La confrontation entre l'équipe d'Angleterre et l'équipe d'Écosse constitue le plus ancien rendez-vous international du rugby à XV. Considérée comme la plus grosse rivalité au sein du Tournoi britannique (ou Home Nations), puis du Tournoi des Cinq Nations et aujourd'hui du Tournoi des Six Nations, le vainqueur reçoit la Calcutta Cup depuis 1879.
Les deux nations se sont affrontées à 142 reprises dont deux fois en Coupe du monde. Les Anglais ont remporté 75 rencontres contre 46 pour les Écossais et 21 matchs nuls.
Histoire
Création des fédérations et premier match international
Dans un contexte de tensions sociales au sein des public schools, le sport est un bon exutoire pour les étudiants, et la plupart des écoles d'Angleterre et d'Écosse possèdent leur propre version du jeu de football[1]. C'est ainsi que le rugby apparaît dans les années 1820, la légende[a] voulant que William Webb Ellis, étudiant du lycée de la ville de Rugby, se soit emparé en du ballon avec la main en plein match de football, alors que c'était strictement interdit[3], ce qui est considéré par beaucoup comme l'acte fondateur du rugby football[b],[4].
Lors des décennies suivantes, plusieurs variantes apparaissent dans différentes écoles et l'enjeu est d'uniformiser les règles à la manière des Lois du jeu ; les anciens élèves de Rugby parviennent à officialiser les premières règles, étant « plus profondément ancrés dans la mémoire de ce siècle de football que les anciens élèves de toutes [les] autres public schools réunies[c] » et ayant écrit des règles avant toutes les autres écoles[5]. Si cela permet un meilleur développement du jeu, les variantes existent toujours et d'intenses et clivants débats ont lieu sur le hacking (la possibilité de porter intentionnellement un coup de pied au tibia d'un joueur qui porte le ballon ou d'écrouler une mêlée ou un maul de la même manière[6],[7],[8]), menant à une séparation des clubs pro et anti-hacking[d],[e], et in fine, pratiquement chaque club naissant dans le royaume crée sa propre variante[10].
Le rugby se développe à partir de 1850 au pays de Galles, au Lampeter College, en Irlande, au Trinity College, dont le club de l'université de Dublin, le Trinity Club, peut être considéré comme le plus ancien club de rugby encore actif du monde, et en Écosse, où le rugby est introduit en 1854 à l'Edinburgh Academy par les Écossais Francis et Alexander Crombie, étudiants de l'école de Durham[10],[11]. Selon Richards, « des différences en termes de géographie et de culture ont fait que l'école écossaise s'est développée plus rapidement que l'anglaise[f] ». En effet, tandis que les écoles anglaises ne s'affrontent pas beaucoup, préférant jouer leurs propres règles, et ce jusqu'à la fin des années 1890, les Écossais se concentrent autour des écoles d'Édimbourg et Glasgow, notamment l'Edinburgh Academy, l'école Loretto, l'école Merchiston Castle et le Fettes College, toutes quatre à Édimbourg[12],[13]. N'ayant pas le bagage historique des écoles anglaises, elles sont moins attachées à des règles qui leur seraient propres et s'alignent assez rapidement[12]. Ainsi, Hely Hutchinson Almond, directeur de l'école Loretto, est à l'origine de la création du Comité des écoles d'Édimbourg, qui codifie les règles communes en se basant sur celles de Rugby et les publie dans un ouvrage intitulé Green Book[13].
Tandis que le football et ses différents codes et variantes s'étendent et se multiplient de par l'ensemble des colonies britanniques, le rugby s'établit comme l'un des deux codes principaux en Angleterre et en Écosse et devient même celui qui est préféré par la majorité des Écossais[7],[13],[14].
La Rugby Football Union se montre néanmoins « satisfaite de l'expérience malgré la défaite » et propose aux Écossais de mettre en place une rencontre annuelle entre les deux pays, qui serait jouée tour à tour en Angleterre et en Écosse. Le deuxième match a ainsi lieu au Kennington Oval de Londres le et voit l'Angleterre l'emporter 2 à 1 (3 essais à 0)[15],[16]. Le troisième match, joué à Hamilton Crescent de Glasgow le et qui s'achève sur un score nul et vierge, est surtout suivi le soir-même d'une réunion à la Glasgow Academy visant à créer une union (ou fédération) en Écosse, et c'est ainsi qu'est créée la Scottish Football Union[g],[17]. Cette confrontation entre deux nations est la seule jusqu'en 1875 et l'arrivée de l'Irlande[18].
En 1888, une sélection de joueurs britanniques est formée afin de réaliser une tournée en Australie et Nouvelle-Zélande pendant plusieurs mois, jouant plusieurs matchs suivant les règles de Rugby, ainsi qu'en retour quelques-uns d'après les règles australiennes. Elle est principalement constituée de joueurs d'Angleterre, mais également d'Écossais, de Gallois, et de Mannois[19]. En 1899, l'équipe rassemble pour la première fois des joueurs des quatre Home Nations, d'Angleterre, d'Écosse, du pays de Galles et d'Irlande[20] ; l'équipe est encore connue en tant qu' « English football team », soit l'équipe anglaise de football, démontrant la prépondérance de l'influence de l'Angleterre sur le rugby en ces décennies, malgré le caractère cosmopolite de la sélection[21]. Aucun joueur écossais ni irlandais ne sera néanmoins libéré par leurs fédérations respectives en 1908, celles-ci craignant en effet que le principe non professionnel de l'événement ne soit mis en péril par les coûts d'organisation[22].
Durant son histoire, la sélection britannique effectue des tournées régulières dans l'hémisphère sud, en Afrique du Sud, en Australie, et en Nouvelle-Zélande, affrontant ainsi lors des test matchs leurs équipes nationales, respectivement les Springboks, les Wallabies et les All Blacks[23]. L'équipe adopte officiellement le nom de Lions lors de la première tournée après-guerre, en 1924[24], tout d'abord en tant que « Lions britanniques », puis plus tard comme « Lions britanniques et irlandais ».
Alors que la première tournée de 1888 est originellement non officielle car organisée par des promoteurs privés, les suivantes sont tolérées par les quatre fédérations des Home Nations[25]. Afin de garantir le caractère amateur du rugby, ces tournées sont par la suite organisées conjointement par les fédérations d'Angleterre, d'Écosse, du pays de Galles et d'Irlande [26] ; la professionnalisation du rugby international, actée en 1995, ne freinera pas pour autant l'existence des Lions britanniques, ces derniers s'adaptant à ce nouveau statut[27].
Le jour de Noël1872, un match de rugby oppose à Calcutta, en Inde, une équipe de 20 joueursanglais et une équipe de 20 joueurs originaires du pays de Galles, d'Écosse et d'Irlande. Le Calcutta Football Club est ainsi créé et affilié à la Rugby Football Union (RFU) en 1874, mais tandis que le rugby est peu à peu abandonné à cause du climat peu propice, les membres du club créent une coupe qu'ils remettent à la RFU en 1878, avec la consigne de la faire disputer de façon annuelle. La RFU refuse de faire de la Calcutta Cup une compétition, considérant que cet esprit va à l'encontre de l'idéal de l'amateurisme, alors elle décide que le trophée serait remis au vainqueur d'un match annuel entre l'Angleterre et l'Écosse, qui la conserverait pendant un an. De ce fait, la première rencontre en 1879 entre ces deux nations donne à la Calcutta Cup son statut de « plus vieux trophée de la planète rugby », étant de plus toujours en vigueur aujourd'hui[8],[28],[29].
Par la suite, Anglais et Écossais poursuivent leur rencontre annuelle dans le cadre du Home Nations Championship, qui réunit ces deux nations ainsi que le pays de Galles et l'Irlande pour la première fois en 1882-1883. Cette compétition, également connue comme « Tournoi britannique », deviendra le Tournoi des Cinq Nations en 1910 avec l'intégration de la France puis le Tournoi des Six Nations en 2000 avec celle de l'Italie. La Calcutta Cup est ainsi remise tous les ans dans le cadre de cette compétition, avec seulement cinq interruptions : d'abord, les éditions 1885[h], 1888 et 1889 sont inachevées à cause de disputes entre les fédérations ; puis il y a deux longues interruptions dues aux guerres mondiales, entre 1915 et 1919 puis entre 1940 et 1946[17].
Le match entre l'Angleterre et l'Écosse de 1939 est devenu le tout premier match de rugby diffusé à la télévision, sur la chaîne britannique BBC[30].
La rivalité demeure égale au XXIe siècle, et la confrontation entre les deux pays — appelés Auld Enemies (anciens ennemis) — est toujours l'une des plus attendues de l'année[32],[33],[29],[34], y compris par les protagonistes. Ainsi Gregor Townsend, grand joueur écossais des années 1990-2000, confirme la valeur de cette rencontre : « C’est notre plus grand match chaque année, pour nos joueurs, mais aussi pour tout notre peuple[35]. »
Le , à l'occasion de la première journée du Tournoi des Six Nations 2021, l'Angleterre et l'Écosse s'affrontent à Twickenham et célèbrent le 150e anniversaire de leur première confrontation en 1871[36]. À cette occasion, les Anglais portent un maillot vintage reprenant les codes du maillot de 1871 ; les Écossais portent chacun le nom de l'un des joueurs ayant participé à ce premier match sur leur maillot, ainsi le capitaine de 2021 Stuart Hogg a porté celui de 1871 Francis Moncreiff[37]. Plusieurs activités sont organisées, comme des œuvres d'art commémoratives, une campagne sur les réseaux sociaux qui retrace l'évolution du rugby en Angleterre, un livre commémoratif ainsi que divers partenariats commerciaux[38].
« Avec le bénéfice de la perspective historique, on peut dire que le noyau de toute la structure d'un sport international est né de la vision d'un groupe d'Écossais qui voulaient simplement jouer au rugby[i]. »
— Alex Gordon, « The first international rugby match », 2013[17].
↑Aucun document historique ne permet de confirmer cette légende, si ce n'est un témoignage anonyme repris en 1880 par Matthew Bloxam, qui était à Rugby jusqu'en 1821. Thomas Hughes, auteur de Tom Brown's Schooldays, où le jeu de rugby est abondamment décrit, est arrivé dans la ville en 1834 et prétend que la légende Webb Ellis n'avait pas survécu jusqu'à cette année-là[2].
↑Le rugby football, soit littéralement le football de Rugby, désigne la variante du football qui s'est développée à la Rugby School, dans la ville de Rugby.
↑Citation originale : « Former Rugby pupils were 'more closely engrafted in the memories of the present century of football than the alumni of any of our other public schools' », dans le Football Annual de 1868 cité par Richards 2007, p. 30.
↑Le hacking est central dans l'évolution puis la séparation du dribbling game de la football association (qui deviendra le football) et du rugby football (qui deviendra le rugby puis le rugby à XV à partir de 1875-1877) : cette histoire est développée dans Garcia 1996, p. 77-82 et Kerr 2017.
↑Même l'édition de 1863 des Lois du jeu de football évoque cette possibilité de prendre le ballon à la main et le hacking : si attraper le ballon à la main de volée est autorisé et donne lieu à un coup franc, il est interdit de courir avec et d'attraper ou frapper son adversaire[6]. Bien avant, en 1846, les règles de Rugby précisent :
« XIII. Il n'est pas loyal de donner un coup de pied et de tenir en même temps. XXII. Un joueur debout à côté d'un autre peut saisir un bras seulement, mais peut lui donner un coup de pied s'il tente de botter la balle ou s'il va derrière la ligne de touche[9]. »
Cependant, en 1892, Arthur Guillemard, qui a joué ce premier match international et est alors président de la fédération anglaise, écrit que le hacking est moins dangereux qu'il n'y paraît et qu'il relève plus du croche-pied. Il relève néanmoins que le hacking effectué dans les mêlées l'est davantage[9].
↑Citation originale : « Differences in geography and culture meant that the Scottish school game developed more rapidly than the English[12]. »
↑Lors du match de 1884, les Anglais marquent un essai après une faute écossaise ; les Écossais s'arrêtent de jouer tandis que les Anglais vont à l'essai. La règle de l'avantage n'existe pas encore, et c'est le début de la Great Dispute des années 1880. L'Angleterre s'érige en garante des règles du jeu au prétexte qu'elle est la plus ancienne fédération, mais le pays de Galles et l'Irlande soutiennent l'Écosse tandis que le match entre Anglais et Écossais est interrompu pendant deux ans. Cette situation provoque la création de l'International Rugby Football Board en 1886[17].
↑Citation originale : « With the benefit of historical perspective it can be said that the kernel of the whole structure of an international sport came from the vision of a group of Scots who simply wanted to play a game of rugby[17]. »
↑Après cette rencontre, le vainqueur d'une rencontre n'est plus désigné au nombre de buts mais au nombre de points[40].
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) Elgan Alderman, « Scotland v England, 1871: The story of the first international rugby match », The Times, (lire en ligne).
Antoine Aymond et Nemer Habib, Matchs de légende du rugby mondial, Grenoble, Glénat, (ISBN978-2-344-01615-2).
(en) Richard Bath, The Scotland Rugby Miscellany, Londres, Vision Sports Publishing Ltd, , 152 p. (ISBN978-1-905326-24-2).
(en) Tony Collins, The Oval World : A Global History of Rugby, Londres/New Dehli/New York/Sydney, Bloomsbury, (ISBN978-1-4088-4371-0).
(en) Tom English, The Grudge : Two Nations, One Match, No Holds Barred, Édimbourg, Polaris Publishing, , 2e éd. (1re éd. 2011), 288 p. (ISBN978-1909715837).
(en) John Griffiths, The Phoenix Book of International Rugby Records, Londres, Phoenix House, (ISBN0-460-07003-7).
(en) Stephen Jones, Tom English, Nick Cain, David Barneset al., Behind the Lions : Playing Rugby for the British & Irish Lions, Édimbourg, Polaris Publishing, coll. « Behind the Jersey », , 4e éd. (1re éd. 2013), 467 p. (ISBN978-1913538170).
(en) Huw Richards, A Game for Hooligans : The History of Rugby Union, Édimbourg, Mainstream Publishing, , 2e éd. (1re éd. 2006), 317 p. (ISBN978-1-84596-255-5, lire en ligne).