En arithmétique, elle intervient de façon cruciale dans la théorie des corps de classes : les sous-extensions abéliennes d'une extension donnée sont essentiellement en correspondance avec des groupes de normes, c'est-à-dire l'image dans K, par la norme, de certains groupes de L.
Cette notion s'étend en une notion de norme d'un idéal de l'anneau des entiers d'un corps de nombres (c'est-à-dire d'une extension finie du corps ℚ des rationnels), de telle façon que la norme d'un idéal principal soit égale à la norme relative sur ℚ d'un générateur de cet idéal. On démontre que la norme d'un idéal non nul est égale au cardinal de l'anneau quotient, et qu'elle est multiplicative. La démonstration de la finitude du groupe des classes utilise des propriétés de majoration de la norme des idéaux dans une classe donnée.
Définitions
Soit K un corps commutatif, L une extension finie.
La norme, relative à l'extensionL/K d'un élément α de L, est le déterminant de l'endomorphisme φα du K-espace vectoriel L qui, à x, associe l'élément αx. Elle est généralement notée NL/K(α). C'est donc un élément de K, égal au produit des racines du polynôme caractéristique χα de φα, comptées avec leurs multiplicités, et dans une extension où χα est scindé.
Il est courant, dans les communications orales ou les forums, où un certain laxisme est autorisé, de parler de norme d'un élément algébrique sur K sans référence à la donnée d'une extension L[1] ; dans ce cas, il est entendu que la norme d'un élément algébrique α sur un corps K (ou même simplement la « norme de α » si le corps K a été auparavant précisé), est la norme de α relativement à l'extension simpleK(α)/K. Elle est parfois notée N(α). Dans les documents écrits plus formels, cet usage est cependant évité, et on utilise la notation NK(α)/K(α).
Remarquons aussi que NK(α)/K(α) est le produit des racines du polynôme minimalP de α sur K ; en effet, pour L = K[α] de degré d, (1, α, α2, … , αd – 1) est une base dans laquelle la matrice de φα est la matrice compagnon de P, donc χα = P.
Un entier algébrique d'une extension donnée possède évidemment une norme relativement à cette extension, mais elle est de plus entière.
Cette observation conduit à généraliser la notion de norme de façon naturelle (cf. § Théorie algébrique des nombres) aux idéaux de l'anneau OL des entiers algébriques d'un corps de nombres L.
On démontre alors que la norme d'un idéal non nul J de OL est le cardinal (fini) de l'anneau quotient OL/J.
Propriétés
Cas séparable
Du lien entre la norme d'un élément et son polynôme minimal, on déduit immédiatement :
Si L est séparable sur K et si S désigne l'ensemble des K-plongements de L dans une sur-extension normale alors, pour tout élément α de L,
Démonstration
D'après le théorème de l'élément primitif, L est de la forme K[m] pour un certain élément m. Pour α = m, la formule n'est autre que le cas particulier précédent. Elle s'étend à tout élément α de L, car α est de la forme Q(m) pour un certain polynôme Q à coefficients dans K, si bien que φα = Q(φm) donc les racines de χα sont les images par Q de celles de χm et ainsi :
Relations entre normes
La norme relative hérite de la multiplicativité du déterminant :
La norme relative du produit de deux éléments de L est égale au produit des normes relatives de ces deux éléments :
Si L est de degré n sur une extension intermédiaire F alors, pour tout élément β de F :
.
En prenant pour F la fermeture séparable de K dans L, ceci permet de généraliser le cas séparable ci-dessus[3] :
Si n est le degré d'inséparabilité de L sur K et si S désigne l'ensemble des K-plongements de L dans une sur-extension normale alors, pour tout élément α de L,
.
Pour une extension intermédiaire F quelconque, en appliquant cette formule à la fois à L/K, L/F et F/K, on peut alors décrire la norme relative de tout élément de L, par la formule de composition des normes[4] :
Pour toute extension intermédiaire F et tout élément α de L :
Dans toute cette section, K est le corps ℚ des rationnels donc l'extension finie L est un corps de nombres. On considère l'anneau OL des entiers algébriques de L. Un cas particulier simple est étudié dans l'article « Entier quadratique ».
La norme d'un entier algébrique et sa norme relative, pour tout corps de nombres L qui le contient, sont des entiers relatifs. En effet, au signe près, la norme de α est égale au coefficient constant de son polynôme minimal – qui pour un entier algébrique est à coefficients entiers – et la norme relative en est une puissance.
Dans cette situation et si α est non nul, sa norme relative est aussi (par définition) le déterminant, dans une base B du ℤ-moduleOL, de la base αB du sous-module αOL. Les matrices de changement de base de ces modules étant dans le groupe linéaire de ℤ, leurs déterminants valent ±1. Il est donc naturel d'étendre comme suit la définition de la norme relative à des idéaux :
La norme d'un idéal non nul J de OL est la valeur absolue du déterminant, dans une base du ℤ-module OL, d'une base du sous-module J.
C'est donc un entier naturel et, si J est principal, cet entier est égal à la valeur absolue de la norme relative d'un générateur.
On démontre alors la caractérisation annoncée :
Pour tout idéal non nul J de OL, le quotient OL/J est fini, de cardinal égal à la norme de J.
Justification de la définition et preuve de la caractérisation
Soit d le degré de l'extension. Remarquons d'abord que le ℤ-module OL est libre de rang d (cf. § « Propriétés noethériennes » de l'article « Entier algébrique »). D'après le théorème des facteurs invariants, il existe donc une famille génératrice de J de la forme (p1e1, … , pded) avec pk entiers naturels et (e1, … , ed) base de OL. De plus, tous les pk sont non nuls car J contient le sous-module αOL, de rang d, pour n'importe quel α non nul dans J. Ainsi la définition a bien un sens (i.e. : OL et J sont deux ℤ-modules libres de même rang fini), (p1e1, … , pded) est une base de J, et la norme de J est égale à p1…pd. Or ce produit est exactement le cardinal du quotient OL/J = (ℤe1 ⊕ … ⊕ ℤed)/(ℤp1e1 ⊕ … ⊕ ℤpded) ≃ (ℤ/p1ℤ) × … × (ℤ/pdℤ).
La démonstration suivante se fonde sur le fait que l'anneau OL est de Dedekind. Tout idéal est produit d'idéaux premiers et tout idéal premier est maximal (cf. l'article « Idéal fractionnaire »). Il suffit donc de démontrer la proposition si J2 est maximal, le cas général se traitant alors par multiplication successives d'idéaux maximaux.
D'après le troisième théorème d'isomorphisme, le groupe abélienOL/J1 est isomorphe au quotient de OL/(J1J2) par le sous-groupeJ1/(J1J2). Il suffit donc de démontrer que ce sous-groupe est isomorphe à OL/J2. Soit α un élément de J1 qui n'est pas dans J1J2. (Un tel élément existe car l'inclusion de J2 dans OLest stricte donc – par inversibilité de l'idéal fractionnaire J1 – celle de J1J2 dans J1 aussi.) Alors J1−1α est un idéal de OL qui n'est pas inclus dans J2, si bien que l'idéal J1−1α + J2 contient strictement l'idéal maximal J2, donc est égal à OL, c'est-à-dire qu'il existe un élément β de J1-1 tel que 1 – αβ appartient à J2. On conclut en remarquant que le morphisme naturel de OL/J2 dans J1/(J1J2) qui à la classe de tout élément γ de OL associe celle de αγ est alors un isomorphisme, le morphisme réciproque étant celui, de J1/(J1J2) dans OL/J2, qui à la classe de tout élément δ de J1 associe celle de βδ.
D'une manière encore plus générale, la norme est utilisée pour établir les résultats clé de la théorie algébrique des nombres, comme la finitude du groupe des classes d'idéaux de l'anneau des entiers d'un corps de nombres.