Dans le sens des aiguilles d'une montre : enfants victimes de famine en Inde (1943), aux Pays-Bas (1944-1945), au Nigeria et une gravure représentant une femme, Bridget O'Donnel, et ses enfants pendant la Grande famine irlandaise (1845-1849).
La famine est une situation dans laquelle la population d'une zone géographique donnée, ou seulement une partie de cette population, manque de nourriture. L'état de sous-alimentation est atteint à moins de 1 200 kilocalories par jour et par personne, la moyenne normale est de 1 600 (enfant) à 2 900 kcal (adolescent). Cet état peut provoquer la mort.
Étymologie
Le mot famine est attesté en 1170 et est un dérivé de « faim ». Le terme de disette est employé pour une situation de pénurie moins grave (manque ou cherté des vivres), et aussi pour désigner une personne souffrant d'anorexie qui s'impose une disette alors que les aliments sont disponibles. Les véritables famines sont ainsi plus rares que de simples pénuries[1].
Causes
Les causes de la faim dans le monde sont multiples et interdépendantes. De façon pragmatique, elles peuvent être regroupées en deux types d’inaccessibilité à l’alimentation : l’inaccessibilité économique, quand la nourriture est disponible mais trop chère pour que la population puisse l’acheter et l’inaccessibilité physique ou géographique, quand la nourriture n’est simplement pas disponible[2].
Ces deux types d’inaccessibilité trouvent leurs causes dans différents facteurs.
Inaccessibilité économique
Dans un système de libre marché, les prix sont définis par l’offre et la demande. Quand les prix des denrées alimentaires flambent, les populations des pays les plus pauvres, qui dépensent près de 70 % de leur budget dans l'alimentation[3], perdent l'accès à la nourriture.
La croissance démographique et la croissance des niveaux de vie dans les pays en développement font inéluctablement pression sur la « demande alimentaire ». La croissance des niveaux de vie en Chine ou en Inde permet à ceux qui la vivent d’abord de manger à leur faim puis de passer à un régime plus carnivore et l’élevage est une activité très consommatrice de céréales[4]. Selon les sources, il faudrait jusqu’à 17 kg de céréales pour produire un kilogramme de viande de bœuf[5]. Deux facteurs supplémentaires participent à la pression sur la demande alimentaire: la demande en biocarburants et la spéculation. Avec l’augmentation des prix du pétrole, la production de biocarburants gagne en rentabilité et devient plus attractive pour les investisseurs. Pour se développer, elle a besoin de matières premières végétales qu’elle trouve également sur le marché alimentaire[6]. D’après Nicolas Sarkozy[7] mais aussi Jean Ziegler[8], la spéculation sur le marché des denrées alimentaires est la raison pouvant justifier la flambée des prix connue en 2008[2]. Un dernier facteur doit sans doute être pris en considération lorsque la demande alimentaire est évoquée. Il s’agit du gaspillage. En effet, s’il n’entraîne pas une augmentation de la demande dans le temps, il vient néanmoins gonfler celle-ci et fait donc pression sur les prix. D'après le Programme des Nations unies pour l'environnement[9], la moitié de la production alimentaire mondiale n'est pas consommée[2].
L’évolution du prix du pétrole influence l’offre alimentaire. En effet, dans un système d’agriculture industrielle, cette augmentation entraîne celle les coûts de production à travers le coût des engrais et des pesticides. Enfin, dans un système mondialisé, elle a également un impact sur le coût du transport[10]. L’offre alimentaire, et le libre marché, sont également faussés par la concurrence déloyale que se livrent les différents États[11] : les subventions, comme celles octroyées dans le cadre de la Politique agricole commune, en sont un exemple, elles permettent aux agriculteurs qui en profitent de pratiquer le dumping sur les marchés extérieurs. D’autres moyens existent pour fausser la concurrence : quotas, droits de douane ou règles sanitaires.
L’inaccessibilité physique (ou géographique) est due en partie au phénomène d’urbanisation vécu par les pays du Sud depuis quelques décennies. La FAO note d’ailleurs que les populations rurales souffrent globalement moins de la faim car elles ont encore accès à un terrain pour produire l’essentiel de leur alimentation[12]. Cette urbanisation est due à la pauvreté des campagnes mais elle est aussi parfois entraînée par les politiques d’expropriation menées par certains États dans le but de revendre les terres à de grands groupes industriels ou à des fonds spéculatifs (Hedge funds)[13]. L’inaccessibilité physique est également due au manque de rendement agricole et aux mauvaises infrastructures du Sud. Des capacités de stockage défaillantes entraînent une détérioration des récoltes. Les voies de transports insuffisantes rendent difficiles l’approvisionnement et le déploiement de l’aide d’urgence en cas de famine. En outre, les retards d’irrigation dans les pays pauvres gardent leurs productions agricoles dépendante à 95 % des pluies[14]. L’outillage rudimentaire des populations rurales pèse sur leurs récoltes au niveau local mais a aussi un impact sur l’offre agricole mondiale[2].
Problèmes climatiques
Les problèmes climatiques (sécheresses, inondations…) ont une influence sur la sous-alimentation à de nombreux niveaux. Ils peuvent détruire les récoltes, ou rendre des infrastructures inaccessibles[2].
Causes politiques
Les guerres entraînent souvent la déportation des populations. Elles empêchent donc la culture des champs mais aussi les récoltes. Si elles ne détruisent pas les infrastructures, elles empêchent ou en rendent dangereuse leur utilisation[2].
Amartya Sen a travaillé sur les causes des famines, et en a déduit que le manque de démocratie est la cause de nombreuses famines : un gouvernement qui aurait à rendre compte de son action devant les citoyens, même dans un pays pauvre, ne laisserait pas se produire une famine[15]. C'est un des facteurs à prendre en compte dans les famines qui se sont déclenchées au XXe siècle, notamment dans les pays communistes.
Histoire
La famine est un problème ancien. La Bible y fait référence comme un des Quatre cavaliers de l'Apocalypse. Dans le passé, l'arme de la famine est souvent utilisée dans le siège des villes pour obtenir la reddition sans combat (comme lors du siège d'Alésia). La politique dite de la terre brûlée utilise de la même manière la famine dans un but défensif.
Antiquité
Dans l'Antiquité en Égypte les famines sont principalement provoquées par la trop faible ou par la trop forte crue du Nil.
Moyen Âge
Les famines au Moyen Âge interviennent lorsque les récoltes sont mauvaises, en particulier pendant la soudure. Le facteur météorologique est aggravé par la guerre et le passage dévastateur des soldats dans les champs (comme durant la guerre de Cent Ans). Les pauvres sont toujours les plus touchés. Les villes organisent le ravitaillement en blé, venu parfois de loin et à fort coût. La famine rend les corps plus faibles face aux épidémies. Le lettré Raoul Glaber a laissé un témoignage écrit de la famine qui a sévi en Bourgogne vers 1033. Dès lors la famine est un problème récurrent. Les Occidentaux vivent dans la « hantise de la faim » selon l'expression de Jacques Le Goff[16]. Pourtant aux XIIe et XIIIe siècles, les grandes famines sont plus rares[17].
Époque moderne
La grande famine de 1693-1694, qui se produisit en France, est due à un printemps et un été trop pluvieux en 1692, suivis en 1693 d'une récolte très médiocre, causant une sous-alimentation qui favorise les épidémies comme le typhus. Elle se produit sur fond de guerre de la Ligue d'Augsbourg, de relèvement de la taille et de création, en 1695, d'un nouvel impôt, la capitation. La France, qui avait alors 20 millions d’habitants, eut 1 300 000 morts en plus de la mortalité normale. L'historien François Lebrun, professeur à Rennes II estime même que la population française est passée de 22,25 à 20,75 millions d’habitants en deux ans, entre 1692 et 1694, soit un total d’un million et demi de morts. Dans la même période on peut citer les disettes et famines de 1660 à 1664 durant 5 années de suite, 1698-1699-1700[18], 1709-1710.
En 1856-1857, la prophétesse Nongqawuse pousse les Xhosas à détruire leurs moyens de subsistance dans l'espoir d'amener un Âge d'or, causant une famine et des luttes internes qui tueront peut-être 80% de ses compatriotes.
De 1876 à 1878, le monde connaît une grande sécheresse, appelée famine de 1876 à 1878. Elle fut provoquée par la combinaison de trois événements naturels exceptionnels, ainsi que par des paramètres humains (colonisation, tensions géopolitiques et commerciales). Elle toucha tous les continents, mais en particulier l'Est australien, la Chine, l'Inde, le Brésil et le pourtour méditerranéen.
La famine russe de 1891-1892 fait 2 millions de morts le long de la Volga, dans l'Oural, et jusqu'à la mer Noire. Elle fut imputée à un hiver et un été secs mais aussi à la forte natalité et à la stratégie économique de l'Empire russe dont les exportations de blé, qui pouvaient alimenter suffisamment ces régions, n'ont pas été détournées au profit des affamés.
La famine de 1899 au Kenya central a tué selon les estimations, très difficiles, entre 50 % et 90 % de la population de cette région.
Première Guerre mondiale
La famine de 1915 à 1918 au Liban fait de 150 000 morts en raison d'un double blocus durant la Première Guerre mondiale : le blocus maritime en Méditerranée imposé par les flottes des Alliés en guerre contre l'Empire ottoman ; le blocus terrestre imposé par l’Empire ottoman qui privilégie le ravitaillement de ses troupes et sacrifie les populations civiles[20] ; les armées allemandes et autrichiennes qui soutiennent les Ottomans aggravent la pénurie alimentaire en détournant les vivres vers le front occidental[21].
Le siège de Leningrad (Union soviétique) par les armées de l'Allemagne nazie, du au , a fait environ 1 million de victimes (sur les 2.9 millions d'habitants de la ville), l'écrasante majorité (97 %) étant mortes de faim[26].
Au Tibet la mise en place de la réforme agraire et de la collectivisation des terres, à partir de 1954 n'ont pas l'effet positif escompté par les communistes, mais au contraire entraînent une baisse importante de la production, aussi bien pour la culture que pour l'élevage, ce qui conduira à des famines chez les paysans et les nomades tibétains ; c'est la première famine au Tibet (cf. Pétition en 70 000 caractères)[32].
En 2004, le Darfour, au Soudan, est touché par une famine[36]. En 2005, au Niger, la malnutrition a touché plus de 3,5 millions de personnes dont 800 000 enfants. Plus de 100 000 personnes sont décédées[37]. En 2005 selon la FAO environ 16 000 enfants dans le monde meurent par jour de maladies liées à la faim et à la malnutrition.
La crise alimentaire mondiale de 2007-2008, ayant eu pour origine une forte hausse du prix des denrées alimentaires de base, plongeant dans un état de crise quelques-unes des régions les plus pauvres du monde et causant une instabilité politique et des émeutes dans plusieurs pays.
En novembre 2021, le Programme alimentaire mondial évalue à plus de 45 millions le nombre d'individus à travers le monde souffrant d'insécurité alimentaire aiguë, répartis dans 43 pays. La Syrie, en proie à une guerre civile depuis dix ans, compte 12,4 millions de personnes qui ne savent pas comment elles se procureront leur prochain repas. Le Yémen, plongé dans la guerre, est également durement frappé par la famine. Mais c'est en Afghanistan que la situation est la plus préoccupante : trois millions de personnes sont désormais confrontées à la famine. Les personnes menacées de famine se trouvent aussi en Éthiopie, en Haïti, en Somalie, en Angola, au Kenya et au Burundi[39].
En 2022, le Réseau de prévention des crises alimentaires estime que la production de céréales en 2021 au Sahel a baissé de 12 % par rapport à 2020 ; la baisse la plus prononcée s'observe au Niger (-36 %). Selon le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Cills), 88,7 millions de personnes sont aujourd'hui en situation de stress alimentaire et 40,7 millions en situation de crise alimentaire ou pire. Ces estimations ne prennent pas totalement en compte les conséquences de la guerre en Ukraine qui affecte les importations de blé et d'engrais dans la région[40].
En mai 2022, le secrétaire général de l'ONU António Guterres déclare : « le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire grave a doublé, passant de 135 millions avant la pandémie à 276 millions aujourd'hui », la guerre en Ukraine exacerbant les conséquences de la pandémie de Covid-19 et du réchauffement climatique[41].
L'ONU met en garde, le 30 mai 2022, contre un « ouragan de famines » dû au conflit en Ukraine, conjugué à la sécheresse qui frappe durement l'Éthiopie, le Kenya et la Somalie mais aussi l'Europe et la « ceinture du grain » aux États-Unis. Plusieurs agences de l'ONU anticipent une nouvelle mauvaise saison des pluies en Afrique et en Asie, la cinquième d'affilée. Elles estiment que 200 millions de personnes sont en très grande précarité alimentaire, un nombre qui a doublé en deux ans[42].
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En France
« La France, pays privilégié s’il en fût, aura connu 10 famines générales au Xe siècle, 26 au XIe, 2 au XIIe, 4 au XIVe, 7 au XVe,
13 au XVIe, 11 au XVIIe, 16 au XVIIIe (…). Les campagnes, ce qui semble paradoxal, souffrent parfois bien plus que les villes. Vivant sous la dépendance des marchands, des villes, des seigneurs, le paysan ne dispose guère de réserves. En cas de disette, pas d’autre solution pour lui que de refluer vers la ville, de s’y entasser vaille que vaille, de mendier dans les rues[45]. »
2009 : selon les dernières estimations de David Battisti (Université de Washington, Seattle) et Rosamond Naylor (Université Stanford), la sécurité alimentaire de 3 milliards d'hommes serait menacée d'ici à 2100. En se basant sur 23 modèles climatiques, la grande majorité du globe connaîtra des températures estivales caniculaires dépassant les précédents records (1900, 2006). En climat tempéré, les températures connues en 2003 pourraient devenir la norme. Ainsi, en 2003, un excès de température de 3,6 °C par rapport aux températures moyennes de saisons avait fait diminuer les rendements agricoles de 30 % pour le maïs, 21 % pour le blé et 25 % pour les fruits.
2019 : selon une étude publiée dans ScienceAdvances le 27 novembre 2019, d’ici 2100, autour du globe, environ 7,2 milliards de personnes devraient connaître des pertes de productivité des cultures en même temps qu’une baisse des captures de pêche. C’est donc la sécurité alimentaire de près de 90 % de la population mondiale qui risque d’être malmenée par les changements climatiques à la fin du siècle. Dans ce dernier domaine, la baisse inéluctable des quantités de poissons débarqués devrait même concerner 97 % de la population mondiale. L’Amérique latine, le sud et le centre de l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, et globalement les habitants de la zone intertropicale, devraient être particulièrement touchés. Les auteurs ont basé leur recherche sur les évolutions de productivité du maïs, riz, soja et blé – les quatre cultures les plus répandues dans le monde –, dans 240 États ou territoires, ainsi que sur les statistiques des captures mondiales de l’Institut pour les océans et les pêcheries de l’université de la Colombie-Britannique (Canada). Les auteurs de l'étude ont basé leurs calculs sur un scénario du GIEC tenant compte d'une augmentation des températures de 4,3 °C en moyenne d’ici la fin du siècle - tendance actuelle du "business as usual". À noter qu'un scénario à +1,5 °C (Accords de Paris) exposerait néanmoins encore 60 % de la population mondiale à l'insécurité alimentaire.
Notes et références
↑Peter Garnsey, Famine et approvisionnement dans le monde gréco-romain, Les Belles Lettres, , p. 34.
↑ a et bPhilippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, Armand Colin, Paris, 2007, (ISBN9782200346768), p.85
↑Graham Auman Pitts, «« Les rendre odieux dans tous les pays arabes » : La France et la famine au Liban 1914-1918», traduit de l’anglais par Marie-José Sfeir, Raphaële Balu, Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient, Les Cahiers de l'Orient, 2015/3 N° 119 | pages 33 à 47, ISSN 0767-6468, DOI 10.3917/lcdlo.119.0033, lire en ligne