À l’origine de l’annexion, se trouve avant tout la volonté de Napoléon III d'aider l'Italie à faire son unité dans le but de contenir l’Autriche. Pour éviter, cependant, de créer un État unifié potentiellement dangereux juste à côté de la France, l’empereur réclame en échange de son aide, le duché de Savoie et le comté de Nice, qui constituent deux régions stratégiques importantes sur le plan militaire[2].
Le principe de cet échange est établi en 1858, lors des accords de Plombières, entre Napoléon III et Cavour, même si ce dernier a tenté ensuite de « sauver Nice »[3]. Le traité de Turin, le , entérine le changement de souveraineté de la ville. La population niçoise semble tout d'abord assez réticente. Lors des élections législatives de , les deux députés élus par Nice au parlement de Turin, Giuseppe Garibaldi et Charles Laurenti Robaudi, sont farouchement opposés à l'annexion[4]. La presse locale se divise : les journaux la Gazette de Nice et Il Nizzardo sont contre le changement de souveraineté tandis que L’Avenir de Nice lui est favorable.
Le roi Victor-Emmanuel II, le 1eravril1860, demande solennellement à la population d’accepter le changement de souveraineté, au nom de l'unité italienne[5]. Des manifestations italophiles et l’acclamation de « Nice Italienne » par la foule sont rapportées en cette occasion[6]. Ces manifestations ne peuvent pas influencer le déroulement des événements. Un plébiscite est voté les 15 et 16avril1860. Les adversaires de l'annexion appellent à s'abstenir, d'où le taux d’abstention très important. Le « oui » emporte 83 % des inscrits dans l'ensemble du comté de Nice et 86 % à Nice, en partie grâce à la pression des autorités (curés, syndics, fonctionnaires)[3]. C'est le résultat d'une magistrale opération de contrôle de l'information par les gouvernements français et piémontais, afin d'infléchir le résultat du vote aux décisions déjà prises[7]. Les irrégularités dans les opérations de vote par plébiscite étaient évidentes. Le cas de Levens est emblématique : les mêmes sources officielles ont enregistré, pour seulement 407 électeurs, 481 suffrages exprimés, naturellement presque tous favorables au rattachement à la France[8]
Le territoire de Nice est officiellement cédé à la France le . Le département des Alpes-Maritimes, deuxième du nom, est créé par l'addition du comté de Nice et de l'arrondissement de Grasse. Le journal La Voce di Nizza est interdit. La langue italienne, auparavant langue officielle du Comté et utilisée à ce titre par l'Église, dans les théâtres et à l’Opera, à la mairie et enseignée dans les écoles, fut immédiatement supprimée et remplacée par le français[9],[10]. Les mécontentements consécutifs à l’annexion à la France entrainent l’émigration d'une grande partie de la population italophile, également accélérée par l'unification italienne après 1861. Un quart de la population niçoise, soit environ 11 000 personnes, décide de s'exiler volontairement en Italie[11]. Ce phénomène prit le nom d'exode niçois.
La catégorie sociale la plus lésée par l’annexion est incontestablement celle des hommes de loi qui, avec la suppression de la Cour d'appel, perdent une part très importante de leur clientèle. Les juristes niçois, qui ont fait leurs études à Turin, sont ainsi les principales victimes de l'annexion. De nombreux aristocrates, partisans de la maison de Savoie, quittent également Nice pour s'installer définitivement en Italie. Politiquement, les libéraux niçois et les partisans de Garibaldi apprécient en outre très peu l'autoritarisme napoléonien. Des éléments de droite (aristocrates) comme de gauche (garibaldiens) désirent donc le retour de Nice à l'Italie. Pour le général niçois d'origine génoise, en effet, sa ville natale est incontestablement italienne.
En 1871, lors des premières élections libres dans le Comté, les listes pro-italiennes obtiennent la quasi-totalité des suffrages aux élections législatives (26 534 voix sur 29 428 suffrages exprimés), et Garibaldi est élu député. Les pro-italiens descendent dans la rue en acclamant «Viva Nizza ! Viva Garibaldi !». Le gouvernement français envoie 10 000 soldats à Nice, ferme le journal Il Diritto di Nizza et emprisonne plusieurs manifestants. La population de Nice se soulève du 8 au 10 février et les trois jours de manifestation prennent le nom de « Vêpres Niçoises ». La révolte est réprimée par les troupes françaises. Le 13 février, Garibaldi, qui s'était vu refuser la parole devant le parlement français réuni à Bordeaux pour demander de nouveau le rattachement de Nice à l’Italie, démissionne de son poste de député[12]. L'échec des Vêpres entraîne l'expulsion des derniers intellectuels pro-italiens de Nice, comme Luciano Mereu ou Giuseppe Bres, qui sont expulsés ou déportés.
Le mouvement irrédentiste pro-italien persiste tout au long de la période 1860-1914, malgré la répression depuis l’annexion. Le gouvernement français met en œuvre une politique de francisation de la société, de la langue et de la culture[13]. Les toponymes des communes de l'ancien Comté sont francisés, ainsi que certains patronymes. Les journaux en langue italienne à Nice sont interdits. En 1861, La Voce di Nizza ferme ses portes (rouvert temporairement pendant les Vêpres Niçoises), suivi de Il Diritto di Nizza, fermé en 1871[12]. En 1895, c'est au tour de Il Pensiero di Nizza, accusé d'irrédentisme. De nombreux journalistes et écrivains niçois ont écrit dans ces journaux en langue italienne. Parmi ceux-ci figurent Enrico Sappia, Giuseppe André, Giuseppe Bres, Eugenio Cais di Pierlas.
Au XXIe siècle, l’annexion reste critiquée ou remise en cause par certains autonomistes ou indépendantistes niçois. Par exemple, la Ligue pour la restauration des libertés niçoises (LRLN) fondée par l’historien Alain Roullier, la qualifie de « scélérate »[14].
Pour Paul-Louis Malausséna, directeur de la revue Nice-Historique, lors du plébiscite, les bulletins « non » n’étaient comptabilisés que si les votants fournissaient une « explication verbale » aux soldats français[15]. Les habitants du comté de Nice ne parlaient pas le français mais le niçois, sauf peut être les Gordolon de la Gordolasque di Gordo qui protégeaient Nice de ses ennemis français[15].
Le , de Genève, Alain Roullier-Laurens, pour la LRLN et Jean de Pingon, fondateur de la Ligue savoisienne, ont signé une déclaration commune relative à l’abrogation du traité de Turin, qui cédait Nice et la Savoie à la France, ils ont adressé ce texte à tous les ambassadeurs des puissances signataires du traité de paix de 1947, accrédités en Suisse, afin qu’ils le transmettent à leurs gouvernements.
Après avoir exposé les motifs juridiques de l’abrogation du traité de Turin, du fait du non-respect par la France de l’article 44 du traité de paix de 1947, « ils demandent, qu'en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une consultation électorale soit organisée par l’ONU dans ces deux pays, afin que les Niçois et les Savoisiens puissent librement décider de leur destin[16]. »
Le , un député UMP de la Loire a déposé une question écrite aux deux ministres concernés, à propos de l’abrogation du traité de Turin et des conséquences internationales qui pourraient en résulter[17].
Notes et références
↑Paul Guichonnet, Histoire de l'annexion de la Savoie à la France, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2003, 352 pages. Un chapitre est consacré à l'annexion de Nice.
↑Paul Guichonnet, Histoire de l’annexion de la Savoie à la France, p. 151.
↑(en) Paul Gubbins and Mike Holt, Beyond Boundaries: Language and Identity in
Contemporary Europe, , p. 91-100
↑(it) Fulvio Peirone, Per Torino da Nizza e Savoia. Le opzioni del 1860 per la cittadinanza torinese da un fondo dell'archivio storico della città di Torino, Turin,
↑ a et bHenri Courrière, « Les troubles de février 1871 à Nice », Cahiers de la Méditerranée,
↑(en) Paul Gubbins and Mine Holt, Beyond Boundaries: Language and Identity in Contemporary Europe, , p. 91-100
↑« FICHE QUESTION », sur assemblee-nationale.fr (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
Collectif, Vive la France. Regards croisés sur l'union du comté de Nice à la France, 1860-1947, Nice, éditions Serre, 2010, 175 p.
Henri Courrière, Le comté de Nice et la France. Histoire politique d'une intégration, 1860-1879, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, 398 p., notamment le chapitre I, "Changer de patrie. L'annexion de 1860" (https://books.openedition.org/pur/50305).
Paul Gonnet, La réunion de Nice à la France, Breil-sur-Roya, Éditions du Cabri, 2003, 343 p.
Paul Guichonnet, Histoire de l'annexion de la Savoie à la France, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2003, 352 p.
Sylvain Milbach (dir.), 1860. La Savoie, la France, l'Europe. Actes du colloque de l'Université de Savoie, 22-, Bruxelles, Peter Lang, 2012, 562 p. (articles de Marc Ortolani et Simonetta Tombaccini Villefranque).
Gustavo Mola di Nomaglio, Nazionalità, identità e ragion di stato. La cessione di Nizza e Savoia alla Francia, Torino, Marco Valerio Edizioni, 2011, 636 p., (ISBN978-88-7547-297-9).
Gustavo Mola di Nomaglio, Italo Pennaroli, Roberto Sandri-Giachino, « Come Torino visse la cessione di Savoia e Nizza », Studi Piemontesi, vol. 39, fasc. 1, 2010, 38 p.
Fulvio Peirone, Per Torino da Nizza e Savoia. Le opzioni del 1860 per la cittadinanza torinese da un Fondo dell'Archivio Storico della Città di Torino, a cura di Gian Savino Pene Vidari e Rosanna Roccia, premessa Giovanni Maria Ferraris ; contributi di Paola Casana, Bénédicte Decourt Hollender, Enrico Genta, Gustavo Mola di Nomaglio, Gian Savino Pene Vidari, Rosanna Roccia, Michele Roscboch e Olivier Vernier Torino, Centro Studi Piemontesi, 2011, Torino, Centro Studi Piemontesi, 2011, VIII, 460 p., [16] p. di tav. : ill., (ISBN978-88-8262-178-0)
Alain Ruggiero (dir.), Nouvelle histoire de Nice, Toulouse, Privat, 2006, 383 p.
Ralph Schor (dir.), Dictionnaire historique et biographique du comté de Nice, Nice, Serre, 2002, 412 p.
Ralph Schor, Henri Courrière (dir.), Le comté de Nice, la France et l'Italie. Regards sur le rattachement de 1860. Actes du colloque organisé à l'université de Nice Sophia-Antipolis, , Nice, éditions Serre, 2011, 175 p.