 169 170 171 172
9  165 166     167 168  
  * 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138      

Méthodes de synthèse d'éléments superlourds

Synthèses des transactinides de la 7e période
Ion Cible Nucléide Année
Rutherfordium 22
10
Ne

12
6
C
242
94
Pu

249
98
Cf
259
104
Rf

257
104
Rf
1964
1969
Dubnium 22
10
Ne

15
7
N
243
95
Am

249
98
Cf
261
105
Db

260
105
Db
1968
1970
Seaborgium 18
8
O

54
24
Cr
249
98
Cf

208
82
Pb
263m
106
Sg

260
106
Sg
1974
Bohrium 54
24
Cr
209
83
Bi
262
107
Bh
1981
Hassium 58
26
Fe
208
82
Pb
265
108
Hs
1984
Meitnérium 58
26
Fe
209
83
Bi
266
109
Mt
1982
Darmstadtium 62
28
Ni
208
82
Pb
269
110
Ds
1994
Roentgenium 64
28
Ni
209
83
Bi
272
111
Rg
1994
Copernicium 70
30
Zn
208
82
Pb
277
112
Cn
1996
Nihonium 70
30
Zn
209
83
Bi
278
113
Nh
2004
Flérovium 48
20
Ca
244
94
Pu
289
114
Fl
2003
Moscovium 48
20
Ca
243
95
Am
287
115
Mc
2003
Livermorium 48
20
Ca
248
96
Cm
293
116
Lv
2000
Tennesse 48
20
Ca
249
97
Bk
293
117
Ts
2010
Oganesson 48
20
Ca
249
98
Cf
294
118
Og
2002

La synthèse de nouveaux éléments superlourds passe par la maîtrise des techniques de fusion nucléaire. Celles-ci consistent à projeter des noyaux atomiques les uns contre les autres avec suffisamment d'énergie pour former un état transitoire appelé noyau composé, à partir duquel les nucléons des noyaux incidents peuvent se réorganiser en couches nucléaires correspondant à un noyau unique.

Fusion chaude et fusion froide

On distingue généralement la fusion dite « chaude », qui produit des noyaux composés pourvus d'une énergie d'excitation de l'ordre de 40 à 50 MeV, de la fusion dite « froide » (qui, dans ce contexte, n'a aucun rapport avec le concept médiatique également appelé « fusion froide »), produisant des noyaux composés à l'énergie d'excitation d'environ 10 à 20 MeV. Dans le premier cas, la probabilité que les collisions forment des noyaux composés augmente, mais ces noyaux fissionnent le plus souvent, avec une faible probabilité de dissiper leur énergie d'excitation en émettant quelques neutrons (typiquement de 3 à 5) pour former un noyau superlourd unique, dont la désintégration peut être détectée ; dans le second cas, la probabilité de former des noyaux composés est plus faible, mais avec également une probabilité plus faible que les noyaux composés ainsi formés subissent une fission spontanée, ce qui peut favoriser la formation de noyaux superlourds après émission d'un ou deux neutrons.

Cibles et projectiles

En pratique, la fusion chaude consiste à utiliser une cible en actinide (sur la 7e période du tableau périodique) sur laquelle sont accélérés très fortement des ions assez légers de la 2e période, voire de la 3e période. La fusion froide, quant à elle, fait intervenir des cibles plus légères — un métal pauvre de la 6e période comme le plomb ou le bismuth — sur lesquelles sont accélérés des ions plus lourds, typiquement un métal de la 4e période. Les premiers transactinides (éléments 104Rf et 105Db) ont été obtenus par fusion chaude, tandis que le seaborgium (élément 106) a été découvert en 1974 par deux équipes indépendantes travaillant l'une aux États-Unis par fusion chaude et l'autre en URSS par fusion froide[10] :

Fusion chaude :
18
8
O
+ 249
98
Cf
267
106
Sg*
263m
106
Sg
+ 4 1
0
n
.
Fusion froide :
54
24
Cr
+ 208
82
Pb
262
106
Sg*
260
106
Sg
+ 2 1
0
n
.
54
24
Cr
+ 208
82
Pb
262
106
Sg*
261
106
Sg
+ 1
0
n
.

La fusion froide a ensuite permis de découvrir les éléments 107Bh, 108Hs, 109Mt, 110Ds, 111Rg, 112Cn et 113Nh. Ce dernier a été obtenu en 2004 en fusionnant l'ion métallique le plus lourd de la 4e période avec la cible la plus lourde utilisable sur la 6e période[11] :

70
30
Zn
+ 209
83
Bi
279
113
Nh*
278
113
Nh
+ 1
0
n
.

Les nucléides superlourds suivants ont par conséquent été synthétisés par une méthode différente, tirant parti des propriétés exceptionnelles du calcium 48, souvent qualifié de silver bullet (c'est-à-dire de solution inespérée), mettant en œuvre une fusion chaude avec des cibles en actinide, plus riches en neutrons, et un ion plus lourd de la 4e période : le 48
20
Ca
 ; cette méthode a permis de découvrir les cinq éléments 114Fl, 115Mc, 116Lv, 117Ts et 118Og.

Tentatives de synthèse d'éléments de la 8e période

Un grand nombre de paramètres doit être pris en compte pour parvenir à produire des nucléides de la 8e période.

Une réaction de fusion a généralement un rendement d'autant plus élevé qu'elle est asymétrique, c'est-à-dire que le rapport des nombres de masse entre la cible et l'ion utilisé comme projectile est plus élevé. Cela entre en ligne de compte lorsqu'on accélère un ion métallique de la 4e période sur un actinide de la 7e période.

Le taux de neutrons dans les noyaux atomiques augmente avec le numéro atomique : le ratio NZ vaut par exemple 1 à 1,2 pour les isotopes stables du néon sur la 2e période, mais vaut 1,52 pour le bismuth 209 (6e période) et 1,60 pour le plutonium 244 (7e période). Les projectiles doivent par conséquent être aussi riches en neutrons que possible, sinon les noyaux produits par fusion seront trop riches en protons et se désintégreront avant de pouvoir être observés. Le calcium 48 est ainsi un projectile de choix, car il est à la fois léger, quasiment stable, et particulièrement riche neutrons, avec un ratio NZ de 1,4 : c'est lui qui a permis la découverte des éléments 114Fl, 115Mc, 116Lv, 117Ts et 118Og. Des alternatives plus lourdes au 48Ca existent, mais sont moins riches en neutrons, par exemple le titane 50 (NZ = 1,27), le nickel 64 (NZ = 1,29), le zinc 70 (NZ = 1,33) et surtout le palladium 110 (NZ = 1,39) ; l'utilisation d'ions plus lourds rend cependant la réaction plus symétrique, ce qui réduit sa probabilité de succès.

La double contrainte de conserver une réaction asymétrique et de produire des nucléides riches en neutrons implique d'utiliser des cibles formées d'atomes eux-mêmes de plus en plus lourds. Les cibles utilisées aujourd'hui sont des actinides déjà difficiles à produire en quantité et avec une pureté suffisantes, et qui de surcroît se désintègrent rapidement : par exemple, le berkélium 249 utilisé pour synthétiser l'élément 117 au JINR en 2010 n'était alors produit qu'au laboratoire national d'Oak Ridge et se désintègre avec une période radioactive d'environ 330 jours. Il est par conséquent difficile en pratique de disposer de cibles formées d'atomes beaucoup plus lourds : le fermium 257, par exemple, qui ferait une excellente cible pour tenter la synthèse de l'élément 120 avec le calcium 48, ne peut être produit qu'à raison de quelques picogrammes (10−12 g) par livraison, alors qu'on peut disposer de milligrammes (10−3 g) de berkélium 249.

Pour ces raisons, les tentatives de synthèse d'éléments de la 8e période ont consisté en des fusions chaudes d'ions de titane 50, de chrome 54, de fer 58 ou de nickel 64 sur des cibles en plutonium 242, en curium 248, en berkélium 249 ou en californium 249 :

Cette configuration réduit la probabilité de succès de l'expérience, mais, en contrepartie, rend la fusion plus froide, ce qui réduit l'énergie d'excitation du noyau composé résultant, lequel aura ainsi tendance à se désintégrer moins vite. Aucune de ces tentatives n'avait cependant été fructueuse en 2016.

Acteurs de ces recherches

Seuls quelques laboratoires dans le monde sont équipés d'infrastructures permettant d'atteindre les sensibilités requises — avec des sections efficaces de l'ordre du femtobarn[15], soit 10−43 m2, ou encore 10−25 nm2 — pour la détection de noyaux aussi lourds que ceux de la huitième période. D'une manière générale, la mise en commun des ressources de ces laboratoires est de mise pour parvenir à des résultats probants :

En Suisse, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN, canton de Genève), et l'Institut Paul Scherrer (PSI, canton d'Argovie), comptent également parmi les organisations notables dans ce domaine de recherches, par exemple dans la caractérisation des nucléides identifiés. En France, le Grand accélérateur national d'ions lourds (GANIL, en Normandie), a proposé dans les années 2000 une approche différente[16], fondée sur l'accélération d'ions d'uranium 238 sur des cibles en nickel et en germanium pour étudier les propriétés de désintégration des noyaux composés comprenant 120 et 124 protons afin de localiser le prochain nombre magique de protons parmi les différentes valeurs proposées par les théories existantes.

Notes et références

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  3. a et b (en) B. Fricke, W. Greiner et J. T. Waber, « The continuation of the periodic table up to Z = 172. The chemistry of superheavy elements », Theoretica chimica acta, vol. 21, no 3,‎ , p. 235-260 (DOI 10.1007/BF01172015, lire en ligne)
  4. (en) Encyclopaedia Britannica : article « Transuranium Element », dont la brève section « End of Periodic Table » en fin d'article situe entre 170 et 210 la borne supérieure théorique du numéro atomique, et à Z ≈ 130 la limite d'observabilité des atomes.
  5. (en) S. Ćwiok, P.-H. Heenen et W. Nazarewicz, « Shape coexistence and triaxiality in the superheavy nuclei », Nature, vol. 433, no 7027,‎ , p. 705-709 (PMID 15716943, DOI 10.1038/nature03336, Bibcode 2005Natur.433..705C, lire en ligne)
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