L'Orphelin de la Chine

L'Orphelin de la Chine
Portrait de Le Kain dans le rôle de Gengis-Kan par Le Noir (1769).
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L’Orphelin de la Chine est une tragédie en 5 actes de Voltaire écrite en et représentée pour la première fois à la Comédie-Française le [1].

Historique

Voltaire s’est inspiré de la traduction du chinois de l'Orphelin de la famille Zhao, effectuée par le P. de Prémare[2],[n 1] pour établir sa première version en trois actes de 1753, qui a ensuite été étendue à cinq actes lorsqu’elle a été jouée par la Comédie française en 1755.

Voltaire a remis le manuscrit de la pièce de théâtre à Le Kain avec cette mise en garde : « Mon ami, vous avez les inflexions de la voix naturellement douces, gardez-vous bien d’en laisser échapper quelques-unes dans le rôle de Gengis-Kan. Il faut bien vous mettre dans la tête que j’ai voulu peindre un tigre qui, en caressant sa femelle, lui enfonce ses ongles dans les reins[3]. »

Le Kain a raconté dans ses Mémoires comment, Voltaire ayant écrit pour lui le rôle de Gengis-Kan, il a cherché à se pénétrer du caractère de son personnage, puis, après avoir joué quelque temps avec succès le rôle à la Comédie-Française, il est allé chercher à Ferney l’impression du maitre. En l’écoutant, Voltaire est passé de l’impassibilité d’un comité de lecture ordinaire à l'agacement, rechignant, se fâchant, interrompant Le Kain, jusqu’à ce que, mécontent et furieux, il se lève et quitte la salle, refusant de le rencontrer pendant les jours suivants. Ne sachant que faire, le tragédien éconduit s’était préparé à repartir pour Paris lorsqu’au dernier moment, Voltaire l’a reçu et lui a expliqué le rôle, développant sa pensée, lui soufflant son esprit. Docile aux leçons de Voltaire, il a répété et, le lendemain, l’a impressionné par sa nouvelle interprétation selon ses indications[4]. De retour à Paris, lorsqu’il a joué, ses collègues se sont aperçus de son changement et l’un d'eux a dit aux autres : « On voit bien qu’il revient de Ferney[3]. »

Distribution

Personnages. Première représentation, 20 août 1755.
Gengis-Kan, empereur tartare. Lekain
Octar, guerrier tartare. Bellecour
Osmane, guerrier tartare.
Zamti, mandarin lettré. Pierre Sarrazin
Idamé, femme de Zamti. Mademoiselle Clairon
Asséli, attachée à Idamé. Mademoiselle Hus
Etan, attaché à Zamti.

La scène est dans un palais des mandarins, qui tient au palais impérial, dans la ville de Cambaluc, aujourd’hui Pékin.

Trame

Ier acte

Idamé se plaint à sa confidente de sa propre disgrâce, et déplore les malheurs de l’Empire du Cachay, pris d’assaut par Gengis-Kan. Idamé redoute d’autant plus ce barbare scythe sorti tout droit des steppes qu’elle a jadis été aimée de lui, mais qu’il n’avait pu l’épouser, parce que les lois de la Chine défendent de s’unir aux étrangers. Idamé redoute que Gengis-Kan ne se venge sur son époux, Zamti, un mandarin très lettré. Lorsque ce dernier arrive, il vient lui annoncer que l’Empereur, son épouse et cinq de leurs fils viennent d’être égorgés, mais qu’il a sauvé le dernier enfant encore au berceau. À peine a-t-il achevé que le général des troupes de Gengis-Kan vient demander à Zamti l’enfant qu’il a sauvé de la mort. « Je ferai mon devoir », répond le mandarin, qui ordonne à son épouse d’aller cacher le fils de l’Empereur parmi les tombeaux de ses aïeux. Tandis qu’Idamé est sortie pour exécuter ses ordres et le laisse avec son confident à qui il fait faire le serment solennel de taire à jamais le secret qu’il va lui confier. il lui ordonne alors d’aller prendre son fils unique au berceau et de le porter aux vainqueurs. Le confident frémit, et le mandarin lui-même est ému, mais il exige d’être obéi.

IIe acte

Le mandarin est instruit par les larmes de son confident qu’il a été obéi. Idamé entre, venant d’apprendre le projet de son époux de livrer son fils, et se livre à sa douleur. Tout le monde se retire lorsqu’on vient annoncer l’arrivée de Gengis-Kan, qui entre, donne des ordres, distribue ses troupes. Craignant quelque surprise de la part des Comoréens qui sont l’unique espérance du mandarin, il ordonne qu’on y veille, puis se félicite d’être enfin sur le point de dévaster un pays où il a essuyé tant de chagrins et d’affronts, lorsqu’on lui vient annoncer qu’à l’instant où on allait livrer le dernier fils du Ciel au supplice, une femme aussi furieuse que désolée est venue l’arracher des mains de ses soldats, et de protester que c’était son propre fils qu’on allait égorger, et non celui de l’Empereur. Cette femme est inconnue, et Gengis-Kan est étonné de cet évènement. Soupçonnant qu’on le trompe, il ordonne, indigné, d’arrêter cette femme et son époux, et sort.

IIIe acte

Furieux de n’avoir pu découvrir la vérité, on lui amène Idamé, et il a la surprise de reconnaitre la femme qu’il avait aimée, et dont il a essuyé les refus. Tout son amour se réveille. Lorsqu’elle lui demande la grâce de son fils, il est à la fois furieux et jaloux d’apprendre qu’elle est mariée, et veut voir l’époux qui l’a emporté sur lui. Lorsque le mandarin arrive Gengis-Kan a déjà arrêté la mort de son rival, mais il veut apprendre où est le fils de l’Empereur. Éperdue, Idamé lui découvre le secret de son mari et de l’État. Loin de s’apaiser, Gengis-Kan s’irrite de plus en plus. Zamti sort et Idamé demande à Gengis-Kan la grâce de son époux, mais le conquérant lui répond qu’elle devrait plutôt songer à tous les affronts qu’il lui reste à réparer. Resté avec son confident, il partage ses sentiments pour Idamé.

IVe acte

Gengis-Kan propose à Idamé de quitter son mari et de l’épouser, pour prix de la grâce des deux enfants. Idamé refuse et lui dit avec fierté qu’elle aimerait mieux mourir. Gengis-Kan lui offre en vain le sceptre. Il ne reste à Gengis-Kan que la menace de faire exécuter Zamti et les deux enfants, elle ne se soumet pas à ses désirs. Idamé ayant demandé à voir son mari, Gengis-Kan accepte et sort, la laissant avec Asséli, qui lui conseille de le contenter. Lorsque Zamti arrive et apprend les intentions de Zamti, il voit que c’est à ce prix seul qu’il peut sauver le fils de l’Empereur. Il dit à Idamé qu’il faut qu’elle le quitte et suive Gengis-Kan. Comme il a également l’intention de se tuer, Idamé, indignée de ce lui en propose d’aller retirer elle-même le fils du Ciel des tombeaux, et de le porter aux chefs des Comoréens.

Ve acte

Instruit du complot, Gengis-Kan fait arrêter les criminels. À force de prières, Idamé à qui il ne reste aucune ressource, obtient encore de revoir son époux. Après avoir peint ses malheurs à son époux, Idamé lui donne un poignard qu’elle avait caché et le supplie de la frapper. Zamti a déjà le bras levé que Gengis-Kan les arrête. Ils se croient perdus, mais le vainqueur surpris de leurs vertus et de leur constance, voyant qu’il ne pourra jamais contenter son amour, juge à propos d’y mettre fin et leur pardonne aussi bien qu’au fils de l’Empereur qu’il comble de faveurs.

Réception

Anicet Charles Gabriel Lemonnier, Première lecture en 1755 de L’Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin.

L’Orphelin de la Chine fut représenté chez Voltaire, aux Délices, avant de paraitre à Paris. Montesquieu, qui était spectateur, s’y endormit profondément, faisant dire à Voltaire : « Il croit être à l’audience ! » Lors de la première parisienne, il fut été applaudi d’un bout à l’autre. Poinsinet le jeune raconte que l’on se battit pour acheter des billets et que la pièce fut jouée devant une salle comble[5].

Mademoiselle Clairon, qui jouait Idamé, méditait depuis longtemps avec Lekain la réforme du costume ; elle renonça dans cette pièce aux paniers, pour paraitre vêtue comme l’exigeait son rôle. Lekain, le premier soir, fut au-dessous de lui-même, mais il se releva aux représentations suivantes. L’Orphelin de la Chine eut seize représentations, avant d’être joué à Fontainebleau, où il a fut applaudi par la cour comme il l’avait été par la ville [6].

La Harpe prit soin d’informer les lecteurs de son Cours de littérature que « La distinction établie entre la croyance d’un Dieu, qui est la religion des lettrés, et les superstitions des bonzes, qui adoraient l’idole de Fô et la font adorer à la populace séduite, est exactement conforme à la vérité historique[7]. » Collé, quant à lui, critiqua le manque de vraisemblance des situations et les emprunts de situations aux tragédies classiques, mais selon lui, c’est le jeu de la Clairon seul qui sauva la pièce[8].

Un tableau de Lemonnier intitulé Première lecture en 1755 de L’Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin célèbre la pièce dans une représentation imaginaire du salon de Marie-Thérèse Geoffrin.

Parodie

Le succès de l’Orphelin de la Chine a été tel que Voisenon en a donné une parodie, en [9].

Notes

  1. Le P. de Prémare a envoyé sa traduction à l’académicien Étienne Fourmont mais, lorsque celle-ci est parvenue entre les mains du P. Du Halde, celui-ci l’a publiée dans sa Description géographique, historique, chronologique, politique, et physique de l'empire de la Chine et de la Tartarie chinoise de 1735 sans permission de l’un ou de l’autre.

Références

  1. « Spectacle: L'orphelin de la Chine », sur data.bnf.fr, (consulté le ).
  2. « Voltaire (1694-1778) », sur chineancienne.fr (consulté le ).
  3. a et b Henri-Louis Lekain, Mémoires de Lekain : précédés de réflexions sur cet auteur et sur l’art théâtral, par F. Talma, Paris, E. Ledoux, , lxviii-439, in-8°, portrait (lire en ligne sur Gallica), p. 436.
  4. Revue des deux mondes, t. 3, Paris, Société de la Revue des Deux Mondes, , 960 p. (lire en ligne), p. 941.
  5. Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet, Lettre à un homme du vieux tems sur L’orphelin de la Chine, tragédie de M. de Voltaire, représentée pour la première fois le 20 août 1755, Paris, , 15 p., in-8° (lire en ligne sur Gallica), p. 15.
  6. Œuvres complètes de Voltaire : Théâtre (ill. Jean Michel Moreau), t. 5, Paris, Garnier frères, , 614 p. (lire en ligne), p. 292.
  7. Jean-François de La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, t. 2, Paris, Didot, (lire en ligne), p. 366.
  8. Charles Collé, Journal et Mémoires de Charles Collé, t. 2, Paris, Honoré Bonhomme, , 395 p. (lire en ligne), p. 28.
  9. Les Magots : parodie de L’orphelin de la Chine, en vers, en un acte (Représentée pour la première fois, par les Comédiens italiens ordinaires du Roi, le vendredi 19 mars 1756), Paris, Vve Delormel et fils, , 44 p., in-12 (lire en ligne).

Adaptations

Traductions

Arthur Murphy a écrit en 1759 une tragédie, The Orphan of China, adaptée de la pièce de Voltaire. Elle a, depuis, été traduite en danois, néerlandais, anglais, allemand, italien, polonais, portugais, espagnol et suédois.

Bibliographie

  • (it) Isabella Falaschi, « Voltaire e L’Orphelin de la Chine : un’invenzione europea di un dramma di epoca Yuan », Cher Maitre... Scritti in onore di Lionello Lanciotti per l’ottantesimo compleanno, Maurizio Scarpari et Tiziana Lippiello (éd.), Venise, Ca’ Foscarina, 2005, p. 491-503.
  • M. le Chevalier de La Morlière, Analise de la tragédie de « l’Orphelin de la Chine », représentée pour la première fois par les comédiens du Roi le 20 août 1755, La Haye, , 43 p., in-12 (lire en ligne sur Gallica).
  • M. le Chevalier de La Morlière, Lettre à Madame de *** sur "l'Orphelin de La Chine", tragédie nouvelle de M. de Voltaire, Paris, , 24 p., in-12 (lire en ligne sur Gallica).
  • Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet, Lettre à un homme du vieux tems sur L’orphelin de la Chine, tragédie de M. de Voltaire, représentée pour la première fois le 20 août 1755, Paris, , 15 p., in-8° (lire en ligne sur Gallica), p. 15.

Édition

  • L’Orphelin de la Chine : Tragédie, représentée pour la première fois à Paris le , avec deux lettres critiques, Paris, Michel Lambert, , xiii-72+[32] (lire en ligne).

Liens externes