La peinture de style troubadour est une peinture de genre à prétention historique, anecdotique et édifiante qui émerge principalement en France au moment de la Restauration et qui se caractérise par une réappropriation de l'imaginaire du Moyen Âge.
Si techniquement, elle hérite d'une certaine manière de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle, elle s'inscrit surtout dans la lignée du style néogothique anglais, s'en nourrissant, au point de marquer profondément la peinture de l'époque romantique française : son gros succès auprès des publics est évident, on parle de mode et d'engouement, qui s'épuisent avec la révolution de 1848.
Histoire
Prémices
En 1891, l'historien d'art Henry Havard (1838-1921), est, avec le recul nécessaire, l'un des premiers à analyser ce style, écrivant que « pendant la Restauration, on assista à un retour marqué vers le Moyen Âge, origine de la monarchie qui venait de reparaître ; mais à un retour enfantin, indigeste, où l'on se contentait d'apparences mal comprises, d'à-peu-près insuffisants, et qui méritait, à tous ces titres, un grotesque surnom. Mouvement intéressant à étudier, cependant, qui ne devait produire de sérieux résultats que beaucoup plus tard, bien que son origine remonte bien plus haut qu'on ne le croit ordinairement »[1]. Soucieux de fournir à son analyse une assise historiographique, Havard cite un extrait des Souvenirs de la marquise de Créquy publiés à partir de 1834[2], où l'on peut lire ce jugement qui témoigne d'un temps antérieur à la Révolution française : « Il me semble qu'on est déjà rassasié des charmes de l'Antique ; le Moyen Âge a l'air de nous arriver à pas de loup […]. J'ai déjà vu des panneaux de voitures et des empreintes de cachet avec lettres gothiques… J'ai le pressentiment du gothique et je crois que nous allons retomber dans le naïf de Jean Baïf…[1] »
Ce « pressentiment » de la marquise de Créquy (1714-1803), véritable observatrice attentive de son époque, trouve sa source en Angleterre, où le style dominant est le néo-classicisme, lequel va, au tournant des années 1750-1760, engendrer une sorte de contre-courant, dont de nombreux créateurs témoigneront.
En France, l'un des premiers signes d'agacement manifestés à l'égard de l'Antique provient du fidèle témoin critique du SalonDenis Diderot qui, en 1764, déclarait à Soufflot que « les modernes, avec leurs colonnades et leur richesse d'architecture, presque toujours prodiguée à contresens, n'ont réussi qu'à faire regretter la beauté agreste, mais raisonnée des églises gothiques »[1].
En France toujours, mais en 1776, préfigurant la présentation des collections de la Couronne au Louvre, le comte d'Angiviller, directeur général des Bâtiments du Roi, sur les conseils de Jean-Baptiste Marie Pierre, directeur de l’Académie royale, s’efforce de renouveler la peinture d'histoire par plusieurs commandes de séries et vastes compositions exaltant les gloires nationales depuis le Moyen Âge, sur des sujets « propres à ranimer la vertu et les sentiments patriotiques », confiées à de jeunes artistes, tels que La Mort de Du Guesclin (1777) de Nicolas Brenet[3].
Alors que Anne-Louis Girodet peint en 1791 Le Sommeil d'Endymion qui, tout en s'écartant délibérément de Jacques-Louis David, reste par son sujet ancré dans l'imaginaire néo-classique, il évolue dès 1808 en s'inspirant avec Atala au tombeau de Chateaubriand, lequel avait fait paraître en 1802, le Génie du Christianisme, écrit qui joua un grand rôle en faveur de cette peinture à prétention édifiante, reflet de la résurgence du sentiment chrétien dans sa dimension artistique.
Artistes et écrivains rejetèrent en partie le rationalisme néo-antique de la Révolution et se tournèrent vers un passé chrétien glorieux. Les progrès de l'histoire et de l'archéologie accomplis au cours du XVIIIe siècle portent leurs fruits, mais demeurent imprécis. Paradoxalement, ces peintres attirés par un certain passé, et qu'ils idéalisent, ignorent ce qui a été appelé plus tard les primitifs de la peinture, laquelle n'est pas selon eux assez anecdotique. Napoléon avait repris comme emblème le semis d'abeilles d'or retrouvé dans la tombe du roi mérovingien Childéric Ier, et se voyait bien continuateur de la royauté française. Une sorte de reconnaissance officielle du Moyen Âge fut opérée par la cérémonie du sacre de Napoléon. Reprenant l'usage des rois de France (mais à Paris), le futur empereur tenta de reprendre à son profit les usages royaux : peut-être même dans ses manifestations miraculeuses, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa d’Antoine-Jean Gros a été lue comme une version moderne des rois thaumaturges – réputés guérir de la maladie de peau nommée les écrouelles : le Premier Consul n'est pas contaminé par la peste.
Le tableau que présenta René Théodore Berthon au Salon de 1801 figure une femme, adoptant les canons du style néoclassique, mais dans un décor gothique, Portrait de Madame d'Arjuzon. Prémices du style, ce tableau reçoit maints éloges et contribue à la fortune du peintre[5].
Le premier tableau que l'on pourrait rétrospectivement qualifier de troubadour est présenté au Salon de 1802, sous le Consulat. C'est une œuvre de Fleury-Richard (élève de David), Valentine de Milan pleurant la mort de son époux. Le sujet du tableau serait venu à Fleury-Richard en visitant le musée des monuments français, car le tombeau de celle-ci y était exposé. Ce tableau eut un énorme succès en raison de son sujet émouvant et inédit emprunté au passé médiéval et de la précision de sa représentation : il figurait une scène gothique, mais que l'on croyait à l'époque réaliste, fidèle à ce qui avait été, et donc quasi-documentaire. David voyant le tableau se serait écrié qu'il « ne ressemble à personne, c’est aussi nouveau d’effet que de couleur ; la figure est charmante et pleine d’expression, et ce rideau vert jeté devant cette fenêtre fait une illusion complète ». La peinture de style troubadour naît ainsi dans l'atelier même de David. Elle garde le style néo-classique du maître et son souci du détail archéologique, mais ses thèmes ne reprennent plus ceux de l'Antiquité mais des sujets empruntés au Moyen Âge et à la Renaissance[6].
Le tableau d'Alexandre-Évariste Fragonard représentant François Premier reçu chevalier par Bayard (Salon de 1819) doit être lu non comme une redécouverte d'un passé médiéval mais plutôt comme un souvenir d'une tradition monarchique récente, et regardé comme un élément constitutif du mythe national amorçant sa reconstruction, après l'effondrement politique de la France en 1815[7].
Le Style Troubadour, catalogue de l'exposition, Bourg-en-Bresse, musée de Brou, 1971.
Elsa Cau, Le style troubadour, l'autre Romantisme, Paris, Gourcuff Gradenigo, 2017, 177 p. (ISBN2353402623), (EAN978-2353402625)
Marie-Claude Chaudonneret, La Peinture Troubadour : deux artistes lyonnais, Pierre Révoil (1776-1842), Fleury Richard (1777-1852), Arthéna, Paris, 1980.
Marie-Claude Chaudonneret, « Tableaux Troubadour », Revue du Louvre, no 5/6, 1983, pages 411-413.
Guy Stair Sainty, sous la direction de, Romance and Chivalry: History and Literature Reflected in Early Nineteenth-Century French Painting, Stair Sainty Matthiesen Gallery, New York, 1996.
Maïté Bouyssy, sous la direction de, « Puissances du gothique », Sociétés & Représentations, no 20, , édité par Bertrand Tillier.
L'invention du passé, vol. 1, Gothique, mon amour... 1802-1830, catalogue de l'exposition, Bourg-en-Bresse, Monastère Royal de Brou, - , Magali Briat-Philippe, commissaire, Paris, Hazan, 2014.
L'invention du passé, vol. 2, Histoires de cœur et d'épée en Europe, 1802-1850, catalogue de l'exposition, Lyon, Musée des Beaux-Arts, - , Stephen Bann et Stéphane Paccoud, commissaires, Paris, Hazan, 2014.