La fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident est la traduction française d'un ouvrage de référence, Making sex: body and gender, from the greeks to Freud, publié en 1990 aux États-Unis par Thomas W. Laqueur.
L'auteur y décrit l'évolution de la vision occidentale des caractéristiques sexuelles depuis l'antiquité jusqu'au début du XXe siècle, avec la transition au XVIIIe siècle entre un modèle « unisexe », dans lequel le « genre était fondateur quand le sexe n’en était que la représentation », et un modèle à « deux sexes », au moment où « le sexe tel que nous le connaissons devint fondateur, le genre social n’en étant plus que l’expression ». L'auteur démontre ainsi que le sexe est aussi culturel que le genre.
Thèse
Un premier modèle, pertinent déjà dans l’antiquité et jusqu'au XVIIIe siècle, était celui du « sexe unique », selon lequel le vagin est vu comme un pénis intérieur, l'utérus comme un scrotum, les ovaires comme des testicules. Ces différences sont négligeables : les organes de la femmes sont simplement à l'intérieur du corps quand ceux de l'homme sont à l'extérieur. L'anatomie du sexe féminin reflète l'idée que la femme serait une version imparfaite de l'homme. Le corps n'est qu'une représentation du genre social. La catégorie sociale du genre est naturelle, et elle définit le sexe[1].
« Pendant le plus clair du XVIIe siècle, être homme ou femme c'est tenir un rang social, assumer un rôle culturel, et non être organiquement de l'un ou l'autre sexe. Le sexe était encore une catégorie sociologique, non pas ontologique. »
Un deuxième modèle, celui de la différence sexuelle, ou des « deux sexes », domine la pensée post-Lumières. La femme est alors l'opposée de l'homme avec des organes, des fonctions et des sentiments incommensurablement différents. C'est à cette époque que le vocabulaire de l'anatomie génitale se précise.
Cette naturalisation a une importance considérable. Elle porte de nouvelles manières de perception de soi et elle apporte un fondement naturaliste à l'organisation rationnelle de la société du XIXe siècle[2].
L'ouvrage se termine avec Freud, qui a donné une version moderne de la théorie du sexe unique[1] : il a nié les aspects biologiques pour insister sur le fait que, lorsqu'une fille devient une femme, le lieu de son plaisir sexuel se déplace du clitoris au vagin. Elle devient ce que la culture exige malgré le corps, et non à cause de lui. Pour reprendre le célèbre dicton de Freud, Laqueur postule que le destin est l'anatomie, le sexe est un artifice[3].
Réception
L'ouvrage a été accueilli avec enthousiasme par les chercheurs sur le sexe et le genre[2],[4],[5]. Michelle Perrot en parle ainsi :
« Ce livre remarquable situé dans le sillage de Michel Foucault et de son Histoire de la sexualité montre comment s’est effectuée à partir du xviiie siècle, avec l’essor de la biologie et de la médecine, une “sexualisation” du genre qui était jusque-là pensée en termes d’identité ontologique et culturelle beaucoup plus que physique… Le genre désormais se fait sexe, comme le Verbe se fait chair[2]. »
Références
↑ a et bJean-Hugues Déchaux, « Laqueur Thomas, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident. », Revue française de sociologie, vol. 34, no 3, , p. 454–457 (lire en ligne, consulté le )
↑ ab et cAnnick Jaulin, « La fabrique du sexe, Thomas Laqueur et Aristote », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 14, , p. 195–205 (ISSN1252-7017, DOI10.4000/clio.113, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Ann Dally, « Thomas Laqueur, Making sex: body and gender from the Greeks to Freud, Cambridge, Mass., and London, Harvard University Press, 1990, 8vo, pp. xiv, 313, illus., £19.95. », Medical History, vol. 35, no 4, , p. 457–458 (ISSN0025-7273 et 2048-8343, DOI10.1017/S0025727300054284, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Sally Shuttleworth, « Review of Making Sex: Body and Gender from the Greeks to Freud », Journal of the History of Sexuality, vol. 3, no 4, , p. 633–635 (ISSN1043-4070, lire en ligne, consulté le )