Charybde (en grec ancienΧάρυϐδις / Khárubdis, fém., pron. : [kaʀibd] « karybde ») et Scylla (Σκύλλα / Skúlla, fém.) sont deux monstres marins de la mythologie grecque, situés de part et d'autre d'un détroit traditionnellement identifié comme étant celui de Messine[1].
La légende est à l'origine de l'expression « tomber de Charybde en Scylla », qui signifie « aller de mal en pis »[2].
Mythologie grecque
Charybde était la fille de Poséidon et de Gaïa. Elle était perpétuellement affamée. Lorsqu'elle dévora le bétail d'Héraclès, le fils de Zeus, celui-ci la punit en l'envoyant au fond d'un détroit « formé par un bras de mer qui sépare Rhégion de Messénè »[1].
Non loin de là vivait Scylla. À l'origine, elle était une nymphe dont Glaucos était follement amoureux. Cet amour n'étant pas réciproque, Glaucos alla demander à la magicienne Circé un philtre d'amour, mais celle-ci, éperdument amoureuse de Glaucos et jalouse de Scylla, profita de l'occasion pour changer la nymphe en un monstre terrifiant[3].
Dans l'Odyssée, Circé décrit à Ulysse la route qu'il doit suivre en ces termes : « La route vous mène entre les Deux Écueils. L'un dresse jusqu'au vaste ciel sa cime pointue ; un nuage l'entoure, bleu sombre. Aucun mortel ne pourrait y monter ni s'y tenir, […] car la roche est lisse et semble polie tout autour. Au milieu de cette roche, une sombre caverne donnant au nord-ouest vers l'Érèbe. Droit sur elle vous mettrez le cap de votre creux navire, ô noble Ulysse ! D'une flèche, un homme robuste tirant d'un creux navire ne toucherait pas le fond de cette caverne. Scylla au cri retentissant y habite »[4].
Scylla est présentée comme une créature monstrueuse dont le cri retentissant est un aboiement qui résonne sur les parois de la caverne ; Circé la qualifie de « mal éternel, terrible fléau, réalité sauvage et qu'on ne peut combattre »[5]. Malgré les recommandations de Circé, Ulysse se munit de deux longues piques pour affronter le monstre, mais en vain ; il perd six de ses marins et donne l'ordre de s'écarter au plus vite du rocher. Quant à Charybde, « elle engloutit l'eau noire ; trois fois par jour elle la vomit, trois fois elle l'engloutit »[6]. Ce gouffre est d'une force telle que Poséidon lui-même serait impuissant à sauver celui qui serait pris dans son tourbillon[réf. nécessaire].
Interprétations
Depuis Homère, Charybde et Scylla forment deux termes associés, à la fois opposés et complémentaires. Scylla est une haute roche fixe qui se dresse jusqu'au ciel ; Charybde gît dans les profondeurs de la mer, telle une masse liquide descendant et remontant par mouvements de spirales. Ces deux dangers qui menaçaient les marins ont été dès l'Antiquité identifiés par Thucydide à « la passe redoutable, étant donné son étroitesse et ses courants » que nous appelons aujourd'hui le détroit de Messine. Ce tourbillon et ce récif sont signalés sur nos cartes marines et définis par les Instructions nautiques : « La rencontre de deux courants opposés produit, en divers endroits du détroit, des tourbillons et de grands remous appelés garofali. Les principaux garofali sont sur la côte de Sicile, entre le cap du Faro et la pointe Sottile, avec le jusant, et devant la tour de Palazzo, avec le flot ; ce dernier garofalo est très fort : c'est le Charybde des Anciens »[7].
Suivant les instructions de Circé, Ulysse a doublé les sirènes en qui des navigateurs expérimentés reconnaissent les Galli, et mis le cap sur Scylla : c'est une roche qui apparaît à bâbord, avant la porte étroite donnant accès au sud. Elle aussi est signalée par nos modernes Instructions nautiques : « La ville de Scilla est bâtie en amphithéâtre sur les falaises escarpées d'une pointe saillante au Nord ». Sur ce promontoire élevé et rocheux, les Grecs ont imaginé le monstre Scylla en son antre. À mi-hauteur, se trouve en effet une grotte et la falaise résonne des coups de boutoir que lui assènent les vagues déferlantes[8].
Notons aussi les nombreuses interprétations philosophiques, parfois alchimiques, à la fois païennes et chrétiennes, dont Scylla et Charybde ont été l'objet depuis l'Antiquité, notamment chez Héraclide du Pont, Eustathe et Christophe Contoléon[9].
Au XXe siècle, le philosophe Emmanuel d'Hooghvorst les commente lui aussi en ce sens : « En oniromancie grecque, les dents signifient les os. Dans chacune de ses gueules, ce monstre [Scylla] a trois rangées de dents : c'est la triple série des vertèbres de l'homme, dont deux sont mobiles, et une fixe. « En ces dix-neuf vertèbres mobiles, j'use ma vie en vanité de ce siècle Tel est le péril, tel est le piège des âmes »[10].
Évocations
Antiquité
Dans l'histoire des Argonautes, ceux-ci franchissent le détroit sans difficultés grâce à des interventions divines, en allant de Sardaigne vers la mer Ionienne, au retour de la Colchide[11].
Dans l’Odyssée, Ulysse est appelé à franchir le détroit avec son navire, puis est confronté à Charybde une seconde fois après un naufrage[12].
Dans l’Énéide de Virgile, le héros doit traverser le détroit en se rendant vers le Latium.
Dans la culture
Littérature
1831 : dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, le chapitre premier du deuxième livre est intitulé De Charybde en Scylla.
1937 : dans la traduction française du Hobbit de J.R.R. Tolkien, le sixième chapitre est intitulé De Charybde en Scylla[réf. nécessaire] (en anglais : « From the frying-pan into the fire », une expression au sens similaire tirée du langage courant).
1976 et 1997 : dans Ulysse méditerranée et Ulysse atlantique, chapitres successifs du livre Les grands navigateurs d'Alain Bombard, détaillant deux interprétations de l'Odyssée et expliquant pourquoi Bombard préfère la seconde, qui (outre les localisations du reste de l'Odyssée) place Charybde et Scylla en mer d'Irlande, où Charybde serait la marée (très forte à cet endroit et inconnue des Grecs de l'Antiquité) et Scylla les roches côtières.
1995 : Charybde et Scylla dans l'œuvre Propos sur la Chrysopée par L.P. Dujols, page 171, annexe 1, les deux termes Charybde et Scylla reviennent à ceci : Solve et Coagula.
2006 : dans Ulysse de James Joyce, le neuvième épisode dans son entier fait référence à ce mythe.
2007-2010 : dans les tomes 2 et 3 de la trilogie Les Lames du cardinal de Pierre Pevel, Charybde et Scylla sont les deux dragonnets jumeaux d'Alessandra di Santi dite « l'Italienne ».
Bandes dessinées
Dans le numéro 102 paru en 1967 des albums de Blek le Roc, le professeur Occultis utilise cette expression pour montrer que lui, Blek et Roddy étaient pris entre une tribu indienne et les Homards rouges.
Dans le manga Les Chevaliers du Zodiaque, lors de l'attaque du sanctuaire sous-marin de Poséidon, le chevalier d'Andromède combat le général Io de Scylla, l'armure et les pouvoirs de ce dernier faisant référence au monstre mythologique.
Dans le comics Irrécupérable de Mark Waid, Charybde et Scylla sont deux super-héros jumeaux.
Cinéma et animation
Dans l'épisode 11 d'Ulysse 31, Charybde et Scylla sont représentées sous la forme de deux planètes à l'aspect monstrueux situées dans un vortex qui, vu de dessus, ressemble au symbole ∞. La première est de feu, et la seconde de glace.
Dans le deuxième épisode de la série animée L'Odyssée, Charybde et Scylla sont présenté comme un couple amoureux, victimes d'une malédiction par Circé. Charybde est devenu une grotte abritant un tourbillon qui engloutit tout et Scylla est devenu un monstre à trois têtes, avec l'impossibilité aux deux amants de se rejoindre. À la fin de l'épisode, les deux sont réunis grâce à Ulysse et retrouvent leur apparence d'origine.
Dans la saison 4 de la série Prison Break, Michael Scofield et son équipe doivent s'emparer d'une carte mémoire du nom de « Scylla » à laquelle on accède grâce à six clés électroniques (faisant référence aux six têtes de Scylla dans le récit d'Homère). Les titres français des deux premiers épisodes de cette ultime saison font d'ailleurs référence à ce mythe, puisqu'ils s'intitulent respectivement De Charybde… (# 4.01) et …En Scylla (# 4.02).
Les épisodes 20 et 21 de la série Alias s'intitulent respectivement De Charybde… (# 4.20) … en Scylla (# 4.21).
Dans le film Le Hobbit : Un voyage inattendu en version française, l'expression « tomber de Charybde en Scylla » est dans la bouche de Gandalf le magicien.
Une chanson du groupe Trivium sur l'album Shogun se nomme aussi Torn Between Scylla & Charybdis qui veut dire Déchiré entre Scylla et Charybde.
Une chanson de The Police évoque les liens du mariage (Wrapped Around Your Finger) où Sting ne veut pas être pris entre « the Scylla and Charibdes ».
L'artiste français Kentin Jivek(en) rend hommage à ce mythe dans l'EP Ava Bm en 2011.
Jeux vidéo
Dans Halo 3, l'Arbiter fait mention de cette expression, lorsque, après avoir tué le Haut Prophète de la Vérité et vaincu les Covenants, le Major et l'Arbiter se retrouvent confrontés au Parasite.
Dans le jeu Smite des studios Hi-Rez, Charybde et Scylla font partie du panthéon des dieux accessible aux joueurs.
L'un des succès du jeu vidéo Call of Duty: Modern Warfare 2 s'intitule De Charybde en Scylla et s'obtient en finissant le niveau L'ennemi de mon ennemi...
Origine de la locution
Les marins antiques devant emprunter ce passage étaient confrontés à une alternative : passer par Charybde ou passer par Scylla, et donc « choisir entre Charybde et Scylla ».
La formule connue « tomber de Charybde en Scylla » semble avoir été ancrée dans la langue par Jean de La Fontaine avec sa fable La Vieille et les deux Servantes où la mise en place de l'expression tient peut-être davantage de l'harmonie du vers. Il avait été pourtant devancé par Gautier de Châtillon dans son roman latin de l'Alexandréide, avec la mention : « …incidit in Scyllam cupiens vitare Charybdim… » (il tombe sur Scylla en voulant éviter Charybde).
Victor Bérard, Nausicaa et le retour d'Ulysse : Les navigations d'Ulysse, t. IV, Paris, Armand Colin,
(en) Ernle Bradford, Ulysse found, Londres, Hodder and Stoughton,
Michael Grant et John Hazel (trad. Etienne Leyris), Dictionnaire de la mythologie [« Who’s Who in classical mythology »], Paris, Marabout, coll. « Savoirs », (ISBN2-501-00869-3), p. 87 et 321.