Thomas Villaret de Joyeuse, puis (1789) Louis Thomas de Joyeuse, et en 1792 Louis Thomas Villaret-Joyeuse, né le [1] à Auch et décédé le à Venise (Italie), est un vice-amiralfrançais des XVIIIe et XIXe siècles.
Thomas, son prénom de baptême, change dès 1789 sur les actes officiels où l'on peut lire Louis Thomas. Il signe Dejoyeuse avant 1789, mais son nom Villaret de Joyeuse devient Villaret-Joyeuse - ou Villaret tout simplement - en 1792.
Sous l’Ancien Régime
Une origine aristocratique douteuse
Contrairement à une idée reçue y compris de son vivant, son origine aristocratique est douteuse (son grand-père était ébéniste à Auch et connu sous le seul nom de Villaret) et certains biographes sont perplexes sur l’origine du « de Joyeuse » qui semble avoir été usurpé par son père, ancien militaire puis fonctionnaire royal devenu fortuné. Témoigne notamment de ses origines roturière le fait qu’il ait commencé sa carrière maritime comme volontaire plutôt que comme garde-marine, voie normale pour tout aspirant issu de la noblesse. Si des aristocrates ont suivi des carrières d’officiers bleus, c’était essentiellement pour des raisons d’absence de fortune suffisante pour assurer le train de vie requis pour un garde de la marine or la famille Villaret n’avait aucun problème sur ce plan. Toutefois, ses états de service exceptionnels, notamment sous Suffren, et l’ambiguïté de son nom d’usage, lui permettront d’intégrer tout de même le « Grand Corps » des officiers de la marine royale après avoir servi comme officier bleu.
Un autre événement douteux, systématiquement cité dans la plupart de ses notices biographiques, bien qu’aucun document concret ne vienne étayer sa réalité, serait qu’il soit d’abord entré aux Gendarmes de la Maison du Roy en 1763, et qu’il ait quitté ce corps à la suite d’un duel[2]. Il n’est pas exclu que cet épisode ait été forgé a posteriori par lui-même pour dissimuler son origine roturière.
Il fut un « aristocrate d’apparence » mais dut transformer son nom dès le début de la Révolution en « Villaret-Joyeuse » voire en « Villaret » tout court.
Apprentissage dans la Royale et la Compagnie des Indes
Il entre dans la marine royale comme volontaire (certains disent dès ) et navigue essentiellement aux Antilles de à d'abord sur la flûte la Nourrice, destinée à Cayenne. En , Thomas part sur l’Éléphant, armé à Bordeaux, transportant des troupes aux Antilles ; le navire est désarmé à Rochefort.
Flûte militaire du milieu du XVIIIe siècle, telle que celle que commanda Villaret de Joyeuse en 1779.
Lieutenant de frégate, il se retrouve sans bâtiment sur lequel embarquer à Pondichéry lorsque les Britanniques viennent mettre le siège devant cette place en 1778. Il offre ses services au gouverneur et déploie en ces circonstances des talents et une bravoure tels qu’il obtient le commandement de la flûte la Pintade, en 1779, grâce au récit que fait Guillaume Léonard de Bellecombe, au roi, de sa belle défense de Pondichéry. Il part en croisière sur la Côte de Coromandel
Capitaine de la corvette la Dauphine
En 1779, Thomas de Joyeuse est capitaine de la corvette la Dauphine et fait du cabotage pendant six mois entre l'île Bourbon et Madagascar.
L'année suivante, il est l'un des officiers du vaisseau le Brillant[3] et part de l'île de France en croisière sur le banc des Aiguilles[4], pendant 23 mois et 4 jours.
Envoyé pour une mission de confiance très risquée, il tient tête pendant plus de quatre heures au vaisseau britannique le Sceptre (64 canons) mais doit finalement amener son pavillon. Rapidement libéré, il sert sur le Héros, en tant qu’aide de camp de Suffren ; en il commande une prise, la frégate Coventry, avec le grade de lieutenant de vaisseau. Suffren lui obtient aussi la grand-croix de l’ordre de Saint-Louis. C’est donc Suffren en campagne dans l’océan Indien qui le fait entrer dans le « Grand Corps » ce qui aurait été éventuellement plus difficile en France où ses quartiers de noblesse auraient probablement fait l’objet d’un examen préalable.
Toutefois Thomas Villaret de Joyeuse n'est que lieutenant de vaisseau. Le « Grand Corps » des officiers de la Marine accepte difficilement qu'un officier qui n'est pas l'un des leurs devienne capitaine de vaisseau sans appui. Villaret de Joyeuse n'est ni ancien Garde, ni un aristocrate. Il n'est pas non plus Provençal ou Breton. Mais, comme Pierre André de Suffren, avant lui, il devient membre de la loge l’Union de Lorient. Beaucoup d'officiers de la Marine sont francs-maçons[5].
Officier de la marine républicaine
Un capitaine efficace
Il commande la Prudente aux Antilles en 1790-1791 avec une division envoyée pour y rétablir l’ordre. L’opération sera un échec total, la plupart des équipages se mutinant. La Prudente sera l’un des seuls bâtiments où la discipline sera maintenue ce qui fait attirer l’attention sur son commandant.
À la destitution du vice-amiral en , Jeanbon Saint André le fait nommer contre-amiral, et lui confie aussitôt le commandement en chef de l’armée navale de Brest où il s’efforce de rétablir la discipline et un semblant d’organisation.
Avec son pavillon sur le vaisseau la Montagne (118 canons), il conduit cette flotte lors de la campagne de Prairial qui culmine dans les combats du 10 Prairial () et surtout la grande bataille du 13 prairial an II () où il perd 7 vaisseaux à l’ennemi. Il réussit toutefois à écarter la flotte de lordHowe de la route du convoi de Van Stabel et lui permet ainsi d’atteindre Brest.
Il est promu Vice-amiral en . Il doit ensuite mener la campagne du Grand Hiver ( / ) à la tête d’une flotte mal réparée, privée de vivres et hors d’état d'appareiller dans une période de l’année particulièrement défavorable. Cinq vaisseaux coulent lors de cette croisière inutile ordonnée par des hommes politiques incompétents.
En , il conduit une escadre de 12 vaisseaux au secours de l’amiralVence et d’un convoi, bloqué près de Belle-Île par l’escadre de Bridgeport. Près de Groix (combat naval de Groix le ), malgré une nette supériorité numérique et son courage personnel, il ne peut empêcher la débandade de nombre de ses capitaines qui s’enfuient vers Lorient. Il y perdra encore trois vaisseaux et cet épisode lui laissera une grande amertume contre ces capitaines timorés, responsables de ses échecs répétés.
Désapprouvant les plans de l’expédition Hoche à destination de l’Irlande. Il fait preuve de mauvaise volonté dans la préparation de ses bâtiments et entre en conflit constant avec le jeune général auquel il admet mal d’être soumis. Le ministre Truguet le révoque, en même temps que Vence, et le remplace par Morard de Galles, revenu, lui, en grâce. Cette campagne sera un échec, car là encore mal préparée et pourvue de moyens insuffisants.
Capitaine général de la Martinique et de Sainte-Lucie (1802-1809)
Les Britanniques occupent la Martinique jusqu'en 1802, date à laquelle le traité d'Amiens rend l'île à la France. Villaret-Joyeuse est nommé Capitaine général de l'île de la Martinique et dépendances en avril 1802. Avec son frère, il reprend donc possession de l'île où il a de bonnes relations avec les colons.
Le Premier Empire
Statue de Villaret-Joyeuse à Auch.
Nouvelle disgrâce
En 1809, avec seulement 2 000 hommes, il tente de résister courageusement au corps expéditionnaire de 18 000 hommes mené par l’amiralCochrane. Il s’enferme dans les forts[7], mais doit capituler sous le nombre au bout de trois semaines.
Lorsque Villaret revient en France, le ministre de la marine et des coloniesDenis Decrès qui le considère comme un prétendant sérieux à sa succession saisit l’occasion pour le blâmer abusivement comme responsable de la perte des îles. Villaret doit faire face à un conseil d'enquête aux ordres du ministre et est exilé à Rouen jusqu’en .
Venise
En 1811, Napoléon relève Villaret de sa disgrâce et le nomme commandant de la 12e région militaire puis gouverneur de Venise ; mais une crise d’hydropisie le terrasse peu après, le .
↑Villaret de Joyeuse est né en 1747 selon les registres paroissiaux de la cathédrale Sainte-Marie d'Auch. D'autres sources donnent 1748 ou 1750 : son Dossier/Marine Archives/Villaret de Joyeuse ; Michel Vergé-Franceschi, La Marine française au XVIIIe siècle, p. 429 ; (en) William S. Cormack, Revolution & Political Conflict in the French Navy 1789-1794.
↑Henri Ortholan (même source que ci-dessus) relève notamment que le nom de Villaret de Joyeuse n’apparaît sur aucune liste des gendarmes du roi dans les années concernées.
Hubert Granier, Histoire des Marins Français 1793–1815, Les Prémices de la République, Nantes, Marines Éditions,
Ernest Harold Jenkins, Histoire de la Marine Française [« A History of the French Navy, From Its Beginnings to the Present Day »], Londres, Paris, Mac Donald and Jane’s, Albin Michel, (1re éd. 1973), 364 p. (ISBN978-0-356-04196-4)
Charles-Armand Klein, Mais qui est le bailli de Suffren Saint-Tropez ?, Éditions Equinoxe, coll. « Mémoires du Sud »,
Monique Le Pelley-Fonteny, Itinéraire d'un marin granvillais : Georges-René Pléville le Pelley (1726-1805), Neptunia
les mémoires d'un autre grand marin naviguant à la même époque
Colonel Henri Ortholan, L’Amiral Villaret-Joyeuse : des Antilles à Venise 1747-1812, Bernard Giovanangeli,
Claude des Presles, Suffren dans l'océan Indien (1781-1783), Economica,
Joseph Siméon Roux, Le Bailli de Suffren dans l'Inde (lire en ligne)
Georges Six, Dictionnaire biographique des Généraux et Amiraux de la Révolution et de l’Empire, Librairie Historique et Nobiliaire, Paris, Georges Saffroy éditeur,
Louis Thomas Villaret de Joyeuse, Discours de Villaret-Joyeuse, député du Morbihan ; sur l’importance des colonies & les moyens de les pacifier : séance du 12 prairial an 5, Paris, Imprimerie nationale,
Pierre Gilles Cézembre, « Louis Thomas Villaret de Joyeuse : L'empereur viking de la mer du Nord », La grande histoire des armées, no 18 « Les grands amiraux combats navals légendaires », , p. 68-69