Juliano Mer-Khamis - de son nom de naissance Sputnik Khamis[1] à cause de l'admiration de son père pour la lancée de satellites soviétiques dans l'espace - que ses parents changent un peu plus tard en Julio puis Juliano pour ainsi mieux s'intégrer à la société israélienne, est le fils d’Arna Mer-Khamis[2], une militante juive israélienne pour les droits des Palestiniens, et Saliba Khamis, un chrétienArabe israélien et l’un des chefs du Parti Communiste Israélien dans les années 1960, mariés en 1953.
Il a deux frères, Spartak (nommé ainsi en l'honneur de sportifs soviétiques) qui choisira une identité arabe radicale et vivra à Londres où il publiera sur le communisme et l'anarchie, et Abir[1]. Son grand-père maternel est Gideon Mer, un scientifique pionnier de l'étude du paludisme, au cours du mandat britannique, qui sévissait à cette époque, et brièvement ministre de la Santé[3]. Isser Harel, le cousin de sa mère, est directeur du Mossad dans les années 1950 et supervise la capture du naziAdolf Eichmann en 1960, puis devient député à la Knesset en 1969. Sa cousine paternelle est la chanteuse de hip-hop anglo-palestinienne Shadia Mansour.
Né en 1958 à Nazareth, en Israël, où il grandit ainsi qu'à Haïfa, Juliano Mer Khamis voit son père abandonner le foyer familial chaotique quand il a 10 ans : « A l'extérieur, l'oppresseur était le Juif mais à la maison, l'oppresseur était arabe »[3].
Parcours
Il fréquente l' école à Haïfa puis effectue son service militaire dans Sayeret, une unité d'élite de parachutistes de Tsahal[4] - ce qui scandalise ses parents qui l'avaient élevé pour « combattre l'occupant israélien » ; ainsi, son père ne lui parle plus pendant un an[5]. Son service le conduit à Jénine[6]. Là, il s'oppose violemment aux ordres de son commandant et en vient aux mains, ce qui le fait séjourner en prison[3],[5].
Il s'inscrit à l'école de Beit-Zvi des Arts du spectacle à Ramat Gan près de Tel Aviv. En 1985, Juliano abandonne son patronyme « Khamis », pour prendre celui de sa mère « Mer » et par la même occasion, modifie « Julio » en « Juliano », à l'époque où il joue dans le film d'Amos Guttman, (en) Bar 51 et où il entre à l'armée[3],[1]. Cela lui évite d'être confronté aux problèmes qu'il avait rencontrés avec son seul nom arabe à l'école et dans la vie civile, lui permet aussi de se rapprocher (un temps) de sa racine juive mais ne change rien à son immense problème identitaire : savoir qui il est et où est sa place dans le monde[1]. « Je me sentais n'être personne », dit-il[1].
En 1987, il passe un an aux Philippines, vivant sous une tente à consommer des champignons, d'où ses parents le sauvent. Revenu, il dit que cette expérience lui a permis de « perdre toutes (s)es identités » pour ne plus être tiraillé dans une identité paradoxale entre être Juif ou arabe[3].
Il se met en ménage avec Mishmish Or, une costumière juive israélienne, fille d'un père turc et d'une mère égyptienne, qui l'avait recueilli quand il errait, et il devient le beau-père de sa fille de deux ans, Keshet.
Sa mère Arna l'invite à donner des cours de thérapie à sa troupe d'enfants à Jénine. Elle y fonde en 1993 le Stone Théâtre (en souvenir de l'intifada des pierres) avec l'argent du prix Nobel alternatif qu'elle a reçu, et les représentations permettent de réunir toute sa famille. Juliano décide alors de s'appeler Mer-Khamis.
Après la mort de sa mère en 1995, il quitte Jénine et se consacre à sa carrière en jouant au théâtre national Habima de Tel Aviv et dans plusieurs films. On le retrouve aussi plusieurs fois dans des rixes avec des réalisateurs, des acteurs et même les membres du public[3].
En 2000, Mishmish Or donne naissance à leur fille Milay ; la famille s'installe dans l'ancienne maison d'Arna à Haïfa, qui devient une base idéologique et organisationnelle pour son groupe pro-palestinien lors de la Seconde intifada durant laquelle d'anciens élèves d'Arna ou de Juliano deviennent des combattants et quelquefois des terroristes anti-israéliens.
Juliano retourne alors à Jénine en mars 2002 lors de l'opération Rempart, pour terminer le film consacré à sa mère et constate auprès d'anciens élèves que la résistance pacifique d'antan a laissé place à une volonté farouche d'en découdre. Il fréquente des activistes recherchés par Israël mais reste suspect aux yeux de ses amis arabes.
Il part quatre mois en Inde à moto avec sa fille Milay de quatre ans, où Mishmish les rejoint. De retour au pays, sa femme et sa fille s'installent à Tel Aviv et Juliano à Haïfa. Puis il retourne à Jénine, rend des services à la population et y fonde en 2006 le Freedom Theatre pour combattre l'occupation israélienne imposée de l'extérieur et l'« occupation culturelle religieuse » imposée à l'intérieur de la ville[3].
En 2007, il rencontre lors d'une fête à Haïfa une Finlandaise de 29 ans, Jenny Nyman, venue travailler dans une ONG pour aider les jeunes Palestiniens. Il l'épouse à Chypre et elle travaille ensuite à la collecte de fonds pour le théâtre du camp de Jénine de son mari. Après sa mort, elle quitte leur location de Jénine et part s'installer à Haïfa avec ses trois petits enfants. Par la suite, elle gère sa propre école maternelle privée[7].
Juliano Mer-Khamis a eu quatre enfants (une fille et trois garçons) mais n'a pas connu ses deux derniers, des jumeaux, nés deux mois après sa mort[7].
Il apparaît à titre posthume dans le documentaireWould You Have Sex with an Arab ? (2012), tourné peu avant son assassinat et qui lui est dédié. Mer-Khamis a été nommé pour le prix Ophir du Meilleur Acteur en 2002. De plus, tout au long de sa carrière, Mer-Khamis a également joué dans plusieurs films américains et franco-canadiens.
Le film raconte l'engagement pro-palestinien et le travail de sa mère pour créer une troupe théâtrale d’enfants à Jénine pendant les années 1980, et a connu son succès[9]. En effet, sept ans après la mort de sa mère, et à la suite de la bataille de Jénine en 2002, Mer-Khamis retourne dans cette ville pour rencontrer et interviewer les enfants (devenus adultes) qui avaient participé à la troupe théâtrale de sa mère et découvre que certains d’entre eux sont devenus des combattants, ont participé à des attentats contre les Israéliens ou ont été tués par l’armée israélienne[3]. Dans son documentaire, paru en 2004, apparaissent, notamment celui qui deviendra son ami, Zakaria Zubeidi, ancien chef militaire des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa à Jénine, et Tali Fahima, militante israélienne pro-palestinienne convertie à l'islam, qui vivait à Jénine avant son arrestation par l'armée israélienne pour son soutien à Zubeidi[3].
Il décide alors de fonder le Freedom Théâtre dans le camp de réfugiés pour poursuivre l'oeuvre de sa mère et libérer les Palestiniens par la culture : la « résistance culturelle ».
En 2011, il rejoint l'Académie des arts du spectacle de Tel Aviv où il enseigne jusqu'à son assassinat.
Théâtre de la Liberté
En 2006, à la suite d'une campagne internationale de soutien suscitée par son film, Mer-Khamis ouvre un théâtre communautaire pour les enfants et les adultes de Jénine, appelé Freedom Theatre, « Théâtre de la Liberté ». La création de ce théâtre dans le camp de réfugiés est, pour Mer-Khamis, une poursuite du travail et de l'œuvre de sa mère, récipiendaire du prix Nobel alternatif en 1994, qui avait offert le montant de son prix à son groupe théâtral[2].
Il le créé en collaboration avec Zakaria Zubeidi, Jonatan Stanczak, militant israélo-suédois, et Dror Feiler, artiste israélo-suédois. L’objectif de ce théâtre est d’offrir des opportunités aux enfants et aux jeunes du camp de réfugiés de Jénine de développer leurs talents, de se connaître soi-même et d’avoir confiance en soi en utilisant un processus créatif comme modèle de changement social. Il y met en scène des productions qu'il veut révolutionnaires (« intifada culturelle ») mais transgressives et choquantes pour l'esprit palestinien adhérant aux formes conservatrices de l'islam, mélangeant filles et garçons dans ses ateliers ou sur scène, et lutte ainsi pour la liberté dans tous les domaines du monde palestinien[10].
Son charisme lui permet de s'attirer des sympathies internationales, des personnalités (Vanessa Redgrave, Maya Angelou, Slavoj Žižek, Noam Chomsky...) et de lever des fonds pour son théâtre[3]. L'association des Amis du théâtre de la Liberté est créée par des sympathisants ou militants.
Les conservateurs et opposants musulmans locaux considèrent le Freedom Theatre comme une influence corruptrice de valeurs occidentales pour la jeunesse palestinienne voire une « conspiration sioniste » pour affaiblir la lutte contre l'occupant israélien, et il est incendié à deux reprises, recevant des cocktails molotov. Mer-Khamis lit des tracts le fustigeant en tant qu'athée et Juif et il reçoit des menaces de mort[4]. C'est d'ailleurs au sortir de ce théâtre que son assassin l'attendra[3].
Après la mort de son fondateur, le Théâtre de la Liberté reprend ses activités[11] sous la direction de Jonatan Stanczyk qui y insuffle un esprit moins provocateur. Il soulève des fonds internationaux, envoie ses productions en tournée en Europe et aux États-Unis ; il étend également ses activités dans toute la Cisjordanie[3].
Activité politique
Mer-Khamis est également un militant politique dans le conflit israélo-arabe. Il protesta contre l’occupation israélienne des territoires et contre la construction des colonies israéliennes. Il est surtout un militant des droits de l’homme des Palestiniens vivant dans les territoires occupés et leur ami.
Assassinat
Il meurt assassiné par balles à Jénine le , à l'âge de 52 ans, par un ancien militant palestinien des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, selon la police palestinienne[12],[13] qui n'a jamais retrouvé le ou les tueurs dans cette ville qui se tait[7]. Lors d'une interview de 2008 publiée en 2011 sur YouTube, il plaisantait en disant qu'il serait un jour tué par un Palestinien pour avoir « corrompu la jeunesse de l'Islam »[3],[7],[5].
La gauche radicale israélienne est démoralisée car elle voit à travers la mort violente de Juliano la perte d'un symbole du rêve binational, de coexistence et de solidarité entre Juifs et arabes[3].
Son militantisme oublié à Jénine, les funérailles de Juliano Mer-Khamis en tant que « martyr » ont lieu à Haïfa où le service est fait en arabe, suivies par une foule immense. Il est enterré dans un kibboutz au nord de Haïfa où il avait grandi.
↑ ab et c(en-GB) Rachel Shabi, « Juliano Mer-Khamis obituary », The Guardian, (ISSN0261-3077, lire en ligne, consulté le )
↑Tami Zer et Sjifra Herschberg, Weddings on the Front Line : Muslims and Jews joined in love face ancient hatreds, in Maclean.ca, 27/10/2003, article en ligne
↑ abcd et e(en) Gili Izikovich, « Stuck in Emergency Mode », Haaretz, (lire en ligne, consulté le )
↑« Zakaria Zubeidi », sur Palestinian Biographies (consulté le ).
↑(he) Hanan Greenberg Levy Elior, Hassan Shaalan et al., « השחקן והיוצר ג'וליאנו מר נרצח ביריות בג'נין » [« Auteur et acteur, Juliano Mer a été tué par des tirs à Jénine »], Ynet, (lire en ligne, consulté le )
↑Libération des femmes, libération de l'oppression religieuse, politique, familiale ou la libération sexuelle.
↑(en-GB) YanaF, « Our Legacy », sur The Freedom Theatre (consulté le ).
↑AFP, Jenin militant charged over theatre director murder, in yahoo.com, 06/04/2011, article en ligne
↑(en) Jack Khoury, Avi Issacharoff et Anshel Pfeffer, Israeli actor Juliano Mer-Khamis shot dead in Jenin, in Haaretz, 04/04/2011, [article en ligne]