L'extraterritorialité du droit américain est le nom donné à l'ensemble des dispositions du droit américain qui peut être appliqué en-dehors des frontières des États-Unis à des personnes physiques ou à des personnes morales de pays tiers. Ces dispositions couvrent des domaines aussi divers que le contrôle des exportations aux pays subissant des embargos ou la lutte contre la corruption. Il s'agit d'un des grands droits extraterritoriaux du monde, avec l'extraterritorialité du droit européen.
Cette extraterritorialité présuppose la capacité des juges et du département de la Justice à engager des poursuites. Les poursuites peuvent être engagées, par exemple, du fait de l'utilisation du dollar américain dans des transactions.
Concept
Le droit américain permet l'extraterritorialité de certains de ses textes juridiques du fait de dispositions l'autorisant expressément.
La Direction générale de la Sécurité intérieure explique que l'extraterritorialité « se traduit par une grande variété de lois et mécanismes juridiques conférant aux autorités américaines la capacité de soumettre des entreprises étrangères à leurs standards, mais également de capter leurs savoir-faire, d'entraver les efforts de développement des concurrents des entreprises américaines, de contrôler ou surveiller des sociétés étrangères gênantes ou convoitées, et ce faisant de générer des revenus financiers importants »[4].
L'application de dispositions extraterritoriales dépend de la proactivité du département de la Justice américain. Les juges peuvent toutefois également les invoquer à l'occasion de contentieux[5].
Application dans le cadre de condamnations d'entreprises françaises
Mis en cause
Faits reprochés
Lien utilisé par la justice américaine pour justifier sa compétence en vertu du principe d'extraterritorialité
Légalisation de l'espionnage entre puissances alliées
L'extraterritorialité du droit américain a été critiquée comme normalisant de jure l'espionnage entre pays alliés. En 2014, une enquête parlementaire de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) dirigée par Jean-Jacques Urvoas a conclu que les lois extraterritoriales américaines sont un empiétement sur la souveraineté nationale, car elles permettent « un espionnage paré des vertus de la légalité »[12]. Les entreprises poursuivies par le département de la Justice régularisent leur situation en acceptant un suivi (monitoring) durant trois ou cinq ans afin de mettre en place un programme de conformité[13].
Outil de guerre économique
La Délégation (DPR) remarque que ces dispositions juridiques font partie de l'arsenal juridique des États-Unis dans le cadre d'une guerre juridique et d'une guerre économique. Elle les qualifie de « puissant instrument de prédation ». La délégation remarque que les poursuites américaines en vertu des lois extraterritoriales sont instrumentalisées dans l'objectif de racheter les entreprises frappées par la loi. Ainsi, Alstom, qui risquait de lourdes amendes, a accepté d'être racheté par son rival General Electric[12].
En avril 2018, la DGSI établit une note pour le gouvernement français dans laquelle elle estime que « les entreprises françaises […] font l'objet d'attaques ciblées, notamment par le biais de contentieux juridiques, de tentatives de captation d'informations et d'ingérence économique ». Le document qui se présente comme un « panorama des ingérences économiques américaines en France » avance que l'aéronautique et la société Airbus seraient les premières cibles de ces captations d'information[4]. Dans la même note, la DGSI souligne que « plusieurs grands groupes français ont ainsi été ciblés par le ministère de la Justice américain ces dernières années […] (Technip, Total, Alstom, Alcatel, BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale). Les opérations d'acquisition ou de fusion ayant suivi, pour certains d'entre eux, pourraient être interprétées comme le fruit de manœuvres de déstabilisation et de fragilisation rendues possibles par la mise en œuvre de ces dispositions légales »[14].
Pour le député LR Pierre Lellouche, qui a présidé une mission d'information parlementaire sur le sujet, il s'agirait d'« une stratégie délibérée des États-Unis qui consiste à mettre en réseau leurs agences de renseignements et leur justice afin de mener une véritable guerre économique à leurs concurrents ».
Bibliographie
A. Garapon et P. Servan-Schreiber (dir.), Deals de justice, Le marché américain de l’obéissance mondialisée, Puf, 2013.
Articles dans des revues scientifiques
Marion Leblanc-Wohrer, « Le droit, arme économique et géopolitique des États-Unis », Politique étrangère, 2019, Hivr, nᵒ 4, p. 37.
Olivier de Maison Rouge, « Géopolitique du droit américain : dernières nouvelles du front extérieur », Sécurité globale, 2017, vol. 9, nᵒ 1, p. 59.
Walid Abdelgawad, « Jalons de l’internationalisation du droit de la concurrence : vers l’éclosion d’un ordre juridique mondial de la lex economica », Revue internationale de droit économique, 2001, t. XV, 2, nᵒ 2, p. 161.
↑Raphaël Gauvain, Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, Paris, Assemblée nationale, , 101 p. (lire en ligne), p. 14.
↑E. Friedel-Tallon, Extraterritorialité du droit de la concurrence aux Etats-Unis et dans la Communauté européenne, L.G.D.J., (ISBN978-2-275-00356-6, lire en ligne)