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La rhétorique politique est l'étude du langage qu'utilisent les personnalités politiques, soit pour débattre entre eux, soit à l'adresse du public.
L'objet du discours politique est de persuader autrui : une des deux fonctions de la rhétorique, qui s'intéresse aussi à la manière de convaincre.
Le débat politique, entre spécialistes, prend le plus souvent la forme d'un débat réglé qui limite les moyens qu'il est permis d'employer[1].
Il est question de rhétorique politique depuis que la politique existe. Cicéron, dans son traité De oratore, fait dire à Crassus :
« Rien ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole retenir l'attention des hommes assemblés, séduire les intelligences, entraîner les volontés à son gré en tous sens. »
Le discours politique tourné vers les grandes envolées lyriques et l'émotion a longtemps bénéficié d'une aura grâce à l'ascendant, le prestige et l'autorité de grands orateurs politiques nourris de références historiques et employant de nombreuses figures de rhétorique et des effets langagiers. Ce discours a en grande partie perdu de son crédit depuis le XXe siècle : le modèle dialogiste est remplacé par le modèle propagandiste (symbolisé par le communisme et le nazisme) puis par le marketing politique et sa rhétorique particulière, régulièrement associée aux techniques de manipulation et de mensonge[2].
À la fin du XXe siècle, dans les démocraties occidentales, le discrédit de la communication politique est renforcé par la peopolisation de la sphère politique, sous l'influence de l'égalitarisme[3] et de la multiplication des médias qui ont paradoxalement un contenu informationnel uniforme privilégiant la forme sur le fond[4]. La fragmentation des audiences politiques (en) encourage le webcasting (diffusion d'audio/vidéo sur Internet)[5] et le narrowcasting (en) (diffusion d'informations vers un public restreint et non pas au grand public, fruit d'un ciblage fin des publics par les programmateurs de télévision et des catégories d’électeurs par les politiques). La communication politique abandonne donc la rhétorique de la mobilisation émotionnelle pour celle de la séduction[6]. Les politiques et leurs conseillers adoptent une stratégie multimédia (interview, talk-show, politainment, publication de communiqués de presse, de tribunes et de livres, communication dans les réseaux sociaux…)[7].
Aux alentours des années 1990, cette communication est stigmatisée à cause de son recours au storytelling qui « s’inscrit logiquement dans une tradition de manipulation des esprits dont les fondements ont été établis au début du XXe siècle par les théoriciens américains du marketing et de la propagande[8] ». Le rejet de cette forme de communication politique s'inscrit dans un mouvement de défiance envers les institutions politiques, les discours des politiciens et les rhétoriques manipulatoires.
Les citoyens, bien qu'incrédules aux effets langagiers du discours politique et aux mécanismes rhétoriques, y restent toutefois sensibles ; ils n'ont, de plus, souvent pas le temps de décrypter tous ces mécanismes (au contraire des journalistes) : l'idéal habermassien — modèle de démocratie délibérative, c'est-à-dire une sphère publique avec une communauté de citoyens éclairés par des médias de masse qui garantiraient les conditions de possibilité d'une organisation sociale pleinement démocratique — apparaît ainsi difficilement atteignable[9],[10].
« Vide », « creux », « prévisible », le discours politique actuel, volontariste et emprunt d'un certain lyrisme, est dénoncé « pour ses lourdeurs formelles » et pour son association fréquente « aux mensonges, promesses et idéologies » auxquels il renvoie[11]. Selon le sociologue Christian Le Bart,
« [Il cumule] les handicaps au point d’apparaître comme l’attribut le moins honorable de ceux qui se livrent à l’activité politique. Si ceux-ci peuvent en effet espérer gagner l’estime de leurs semblables par les « actions » qu’ils mènent (ce que la sociologie politique appelle les politiques publiques), ils savent l’opprobre qui entoure les « beaux parleurs » et autres « démagogues », habiles à manier les mots mais impuissants à faire bouger les « choses ». Cette façon de penser le métier politique comme une incessante oscillation entre des pratiques nobles (agir « concrètement », rester « au contact de la réalité », être « sur le terrain ») et des pratiques critiquables car stériles (les petites phrases, la séduction, la propagande, les « beaux discours ») est à l’évidence simpliste, parce qu’elle établit une distinction fragile entre les mots et les choses, mais il importe avant tout de noter qu’elle constitue un socle des plus solides à partir duquel se déploient les représentations ordinaires de « la politique ». »[12]
— Christian Le Bart, Le discours politique
« La communication [politique], c'est comme la chirurgie esthétique, quand ça se voit, c'est que c'est raté. »
— Gérard Colé, 13 juin 2023