Illustration par le zoologiste allemand Jacob Hübner.
Chenille, illustration par Nemos, 1895.
Papillon
L'imago de l'Apollon est un grand papillon d'une envergure de 6 à 9 cm[1]. Le corps est velu chez le mâle, comme tous les papillons du genre Parnassius. Les ailes présentent des dessins et ocelles noirs et rouges sur un fond blanc à crème présentant une suffusion grise variable (souvent plus marquée chez la femelle) et l'extrémité de l'aile antérieure, dépourvue d’écailles, paraît translucide. Les ailes antérieures présentent plusieurs taches noires, les ailes postérieures présentent deux ocelles rouges ou orange cernés de noir et pupillés de blanc. Sur le verso, toujours uniquement sur les ailes postérieures, les ocelles peuvent être jusqu'à neuf, aussi colorés de rouge que sur le recto.
Les sous-espèces et certaines populations présentent des différences : couleur très blanche en Scandinavie, très fumée de gris dans les Pyrénées centrales, ocelles des ailes postérieures jaunes à orange en Espagne, très rouges dans les Vosges et le Jura.
L'espèce hiverne sous forme d’œufs qui éclosent au début du printemps (mars). La chenille est d’un noir velouté avec deux lignes longitudinales de points jaunes. La tête est difficilement discernable, on la remarque surtout lorsque qu’elle fait jaillir son osmeterium. Lorsqu’elle est inquiétée, elle se laisse tomber au sol et s’enroule. Elles se nourrissent à découvert sur les feuilles d’orpin ( Sedum album ) À la fin du dernier stade larvaire, vers mai-juin, elles tissent un cocon lâche légèrement enterré ou placé sous les herbes sèches, formant une chrysalide. La nymphose (transformation en papillon adulte) dure de dix jours à plusieurs semaines.
Biologie et écologie
Phénologie
Il y a une génération par an. L’éclosion des mâles précède généralement celle des femelles. La période de vol varie en fonction des régions et de l’altitude. Elle s’étend de juin, parfois mai, à août, parfois septembre dans les localités les plus hautes.
Lorsqu'il est dérangé par temps froid, l'Apollon d’un coup découvre les quatre ocelles rouges de ses ailes postérieures, en émettant un son crissant tout en en frottant vivement ses pattes contre la base de ses ailes. Il dort seul, ou bien en groupe. Les mâles, qui apparaissent avant les femelles, se déplacent autour des larves, afin de localiser une jeune femelle pour la féconder[3].
Les papillons adultes ne volent que par temps nettement ensoleillé. Ils préfèrent le nectar des fleurs violacées dans les champs (centaurées et chardons divers, scabieuses…), mais peuvent également se nourrir d’autres fleurs des pelouses.
L'Apollon peuple, entre 400 m et 2 500 m, la plupart des massifs montagneux d'Europe, de l'Espagne au sud de la Fennoscandie jusqu'aux Balkans et en Grèce, dont le nord-ouest du Péloponnèse.
En France, on le rencontre principalement entre 1 000 et 2 000 m, jusqu'à 2 300 m dans les Alpes du Sud, mais des populations dites "abyssales" vivent vers 400–600 m. dans le Vaucluse.
Il a disparu de nombreuses régions, cependant sa présence est confirmée dans les Pyrénées, le Massif central et les Alpes, du département du Doubs à celui du Var[5],[6].
Habitats
L’Apollon est inféodé aux climats de montagne ou continentaux d'Europe continentale et d'Asie centrale. Cette espèce a besoin de conditions climatiques précises (froid l'hiver, ensoleillé l'été). Elle exige aussi des espaces grandement ouverts (dont le recouvrement arbustif est inférieur à 5 %) et dont la surface de pelouse est important (50 % au moins) : on trouve donc l'Apollon dans les prés fleuris. La présence des plantes grasses nourricières des chenilles demeure un élément déterminant.
P. apollo est l'espèce type pour le genreParnassius. Les auteurs qui divisent ce dernier en sous-genres placent donc P. apollo dans le sous-genre nominal, ce qui permet d'écrire son nom comme Parnassius (Parnassius) apollo.
Parnassius apollo arvernensis f. planeixi Eisner, 1964 [11]
Phylogenèse
Le genre Parnassius, dont les chenilles utilisent des Crassulaceae (exceptionnellement des Saxifragaceae), s'est séparé très anciennement des autres lignées qui, elles, utilisent d'autres plantes-hôtes[12].
Espèce répandue en Europe occidentale durant les périodes glaciaires, l'Apollon est une « relicte glaciaire », c'est-à-dire une espèce se retirant sous l'effet du réchauffement soit vers le nord, soit en altitude.[réf. nécessaire]
La variabilité de l'Apollon a conduit à en décrire de nombreuses sous-espèces.
Pour la France
Helmut Glabl, en 2005, en distingue vingt-cinq : une pour les Vosges, une pour le Jura, douze pour les Alpes, six pour le Massif central et cinq pour les Pyrénées.
Roger Verity, en 1952, n'en dénombrait que dix-neuf : une pour les Vosges, deux pour le Jura, huit pour les Alpes, cinq pour le Massif central et trois pour les Pyrénées.
Une liste réduite de seize sous-espèces était proposée en 1978-1980 par Capdeville : une pour les Vosges, une pour le Jura, huit pour les Alpes (dont deux originaires d'Italie pouvant voler en France), quatre pour le Massif central et deux pour les Pyrénées.
Lerault, en 1997, réduisait ce nombre à dix : une pour les Vosges, deux pour le Jura, trois pour les Alpes, trois pour le Massif central et une pour les Pyrénées.
Une autre réduction, à huit sous-espèces, était opérée par J.-C. Weiss en 2005 : une pour le Jura (Parnassius apollo nivatus Fruhstorfer, 1906), quatre pour les Alpes (Parnassius apollo venaissinus Fruhstorfer, 1921; Parnassius apollo provincialis Kheil, 1905; Parnassius apollo leovigildus Fruhstorfer, 1909; Parnassius apollo geminus Stichel, 1899), deux pour le Massif central (Parnassius apollo lioranus Fruhstorfer, 1921; Parnassius apollo lozerae Pagenstecher, 1909) et une pour les Pyrénées (Parnassius apollo pyrenaicus Harcourt-Bath, 1896).
Dans cette logique Xavier Mérit et Véronique Mérit, en 2006, poursuivent plus loin dans les regroupements, la liste qu'ils proposent se limitant à 5 sous-espèces :
Parnassius apollo geminus Stichel, 1899 présent dans les Alpes
Parnassius apollo lioranus Frushstorfer, 1921 présent dans le Massif central
Parnassius apollo nivatus Frushtorfer, 1906 présent dans les Vosges et le Jura
Parnassius Apollo provincialis Kheil, 1905 aussi présent dans les Alpes
Parnassius apollo pyrenaicus H Harcourt-Bath, 1896 présent dans les Pyrénées.
Certaines sous-espèces ont disparu comme :
Parnassius apollo peyrimhoffi qui existait en Alsace
Parnassius apollo apollo (Linnaeus, 1758) présent dans les plaines méridionales de la Suède dont la chenille se nourrit principalement d'Hylotelephium telephium, mais également d'orpin blanc (Sedum album). Les grands ocelles de ses ailes arrière présentent des reflets blancs.
Parnassius apollo filabricus (Sagarra) 1933, en Espagne, éteinte dans la Sierra de los Filabres, vers 2 000 mètres. Danger critique d'extinction dans le Parc naturel de la Sierra de Baza.
Parnassius apollo gadorensis (Rougeot & Capdeville 1969), en Espagne, entre 1 900 et 2 000 mètres d'altitude dans la Sierra de Gádor. Éteint.
Parnassius apollo hispanicus Oberthür, 1909 en Espagne entre 1 600 et 1 800 mètres d'altitude dans la Sierra de Albarracín en Aragon. Les mâles sont clairs et n'ont que de petits ocelles alors que les femelles sont, comme toutes les autres en Espagne, recouvertes d'une poussière sombre.
Parnassius apollo linnei, dans l'île de Gotland, en Suède.
Parnassius apollo nevadensisOberthür 1891 en Espagne dans la Sierra Nevada entre 1 950 et 2 500 mètres. Les imagos de ces populations sont de plus en plus petit avec l'altitude.
Parnassius apollo pumilus (Stichel 1906) la plus petite de toutes les sous-espèces, est originaire de l’Aspromonte en Calabre, dans le sud de l'Italie. La plante hôte de ses chenilles est le Sedum tenuifolium, et son habitat se limite à une végétation clairsemée entre 1200 à 1 900 mètres d'altitude. Les ailes des mâles sont claires avec de petites taches et des ocelles lumineux, tandis que les femelles sont fumées de sombre.
Parnassius apollo rhodopensis (Markovic 1909). Cette sous-espèce présente en Bulgarie fait la liaison entre les sous-espèces de la Turquie du Nord et celles des Balkans. Elle porte des taches qui la distinguent et les femelles ont un double reflet dans l’ocelle inférieur.
Parnassius apollo virginensisStichel 1899, en Allemagne proche de Parnassius apollo meridionalis présent dans les Vosges.
et autres.
Les trois sous-espèces espagnoles Parnassius apollo nevadensis, Parnassius apollo filabricus et Parnassius apollo gadorensis, très étroitement apparentées, se distinguent à peine. Chez les deux sexes, les ocelles sont jaune-orangé au lieu de rouge. Les femelles sont recouvertes d'une poussière sombre et portent souvent une tache jaune-orangé sur leur bord antérieur ainsi qu'une tache anale. Comme dans toutes les sous-espèces espagnoles, les ailes antérieures des papillons fraîchement éclos sont nettement tachetées de noir. Leurs chenilles se nourrissent de Sedum : Sedum amplexicaule, Sedum micranthemum et Sedum acre (orpin âcre)[14],[15].
Dans le reste de son aire de répartition
Parnassius apollo alpherakyii (Krulikowsky, 1906), en Asie centrale.
Parnassius apollo democratus (Kulikowsky, 1906) dans les plaines de Russie occidentale
Plusieurs langues, dont le français, utilisent un nom vernaculaire faisant référence, comme l'épithète spécifique latine, au dieu grec des arts Apollon.
On trouve ainsi :
L'Apollon est inscrit sur la liste des insectes strictement protégés de l'annexe 2 de la Convention de Berne, sur la liste des insectes menacés d'extinction des annexes 2 et 3 de la Convention de Washington du , sur la liste des insectes strictement protégés de l'annexe IV de la Directive Habitats du Conseil de l'Europe concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages du [17]
En France, l'Apollon est sur la liste rouge des insectes de France métropolitaine (arrêté du fixant la liste des insectes protégés sur le territoire national). Il a été inscrit sur la liste mondiale de l'UICN depuis 2008.
Espèce protégée en France, l'Apollon est en régression partout dans les localités les plus basses. Cette régression peut être expliquée par l'abandon des pratiques pastorales et la fermeture des milieux.
Espèce montagnarde, le réchauffement climatique peut également devenir un facteur de disparition des populations qui ne pourraient trouver de refuge plus en altitude telle que les populations, en France, du Jura ou du Massif central[18].
L'Apollon a ainsi déjà disparu des Vosges où des tentatives de réintroduction ont échoué, ainsi que dans le Forez et la Sainte-Baume. De semblables efforts dans le Puy-de-Dôme ont par contre connu le succès.
L'Apollon est également éteint ou est en voie de disparaître en Allemagne, Finlande, Norvège, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Suède et Tchéquie. Il est absent des îles Britanniques et des îles méditerranéennes mais vole en Sicile.
L'écrivain et philosophe français Roger Caillois, particulièrement intéressé par la variabilité de l'Apollon, l'a évoqué dans ses études sur l'esthétique[19]. L'Apollon, selon lui, « démontre avec éclat que la nature n'est jamais un moule, qu'elle ne saurait connaître la reproduction mécanique, qu'elle ne se répète pas ». Poursuivant sa rêverie, il se demande « si le caractère variable d'un papillon, quand ce caractère est aussi marqué qu'il est chez le Parnassius, n'est pas une preuve actuelle de l'existence d'une pareille et plus grande plasticité aux jeunes époques du monde. (…) Ensuite seulement vint l'ordre, c'est-à-dire la fixité des espèces (…) »
Notes et références
↑Collectif (trad. Michel Beauvais, Marcel Guedj, Salem Issad), Histoire naturelle [« The Natural History Book »], Flammarion, , 650 p. (ISBN978-2-0813-7859-9), Apollon page 296
↑Michael Chinery (trad. Patrice Leraut), Photoguide des papillons d'Europe, Delachaux et Niestlé, coll. « Les photo-guides du naturaliste », , 676 p. (ISBN978-2-603-01114-0)
↑Edwin Möhn: Papilionidae XII: Parnassius apollo. Text. In: Erich Bauer et Thomas Frankenbach (Éd.): Schmetterlinge der Erde, Tagfalter. 23, Goecke & Evers, Keltern 2005, (ISBN3-937783-16-4).
Tristan Lafranchis, Les papillons de jour de France, Belgique et Luxembourg et leurs chenilles, Biotope, coll. « Parthénope », (ISBN978-2-9510379-2-2).
Pro Natura — Ligue Suisse pour la Protection de la Nature, Les papillons de jour et leurs biotopes : Espèces • Dangers qui les menacent • Protection. Volume 1, , 516 p. (ISBN9783855874033).
Michael Chinery et P.Leraut, Photo-guide des papillons d'Europe, Lausanne Paris, Delachaux et Niestle, coll. « Les photo-guides du naturaliste », , 679 p. (ISBN978-2-6030-1114-0, OCLC489651896).
Tom Tolman et Richard Lewington, Papillons d'Europe et d'Afrique du Nord, Delachaux et Niestlé, (ISBN978-2-603-02045-6).
Bernard Turlin et Luc Manil, Étude synoptique et répartition mondiale des espèces du genre "Parnassius" Latreille 1804 ("Lepidoptera Papilionidae"), Lépidoptéristes parisiens et Luc Manil, Paris, 2005 (ISBN295254400X) [80 pages, cartes des répartitions, 14 planches de photographies].
Les Parnassius de France, textes de Xavier Mérit-Véronique Mérit et Henri Descimon, cartes de répartition, planches, et photos en nature de Luc Manil, Xavier Mérit et Bernard Turlin, bibliographies, Bulletin des Lépidoptéristes parisiens, Volume 15 (2006), no 33 (numéro thématique), Paris, (56 pages).