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Le cartésianisme s'est particulièrement manifesté à travers le premier ouvrage philosophique publié en langue française, le célèbre Discours de la méthode (1637), sous-titré « pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences ».
Pour bien comprendre les caractéristiques de la philosophie de Descartes, il est nécessaire de revenir sur le contexte dans lequel cette philosophie a été élaborée.
Les plus grands scientifiques et philosophes de l'époque échangeaient sur ces questions à travers des réseaux de correspondance qui s'organisaient autour de quelques personnalités (Marin Mersenne, Peiresc). Marin Mersenne, qui rassembla les objections sur les méditations sur la philosophie première auprès des plus grands esprits de cette époque, avait publié quelques années auparavant (1623) un ouvrage intitulé Questions sur la Genèse, dans lequel il critiquait violemment la Kabbale chrétienne et Pic de la Mirandole, ouvrage auquel répondit Jacques Gaffarel.
Le discours de la méthode (1637), premier ouvrage purement philosophique de Descartes, et un des premiers ouvrages philosophiques écrits en langue française, après notamment Cours complet de philosophie, 1602, de Scipion Dupleix, a été écrit quelques années plus tard[1].
Caractéristiques générales
Grosso modo, la philosophie cartésienne repose sur quelques postulats simples que l'on peut résumer de la façon suivante :
Étant donné son origine, qui est basée sur la vision du monde du XVIIe siècle, le cartésianisme est assez proche du mécanisme, qu'il a engendré après la confirmation des hypothèses sur le mouvement des planètes effectuée grâce au formalisme mathématique élaboré par Newton.
Principaux philosophes qui se sont réclamés du cartésianisme
Aux Pays-Bas
La diffusion de la pensée cartésienne a pour foyer la Hollande où Descartes vécut de 1628 à 1649. Les principaux représentants du cartésianisme hollandais furent :
Henri Le Roy dit Regius (1598-1679), disciple remuant et encombrant avec qui Descartes rompit en 1647 ;
Nicolas Malebranche (1638-1715), un des premiers zélateurs de la pensée cartésienne[2] ;
Au XVIIIe siècle, des médecins matérialistes, comme La Mettrie (1709-1751), se réclameront de Descartes.
À la mort de Descartes, ses papiers furent confiés à Clerselier qui assurera par ailleurs l'édition posthume de nombreux ouvrages dont notamment le Traité de l'Homme (1664).
En Italie
Les principaux représentants du cartésianisme italien furent :
Si l'on excepte les philosophes qui se sont déclarés du cartésianisme, les contemporains
de Descartes ont souvent reçu assez fraîchement cette philosophie, en particulier les principes métaphysiques exposés dans les Méditations métaphysiques :
Leibniz avait une conception de la substance assez différente de celle de Descartes.
John Locke s'opposait aux spéculations cartésiennes sur la nature de l’âme et ses rapports avec les mouvements physiologiques.
Certaines personnalités aux Pays-Bas trouvaient que la philosophie de Descartes était un pélagianisme.
Blaise Pascal n'était pas d'accord non plus avec Descartes, estimant que cette philosophie pouvait mener au déisme[3].
Spinoza divergeait sur bon nombre de questions dont l'approche cartésienne de la métaphysique et de la liberté. Spinoza définit Dieu comme un être infini, cause de soi et cause immanente, et non transitive, de toutes choses[4] Par conséquent, contrairement à Descartes, Spinoza refuse à l’esprit humain et donc à l’homme le statut de substance hors de Dieu: "L'homme n'est pas un empire dans un empire"[5].
Raisonnement analytique
Pour Descartes, « il n’y a pas d’autres voies qui s’offrent aux hommes, pour arriver à une connaissance certaine de la vérité, que l’intuition évidente et la déduction nécessaire » (XIIe règle).
Dans le Discours de la méthode (1637), Descartes fonde le raisonnement analytique sur « quatre préceptes »[6] :
« Le premier étoit de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerois, en autant de parcelles qu’il se pourroit, et qu’il seroit requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connoître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connoissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »
Le fait est que dans un monde complexe, et en interaction permanente, toute intuition n'est pas évidente. La pensée cartésienne reste très analytique, et manque du caractère holistique qui est aujourd'hui nécessaire pour résoudre des problèmes globaux, en systémique par exemple. L'esprit « cartésien » peut ainsi faire trop appel à une forme déductive de raisonnement, et pas assez à son intuition et à l'induction.
Critiques contemporaines en rapport avec la crise écologique
La crise écologique globale amène les contemporains à réévaluer certains aspects de la pensée de Descartes, passés relativement inaperçus jusqu'à aujourd'hui, comme ce passage de la Sixième partie du Discours de la méthode :
« […] Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles[7], on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous pourrions les employer de la même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
Jean Bastaire estime que cette philosophie a conduit les Occidentaux à une mentalité d'exploitant, alors que la vocation de l'homme est plutôt d'être un intendant ou un gérant[8].
Le théologien catholique Fabien Revol pense que Lynn White critique la façon dont le christianisme occidental a reçu une interprétation cartésienne du premier chapitre du livre de la Genèse, avec ce que cela implique en ce qui concerne la relation au monde naturel[9].
Critiques contemporaines dans le domaine des neurosciences
Le neuroscientifique américain Antonio Damasio a avancé l'hypothèse, à partir de l'étude de patients, selon laquelle l'émotion participait à la raison et qu'elle pouvait assister le processus du raisonnement, notamment dans le comportement social et la prise de décision[10]. Ses études, jointes à celles du psychologue Daniel Goleman et d'autres scientifiques, ont fait progresser les connaissances sur l'intelligence émotionnelle.
Postérité
Au XIXe siècle, certaines idéologies, comme le courant saint-simonien issu de Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon et le positivisme d'Auguste Comte se sont réclamés les successeurs de Descartes. Victor Cousin crée la mythologie selon laquelle Descartes incarne l'esprit français (France cartésienne faite de courage et de générosité). Désiré Nisard contribue à diffuser cette mythologie : « Le cartésianisme est un fruit du sol, une œuvre qui, dans le fond et dans la forme, est profondément et exclusivement française »[11].
Le Discours de la méthode n'est que la préface à trois traités importants : la Dioptrique, où Descartes a exposé sa théorie du mouvement et du choc ; les Météores, avec une théorie de l'arc-en-ciel ; et enfin la Géométrie, qui pose les bases de la géométrie algébrique.
Meditationes de prima philosophia, (Méditations métaphysiques) 1641, avec VI séries d'Objections; (deuxième édition avec les VII Objections: 1642); traduction française par le Duc de Luynes 1647
↑Réunion du groupe X-environnement à la Maison des Polytechniciens, mercredi 13 juin 2007
↑Fabien Revol, « Le pape et les sciences dans la lettre encyclique Laudato si’ », Histoire, monde et cultures religieuses, 2016/4 (n° 40), p. 71-80. DOI : 10.3917/hmc.040.0071., lire en ligne
↑François Azouvi, Descartes et la France : histoire d'une passion nationale, Éd. Fayard, 2002
↑Fabien Revol, Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Parole et silence, 2015, p. 106-112
Bibliographie
Delphine Antoine-Mahut, L'autorité d'un canon philosophique. Le cas Descartes, Paris: Vrin, 2021.
Francisque Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne (2 volumes) Paris: Durand 1854 (reprint: BiblioBazaar 2010).
Eduard Jan Dijksterhuis, Descartes et le cartésianisme hollandais. Études et documents Paris: PUF 1951.
Paul Mouy, Le Développement de la Physique Cartésienne 1646-1712, Paris: Vrin 1934.
Tad M. Schmaltz (éd.), Receptions of Descartes. Cartesianism and Anti-Cartesianism in Early Modern Europe New York: Routledge 2005.
Richard A. Watson, The Downfall of Cartesianism 1673-1712. A Study of Epistemological Issues in Late 17th Century Cartesianism The Hague: Martinus Nijhoff 1966.
Voir aussi
Articles connexes
Sur Descartes
Descartes, distinction entre le doute méthodique et le doute hyperbolique