Le terme de « réinformation » apparaît en sous la plume de Bruno Mégret, qui, dans le cadre d'un colloque du conseil scientifique du Front national sur l'information, appelle alors de ses vœux « une réinformation qui gomme le stigmate des années de désinformation subies »[1],[2].
Ce concept est théorisé au début des années 2000 par la personnalité d'extrême droite Henry de Lesquen, lequel maîtrise les codes d'internet. Pour diffuser leurs idées (rétablissement de la peine de mort, antiféminisme ou réémigration des « congoïdes »), Lesquen et ses partisans reprennent les méthodes des forums 18-25 ans de Jeuxvideo.com, dont proviennent ses community managers selon Tristan Mendès France, spécialiste du numérique[3],[4]. Nouveau président de Radio Courtoisie, Henry de Lesquen crée en 2007 un « bulletin de réinformation », dont il confie la direction à Jean-Yves Le Gallou[3],[4]. Celui-ci le dirigera jusqu'à sa brouille avec Lesquen, en 2016[5]. C'est à partir de là que le concept de réinformation se popularise à droite.
Selon Le Monde, « réinformation » est « une formule forgée par l’extrême droite pour définir des médias militants de la fachosphère »[11], définie comme « une nébuleuse de sites, de comptes sur les réseaux sociaux, visant à diffuser de la « réinformation », en clair de la propagande allant dans le sens des militants qui les animent. »[12].
Selon Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, les sites de « ré-information » de la « fachosphère », avec les sites « d'alter-info », « qui réécrivent l'histoire », sont une des deux principales communautés poreuses qui constituent la « complots-sphère »[9].
Selon L'Express, pour l'ultra droite, « sur les sites Internet qualifiés par leurs créateurs de "réinformation", les querelles de chapelle s'estompent grâce à des articles ciblant les ennemis communs que sont les ministres Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem, la journaliste Caroline Fourest ou les Femen. Nouvelles de France, Le Salon beige, le Panier à salades, le Rouge et le Noir, Agence Info libre, TV Libertés : la liste n'a pas de fin parce qu'il en naît chaque mois. » Leurs audiences cumulées rivalisent avec certains médias « dominants » et Boulevard Voltaire est l'un des plus influents[13]. Ces sites ont répandu des expressions comme celle du grand remplacement.
Le site Égalité et Réconciliation d'Alain Soral est le plus lu et a une audience plus grande que celle d'Atlantico mais est encore loin de celle des médias comme Le Figaro, Le Monde ou L'Express auxquels ces sites (selon Adrien Sénécat de L'Express[14]) vouent une « haine féroce », les qualifiant parfois de « "merdia", bien pensant, politiquement corrects. »[15]. Selon Samuel Laurent et Michaël Szadkowski du Monde, les sites de droite ou d’extrême droite penseraient qu'il existe « un pacte secret » entre les médias et le pouvoir politique qui s'est amplifié avec l'opposition au mariage homosexuel en France[16].
Selon France Inter, « sous couvert de “ré-information”, on a une presse d’opinion, d’extrême droite, qui sape la légitimité des médias et prospère sur Internet. »[17]. Pour Tristan Mendès France, enseignant en cultures numériques à l'université Sorbonne-Nouvelle, ces critiques essayent de « discréditer les journalistes en optant pour un discours de l'alternative, ils s'assurent les faveurs d'un public déçu ou méfiant des médias traditionnels ». Pour Dominique Albertini, auteur de l'ouvrage La Fachosphère, « la "réinformation" est avant tout un concept marketing car la plupart de ces médias sont des médias d'opinion. »[18]. Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, « de l'avènement de la télévision jusque dans les années 1990, les courants minoritaires dont l'extrême droite n'ont plus eu accès à la télé officielle », ils ont « profité de l'essor du numérique pour lancer leur propre plateforme d'information »[18].
Manifestations et tribunes
Polémia
En 2002, sous l'égide de l'Association pour la Fondation Polémia pour l'identité, la sécurité et les libertés européennes[19], une Fondation Polémia est créée par Jean-Yves Le Gallou, accompagné de Xavier Caïtucoli, Grégoire Dupont-Tingaud, Anne Dufresne, Jacques Gévaudan, Jean-François Legros, Yves Peuterey, Philippe Schleiter et Jean Vidar[20],[21]. Ce think tankidentitaire, présidé par Jean-Yves Le Gallou et principalement actif sur Internet, organise chaque année à Paris les Bobards d'or et le Forum de la dissidence[22].
En 2010, Jean-Yves Le Gallou fait paraître sous l'égide de Polémia un Dictionnaire de réinformation, présenté comme contenant « cinq cents mots pour la dissidence »[23]. Jean-Yves Le Gallou lance également avec Claude Chollet l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique en 2012 (devenu « Observatoire du journalisme » en 2017), considéré comme « un Acrimed d'extrême droite »[24].
En 2016, Dominique Albertini et David Doucet notent que le site polemia.com reste peu fréquenté ; le meilleur succès de la fondation sur internet est une vidéo intitulée « Être français », qui dépasse le million de vues[25]. Des sites de « réinformation » participent à la cérémonie des Bobards d'or, organisée par Polémia.
En 2014, le rapport de l'enquête administrative relative à la mort de Rémi Fraisse cite Pierre-Alexandre Bouclay, collaborateur de plusieurs organes de « réinformation », dont TV Libertés[26],[27],[28], et ancien rédacteur de la revue négationniste[29]L'Autre Histoire[30].[pertinence contestée]
Autres
Se revendiquent également de la « réinformation » :
un certain nombre de sites locaux ou régionaux[12],[41], comme Breizh Info, Infos Bordeaux, Infos Toulouse, Lengadoc Info, Nice Provence, Nordactu, Paris Vox, ou Rhône-Alpes Info[42] ;
Infos Bordeaux est un site web créé en 2010. Se présentant comme un site d'information et d'actualités régionales, il s'agit d'un site militant d'extrême droite[12],[41], proche du Front national et s'inscrivant dans la mouvance de la « réinformation »[42]. Burdigala Presse est un autre site de réinformation en Aquitaine.
Nous sommes partout, un site internet dont le titre fait écho, selon Nord Littoral, au magazine culturel et politique d'avant-guerre Je suis partout[44],[45] ;
↑ abc et dSamuel Laurent, « Nordactu, Breizh Info, Info-Bordeaux... Les vrais faux sites d’infos locales des militants identitaires », Le Monde, (lire en ligne).
↑Bruno Villalba et Xavier Vandendriessche (dir.), Le Front national au regard du droit, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Sciences politiques », (ISBN2-85939-696-9), p. 74.
↑Jérôme Bourbon, « Radio Courtoisie : Henry de Lesquen éjecté de la présidence ! », Rivarol, , p. 2.
Charlotte Blanc, « Réseaux traditionalistes catholiques et « réinformation » sur le web : mobilisations contre le « Mariage pour tous » et « pro-vie » », TIC et Société, vol. 9, no 1, (lire en ligne)
« Une myriade de sites dits de ré-information », dans Robin d'Angelo et Mathieu Molard, Le Système Soral, Paris, Calmann-Lévy, (ISBN978-2-7021-5864-7)
« Les petits soldats de la « réinformation », dans Dominique Albertini et David Doucet, La Fachosphère : comment l'extrême droite remporte la bataille du net, Paris, Flammarion, (ISBN978-2-0813-5491-3), p. 195-233