La notion de sobriété a une dimension d'éthique environnementale. Elle est de plus en plus considérée comme une condition nécessaire à la protection et à la restauration de l'environnement et du climat[réf. nécessaire]. Elle peut se décomposer en sobriété énergétique, sobriété numérique et sobriété matérielle, pour aboutir selon des auteurs tels que Pierre Rabhi à la « sobriété heureuse » s'appuyant sur un « hédonisme de la modération » et une « simplicité volontaire » ou la « vie bonne ».
L'Histoire du progrès au XXe siècle et au début du XXIe siècle montre que les stratégies environnementales d'ordre technique, telles que l'augmentation de l'efficience énergétique et l'optimisation des ressources, les transitions énergétiques ou l'utilisation accrue de ressources régénératives, ne suffisent pas à conduire à la baisse globale de consommation de ressources difficilement, coûteusement ou lentement renouvelables, principalement à cause de l'« effet rebond ».
La sobriété économique implique de profonds changements de comportements, individuels et collectifs, qui impliquent des transformations sociétales remettant en cause la société de consommation industrielle, telle qu'elle s'est développée grâce aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et nucléaire[réf. nécessaire].
« Dans les faits, on ne peut s'approcher d'une société respectueuse de la nature que de deux façons : par une rationalisation intelligente des moyens et par une limitation astucieuse des objectifs. En d'autres termes : la révolution de l'efficacité ne voit pas la direction à prendre si elle n'est pas accompagnée par la révolution de la sobriété[4]. »
Wolfgang Sachs, en 2018, définissait la sobriété avec « quatre D »[5] :
décélérer (aller moins vite moins loin) ;
désencombrer (accumuler moins de biens) ;
décentraliser (choisir le local et le régional) ;
démarchandiser (laisser moins de place au marché dans sa vie).
Manfred Linz décrit la sobriété comme la recherche d'un juste niveau dans ces domaines. Il définit l'éco-sobriété comme « mode de vie et d'économie qui met fin à la consommation excessive de biens et, partant, de matière et d'énergie »[6]. Aussi associe-t-il l'éco-efficience à la consistance . On ne peut y arriver qu'au travers d'une faible demande en biens et services qui seraient à l'origine d'une consommation de ressources trop élevée[7]. Le changement de système de pensée ici requis est considéré comme plus difficile que celui qui consiste à s'adapter à de nouvelles technologies[8],[9].
En France, il est question de « sobriété heureuse »[10], d'« hédonisme de la modération »[11] ou de « simplicité volontaire » ou de la « vie bonne » répondant aux sept besoins essentiels rappelés par le philosophe Paul Ricœur[12], et au sein de l'Institut Paris Région, l'Agence régionale énergie - climat Île-de-France (AREC)[13], reprenant une classification proposée par l'association négaWatt, distingue la « sobriété d’usage », la « sobriété de substitution », la « sobriété dimensionnelle » et la « sobriété collaborative »[14]. La sobriété concerne aussi bien aux individus qu'à la société dans son ensemble[15],[16] aujourd'hui, par opposition à une sobriété punitive ou imposée et subie dans le futur proche conséquence du dépassement des limites planétaires.
Pour valoriser pleinement le potentiel d'économies d'énergie, il convient de combiner la sobriété énergétique avec l'efficacité énergétique[17]. L'efficacité énergétique seule entraîne des risques d'effet rebond (qui réduit les bénéfices prévus) et occulte la possibilité d'éviter complètement des dépenses énergétiques par la sobriété (par exemple, en séchant la lessive sur un fil plutôt que dans une machine)[17].
Le sociologue et économiste Pierre Veltz note que « la notion de sobriété souffre d’un handicap énorme par rapport à celle d’efficacité. Cette dernière peut être objectivée, mesurée, alors que la sobriété dépend fondamentalement des choix et des valeurs que nous décidons d'adopter (...) la sobriété n'est pas d'abord une question de comportement, mais d'organisation collective de nos sociétés ». Dans son essai Bifurcations (2022), il distingue trois dimensions (individuelles, systémiques et structurelles) de la sobriété et estime le deuxième comme étant le plus important car « il est difficile de demander de la sobriété individuelle dans une société organisée autour de l'abondance et du gaspillage. Ce n'est pas seulement une question de dissonance des valeurs. Le constat de base est que nos comportements sont formatés par les cadres physiques, organisationnels et réglementaires que la société nous impose (...) Pour faire du vélo, il faut des pistes cyclables, et pour que le vélo devienne un moyen de déplacement majeur, il faut que la répartition spatiale de l'emploi, de l'habitat, des services, ne soit pas trop éclatée »[18].
Recherche
La recherche s'intéresse aux conditions individuelles, sociales et politiques qui empêchent la consommation mesurée. Elle étudie comment il est possible de viser une consommation mesurée. Cela comprend la façon dont le comportement de consommation de la société de gaspillage (throw-away society) et l'articulation de la perception du bien-être aux biens matériels peuvent être modifiés. Et cela inclut les conséquences sur la structure économique et sur la croissance d'un agissement mesuré des ménages, entreprises et institutions[réf. nécessaire].
Le congrès de 2011 de l'Association allemande pour une économie écologique place la sobriété au cœur d'un champ de contraintes entre le bonheur et le renoncement[19]. Tout comme l'éco-efficience, la sobriété n'est pas exempte d'effets rebond[20].
La recherche évalue encore quelle part de sobriété, à côté de l'efficience et de la consistance, est nécessaire pour atteindre la protection efficiente de la nature. Les effets rebond constituent une menace et justifient la sobriété, tout comme le changement climatique, la diminution des ressources et la perte de biodiversité[réf. souhaitée].
L'Académie des technologies estime qu'en matière de réchauffement climatique, la « sobriété est nécessaire à court terme, car la technologie ne [suffit] pas à faire face à l’urgence climatique ». De manière plus générale, elle affirme que la « sobriété est nécessaire au progrès et [que] le progrès est nécessaire à la sobriété »[21].
Instrument d'atténuation du réchauffement climatique
Le troisième volet du sixième rapport d'évaluation du GIEC, paru en 2022, identifie la réduction de la demande comme un instrument majeur d'atténuation. Celle-ci peut être obtenue à la fois par l'adoption de technologies bas-carbone ou offrant une meilleure efficacité énergétique, par des changements dans l'utilisation des infrastructures, et par des transformations socio-culturelles. La sobriété (sufficiency en anglais), en énergie comme en matériaux, est explicitement évoquée dans le chapitre 9 du rapport, consacré au secteur du bâtiment[23],[24],[25],[26].
En France
Les Agenda 21, puis les plans climat, la SNBC, s'appuient dans une certaine mesure, et plus ou moins selon les collectivités, sur le concept de sobriété matérielle et énergétique en tant que levier majeur pour atteindre leurs objectifs propre et les objectifs climatiques de la France, de l'Europe et de l'ONU (Accord de Paris sur le climat). Il vise notamment à rester sous les +2 °C et si possible sous les 1,5 °C).
De nombreuses agglomérations (à travers leurs plans climat-air-énergie territoriaux) et d'autres collectivités françaises intègrent la sobriété comme levier stratégique[réf. nécessaire]. Certaines régions ont mis en place des GRECs (équivalents locaux du GIEC). À titre d'exemple, l'Île-de-France a collaboré avec la ville de Paris pour renforcer l'action publique de Paris vers une transition socio-écologique appuyée sur une « sobriété énergétique et matérielle »[réf. nécessaire]. Ce travail s'est fondé sur une analyse de la littérature scientifique disponible et sur des documents stratégiques[Lesquels ?] de la ville. Ils montrent que des enjeux majeurs sont : de ne pas prioriser l'efficacité au détriment de la sobriété ; la nécessité d'une politique globale de sobriété intégrant tous les secteurs et territoires, en veillant à l'équité, à la justice sociale et à la coopération inter-territoriale sur le sujet, afin de gérer les impacts environnementaux aux bonnes échelles territoriales. Cela implique des apprentissages collectifs de coordination inter-acteurs, de prise en compte des impacts extraterritoriaux, pour une mobilisation culturelle de la ville dans la promotion de la sobriété. Pour une mise en œuvre opérationnelle, ce travail a recommandé[27] :
de coordonner les acteurs opérationnels décisionnaires en matière d'économie circulaire, notamment dans le BTP, concernant la sobriété énergétique des constructions et les biodéchets pour l'agriculture ;
de produire une grille d'analyse multicritère « sobriété » pour analyser les dépenses majeures de la ville et les décisions clés de sa politique d'allocation du foncier et des locaux ;
d'expérimenter des protocoles de recherche d'alternatives écologiques aux infrastructures à forte empreinte écologique, en partant du service rendu à l'usager, pour prioriser les besoins essentiels, en mobilisant la pluralité des savoirs.
↑(de) Joseph Huber, Nachhaltige Entwicklung durch Suffizienz, Effizienz und Konsistenz, Éditeur Peter Fritz, p. 31-46.
↑(de) Niko Paech et Björn Paech, « Suffizienz plus Subsistenz ergibt ökonomische Souveränität : Stadt und Postwachstumsökonomie », oekom e.V. – Verein für ökologische Kommunikation (Hrsg): Post-Oil City. Die Stadt von morgen, , p. 54-60.
↑(de) Gerhard Scherhorn, Über Effizienz hinaus, in Hartard, Schaffer & Giegrich (Hrsg.), Ressourceneffizienz im Kontext der Nachhaltigkeitsdebatte, Baden-Baden, 2008, Nomos Verlag.
↑(de) Wolfgang Sachs, Die vier E's: Merkposten für einen maß-vollen Wirtschaftsstil, pages 69-72. Citation originale : « Einer naturverträglichen Gesellschaft kann man in der Tat nur auf zwei Beinen näherkommen: durch eine intelligente Rationalisierung der Mittel wie durch eine kluge Beschränkung der Ziele. Mit anderen Worten: die „Effizienzrevolution“ bleibt richtungsblind, wenn sie nicht von einer „Suffizienzrevolution“ begleitet wird ».
↑Uwe Schneidewind(de) et Angelika Zahrnt, « La vie bonne est une question politique », La revue durable, numéro 61 (« Sobriété et liberté : à la recherche d'un équilibre »), été-automne 2018, pages 26-29. En allemand, les « quatre E » : Entschleunigung, Entflechtung, Entrümpelung et Entkommerzialisierung.
↑Yannick Rumpala, « Quelle place pour une « sobriété heureuse » ou un « hédonisme de la modération » dans un monde de consommateurs ? », L'Homme & la Société, vol. 208, no 3, , p. 223–248 (ISSN0018-4306, DOI10.3917/lhs.208.0223).
↑ a et bKris de Decker, « L'insoutenable légèreté du concept d'efficience énergétique », La revue durable, numéro 61 (« Sobriété et liberté : à la recherche d'un équilibre »), été-automne 2018, pages 33-35.
Voir aussi Sobriété énergétique et matérielle urbaine : Significations, usages et enjeux en regard des politiques publiques de la Ville de Paris ([1] [PDF], 4 pges), fiche de « synthèse des apprentissages collectifs ».
(de) Felix Ekardt, Jahrhundertaufgabe Energiewende : Ein Handbuch, .
(de) Felix Ekardt, Theorie der Nachhaltigkeit : Rechtliche, ethische und politische Zugänge : am Beispiel von Klimawandel, Ressourcenknappheit und Welthandel (réimpr. 2015) (1re éd. 201).
(de) Konrad Ott et al., Suffizienz : Umweltethik und Lebensstilfragen, Heinrich Böll Stiftung, coll. « Vordenken - Ökologie und Gesellschaft 2 », , PDF (lire en ligne).
(en) Thomas Princen, The Logic of Sufficiency, MIT Press, Cambridge, 2005.
(en) Mark A. Burch, The Hidden Door: Mindful Sufficiency as an Alternative to Extinction. Simplicity Institute, Melbourne, 2013.
(de) Uwe Schneidewind, Angelika Zahrnt, Damit gutes Leben einfacher wird: Perspektiven einer Suffizienzpolitik, Oekom Verlag, 2013.
(de) « Vom rechten Maß : Suffizienz als Schlüssel zu mehr Lebensglück und Umweltschutz », Politische ökologie, no 135, .
(de) Armin Mahler et Michael Sauga, « Interview de Kurt Biedenkopf : Jahrhundert der Bescheidenheit (Le siècle de la modestie) », Der Spiegel, no 31, (lire en ligne).