Guillaume-Joseph Saige, né à Bordeaux le , mort dans la même ville le , est un avocat bordelais, auteur, en 1775, du « Catéchisme du citoyen... », publié anonymement, ainsi que de divers essais politiques relatifs au contrat social et aux fondements du droit constitutionnel.
Admis au barreau en 1768, à 23 ans, il devient l'un des trois cents avocats de Bordeaux[3] qui exercent dans les années qui précèdent la Révolution. Moins fortuné que son cousin François-Armand, il demeure dans le quartier populaire de Saint-Seurin, rue de la Grande Taupe.
Le musée de Bordeaux
En 1784, il fonde[4], avec d'autres avocats[5] et l'abbé Dupont des Jumeaux, le premier « musée » de Bordeaux[6], dont il devient le secrétaire. Concurrent de l'Académie de Bordeaux, ancêtre de la Société Philomathique, société savante composée de 150 membres[7], le Musée a le soutien de l'intendant Nicolas Dupré de Saint-Maur. Ses membres versent une cotisation (48 livres) qui finance ses activités. Si la société est réservée aux hommes, ils peuvent inviter des femmes[8]. Sont organisés des expositions et des cours de formation[9]. Saige rédige notamment le «Discours préliminaire » du « Recueil des ouvrages du Musée de Bordeaux, dédié à la Reine », publié en 1787[10]. L'institution disparait avec la dissolution de toutes les académies, par décret du 8 août 1793[11].
Saige se marie le , à 47 ans, avec Catherine de Miramont.
La première édition du Catéchisme du citoyen[12], son ouvrage le plus connu, est condamnée à la destruction par le feu par arrêt du [13] du Parlement de Bordeaux, puis par un arrêt du 30 juin 1775[14] du Parlement de Paris qui qualifie le texte de « séditieux, attentatoire à la souveraineté du Roi et contraire aux lois fondamentales du Royaume ».
Le livre est republié en 1787 à Genève, puis en 1788, au moins à quatre reprises[15], connaissant une large diffusion au moment de la réunion des États Généraux[16]. Son contenu est augmenté de « Fragmens politiques » réunissant plusieurs textes d'actualité et portant la pagination de 113 à 300.
Le Manuel de l'homme libre (1787), le Code national et L'ami des trois ordres (1787), se réclament aussi, en page de garde, de l'auteur, toujours anonyme, du Catéchisme du citoyen.
Pour combattre ces thèses et défendre le pouvoir royal, un pamphlet anonyme, publié en riposte en 1789 sous le titre Nouveau catéchisme du citoyen déclare « Le gouvernement monarchique est le meilleur de tous »[17].
Saige pourrait être aussi l'auteur d'une autre série de publications anonymes intitulées « Le moniteur 1788 ». Longtemps attribuée à d'illustres plumes (Brissot, Clavière), la brochure a été attribuée à Condorcet par l'historien Philippe Sagnac en 1911[20]. Publié en quatre livraisons d'un accès difficile, ces textes sont en réalité l'oeuvre de Guillaume-Joseph Saige selon le professeur Clarke W. Garrett[21]. Bernardau confirme explicitement cette attribution par un commentaire manuscrit qui accompagne la publication du premier numéro, en première[22] et dernière page[23], indiquant l'eistence de quatre livraisons. Il confirme cette attribuation en première page du deuxième numéro[24].
Idées
Saige s'inscrit dans le courant de contestation de la réforme judiciaire du chancelier Maupéou, au sein du parti « patriote » dont il est un des plus vifs pamphlétaires, sans toutefois soutenir les parlementaires exilés ni les partisans du parlementarisme à l'anglaise. Son affirmation de la souveraineté nationale annonce les débats de la Constituante en 1789[25].
Décrit par Camille Jullian comme « le plus hardi des commentateurs bordelais de Rousseau »[3], Guillaume-Joseph Saige s'inspire largement, mais pas exclusivement[26], des idées du philosophe genevois et se réfère, comme beaucoup d'autres publicistes de son temps, à la théorie du contrat social évoquée en Angleterre par Locke et Sidney[27].
Saige écrit, dans le Catéchisme du citoyen : « Chaque individu de l’espèce humaine étant, par le droit naturel, libre & indépendant […] toute société légitime est nécessairement assise sur la base d’un contrat […] dont l’objet a été de déterminer la cause & le but de l’association, et de conserver les droits imprescriptibles des individus qui s’unissent. »[28]
Avant la brochure de l'abbé Sieyès, il privilégie le rôle du tiers-état, reléguant les autres ordres au statut d' « associations particulières »[29]. Il estime que « quand une force oppressive a sapé tous les fondements de la constitution […] alors cesse toute autorité publique, et chacun devient son propre juge, légitime interprète et ministre des lois naturelles »[28], adoptant, au nom du droit naturel, la théorie de la résistance à l'oppression.
Postérité
Pierre Bernadau évoque ainsi l'avocat Saige : « publiciste... a laissé des ouvrages de morale et de droit public brillamment écrits, mais remplis d'utopies et d'idées exagérées »[30]. Il le voit comme « un homme austère », « plein d'idées chimériques qui l'ont conduit à une misanthropie fatale pour sa propre paix et son bonheur ».
Le « Dictionnaire des ouvrages anonymes » de 1823 décrit ainsi son Manuel de l'homme libre : « Dans cet ouvrage, l'auteur conseille le partage général des terres entre les hommes actifs et les fainéans »[31].
Lors du discours de rentrée de la conférence des avocats de Bordeaux, en 1902, l'avocat Paul Péquignot décrit le « républicain Saige » comme « plus violent dans ses livres qu'éloquent dans ses paroles »[32].
À la fin du XIXe siècle, la Statistique générale... d'Édouard Feret[33] l'évoque comme « un esprit hardi et paradoxal » préconisant, dans son Manuel de l'homme libre, « une sorte de loi agraire ordonnant un partage général des terres ».
Œuvres
M. Saige, avocat au Parlement, Caton, ou Entretien sur la liberté et les vertus politiques, Utrecht, B. Wild, 1771, rééditions en 1781 et 1795, 110 p. (lire en ligne)
Anonyme, Catéchisme du Citoyen ou élémens du droit public français, par demandes et par réponses, Genève, , 110 p. (lire en ligne)
Anonyme, Catéchisme du citoyen, ou Élémens du droit public français, par demandes & réponses Suivi de Fragmens politiques par le même auteur (2ème édition), Genève, , 301 p. (lire en ligne) et lire en ligne sur Google livres
Mr Saige, « Discours préliminaire » au Recueil des ouvrages du musée de Bordeaux dédié à la Reine, Bordeaux, Racle, , 442 p. (lire en ligne), p. 7 - 24
Mr Saige, « Le contemplateur nocturne » in : Discours préliminaire au Recueil des ouvrages du musée de Bordeaux dédié à la Reine, Bordeaux, Racle, , 442 p. (lire en ligne), p. 228 - 252
Manuel de l'homme libre, ou Exposition raisonnée des points fondamentaux du droit politique, Amsterdam - Paris, , 236 p.[34]
Code national ou Manuel françois à l'usage des trois ordres, et principalement des députés aux prochains Etats généraux, par l'auteur du "Catéchisme du citoyen" [Guillaume-Joseph Saige] et pour servir de suite à cet ouvrage, En France, , 194 p. (lire en ligne)[35]
L'ami des trois ordres ou Réflexions sur les dissentions actuelles, par l'auteur du Catéchisme du citoyen, , 16 p. (lire en ligne)[36]
Anonyme, Opuscules d'un solitaire, Bordeaux, Bergeret, libraire, , 325 p. (lire en ligne)
Le Moniteur de 1788 est conservé à la Bibliothèque nationale[37]. La publication comporte quatre numéros[38] (1 & 2 et les quatre n° en micropfilm à BNF Tolbiac ; 1 & 2 à l'Arsenal). Les n° 1 et n° 2 sont en ligne sur la bibliothèque numérique de Bordeaux : Séléné. Le n° 4 est conservé à la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux dans le « Recueil sur les États généraux »[39]
Bibliographie
Articles
Ph. Sagnac, « Condorcet et son Moniteur de 1788 », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 15, no 3, , p. 348-351 (lire en ligne [PDF])
(en) Keith Michael Baker(en), « Transformations of Classical Republicanism in Eighteenth-Century France », The Journal of Modern History, , p. 40
(en) Clarke W. Garrett, « The Moniteur of 1788 », French Historical Studies, vol. 5, no 2, (lire en ligne) : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Christopher Hamel, « L’esprit républicain anglais adapté à la France du XVIIIe siècle : un républicanisme classique ? », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, no 5, , p. 31 et suiv. (lire en ligne)
(en) Jeffrey Ryan Harris, « Encyclopédistes, Magistrates, and the Corporate General Will : The Argument for the Vote by Order in the Prerevolutionary Crisis », French Historical Studies, vol. 45, no 3, , p. 451-480 (lire en ligne)
Ouvrages
Camille Jullian, Histoire de Bordeaux depuis les origines jusqu’en 1895, Bordeaux, Feret et fils, , 803 p. (lire en ligne), p. 624-625
Ély Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au XVIIIe siècle, (lire en ligne), p. 474 - 478.
Roger Barny, Le triomphe du droit naturel : la constitution de la doctrine révolutionnaire des droits de l'homme, Annales de l'Université de Franche -Comté, , 244 p. (ISBN978-2-251-60622-4, lire en ligne), p. 29 et suiv.
Keith Michael Baker(en) (trad. Louis Evrard), Au tribunal de l'opinion : essais sur l'imaginaire politique au XVIIIe siècle. (Un républicain classique à Bordeaux), Payot, , 319 p. (ISBN9782228885720), p. 183-218 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) Keith Michael Baker(en), Inventing the French Revolution. Essays on French Political Culture in the Eighteenth-Century : II, 6 : A classical republican in eighteenth-century Bordeaux : Guillaume-Joseph Saige, Cambridge, CUP, (lire en ligne), p. 128 - 152
Jean-Charles Buttier, Les catéchismes politiques français (1789-1914), , 475 p. (lire en ligne)
Ahmed Slimani, « Chapitre I. La quête d’une représentation nationale moderne », dans La modernité du concept de nation au XVIIIe siècle (1715-1789) : Apports des thèses parlementaires et des idées politiques du temps, Presses universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Histoire des idées politiques », (ISBN978-2-8218-5325-6, lire en ligne), p. 309–356
Roberta K.Soromenho Nicolete, De Reims à Varennes : Les langages de l’autorité politique dans la France révolutionnaire, École des Hautes Études en Sciences Sociales / Universidade de São Paulo, , 189 p. (lire en ligne), p. 96-115
↑Recueil des ouvrages du musée de Bordeaux dédié à la Reine, année 1787 (lire en ligne).
↑« 1793-1816 », sur Académie des Inscriptions et Belles Lettres (consulté le ).
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↑Société des archives de la Gironde, Archives historiques du département de la Gironde, la Sociét, (lire en ligne).
↑Arrest de la Cour de Parlement, qui condamne deux libelles intitulés ; le premier : "Catéchisme du citoyen, ou éléments du droit public françois", par demandes & par réponses ; le second : "L'Ami des loix, & c." à être lacérés & brulés par l'exécuteur de la Haute Justice, , 6 p. (lire en ligne).
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↑Jean-Charles Buttier, Les catéchismes politiques français (1789-1914), Sciences de l’Homme et Société. Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, 2, , 474 p. (lire en ligne), p. 344.
↑Anonyme, Nouveau catéchisme du citoyen, ?, ?, , 48 p. (lire en ligne), p. 8
↑Antoine-Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, composés, traduits ou publiés en Français et en Latin, avec les noms des auteurs..., Paris, Barrois l'ainé, (lire en ligne).
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↑Philippe Sagnac, « Condorcet et son «Moniteur» de 1788 », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, vol. 15, no 3, , p. 348–351 (DOI10.3406/rhmc.1911.4640, lire en ligne, consulté le )
↑Clarke W. Garrett, « The Moniteur of 1788 French Historical Studies, , p. 263-273 », French Historical Studies, , p. 263-273 (lire en ligne)
↑Édouard Tillet, « La polyphonie du discours parlementaire sur la fonction royale au temps de la réforme Maupeou (1771-1775) », dans Marie-Bernadette Bruguière (dir.), Prendre le pouvoir : force et légitimité, Presses de l'Université Toulouse Capitole, coll. « Études d'histoire du droit et des idées politiques » (no 6), , 346 p. (ISBN978-2-36170-179-6, lire en ligne), p. 169–198.
↑(en) Harris, Jeffrey Ryan, « Encyclopédistes, Magistrates, and the Corporate General Will: The Argument for the Vote by Order in the Prerevolutionary Crisis », French Historical Studies, vol. 45, no 3, , p. 41 et suiv. (Internet Archive).
↑Manuel de l'homme libre, ou Exposition raisonnée des points fondamentaux du droit politique, Amsterdam - Paris, , 236 p., p. 45
↑ a et bCatéchisme du citoyen..., Genève, , 301 p., p. 2.
↑(en) Keith Michael Baker, 6 - A classical republican in eighteenth-century Bordeaux : Guillaume-Joseph Saige, in : Inventing the French Revolution. Essays on French Political Culture in the Eighteenth Century, Cambridge University Press, (lire en ligne), p. 148.
↑Pierre Bernadau, Histoire de Bordeaux : depuis l'année 1675 jusqu'à 1836, vol. 2, Bordeaux, , 605 p. (lire en ligne), p. 443.
↑Antoine-Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes: composés, traduits ou publiés en français et en latin, avec les noms des auteurs, traducteurs et éditeurs, t. II, Barrois l'aîné, (lire en ligne), p. 538.
↑Paul Péquignot, Le Barreau de Bordeaux au XVIIIe siècle : discours prononcé le 19 décembre 1902 à la séance solennelle de rentrée de la conférence des avocats de Bordeaux, (lire en ligne), p. 7.
↑Edouard Feret, Statistique générale, topographique, scientifique, administrative, industrielle, commerciale, agricole, historique, archéologique et biographique du département de la Gironde, Féret, (lire en ligne), p. 553.
↑Barbier & Billard, Dictionnaire des ouvrages anonymes. Tome III., 1872-1879 (lire en ligne), p. 37
↑Clarke W. Garret doute de l'attribution de l'ouvrage à Saige (cf. The Moniteur of 1788, note 14) sans plus en justifier et ce malgré la mention « par l'auteur du catéchisme du citoyen » figurant sous le titre de l'ouvrage. Les thèses exposées dans le livre sont identiques à celles développées dans les autres ouvrages de Saige.
↑Barbier, Billard, Dictionnaire des ouvrages anonymes. Tome I. A-D, 1872-1879 (lire en ligne), p. 134
↑Guillaume-Joseph Saige, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat marquis de Condorcet, Jacques-Pierre Brissot de Warville et Étienne Clavière, Le Moniteur, s.n., (lire en ligne)