Les premières occurrences de « l’écologie intégrale » sont recensées dans le mensuel Je suis Français, organe des royalistes marseillais d’Action française, dans deux articles de 1984[2]. Jean-Charles Masson y développe l'idée d'un écologisme inspiré du nationalisme intégral développé par Charles Maurras. L'auteur invoque l'importance d'un « réenracinement » de la France de sorte à « dénomadiser » culturellement le pays pour respecter la « nature éternelle », « seul moyen » de sa « renaissance »[2].
Les théologiens Michael E. Zimmermann et Sean Esbjörn-Hargens ont appliqué la théorie intégrale de Ken Wilber à l'écologie, pour introduire le concept d'« écologie intégrale » à la fin des années 1990. Il s'agit de réconcilier l'écologie humaine et l'écologie environnementale classique.
Le concept est introduit en France d’abord dans les milieux chrétiens, notamment catholiques, par Falk van Gaver en 2007 dans un article du magazine catholique L'Homme nouveau, intitulé « Pour une écologie intégrale »[3]. Il le reprend ensuite en 2011 dans son livre L'Écologie selon Jésus-Christ dans une approche chrétienne.
En France, Gaultier Bès de Berc, avec Marianne Durano et Axel Norgaard Rokvam, emprunte l'expression dans Nos limites, pour une écologie intégrale en 2014.
Le concept est utilisé à plusieurs reprises par Benoît XVI. Un concept similaire se trouve sous la plume du pape François dans son encyclique Laudato si' en 2015[4]. La Communauté Saint-Jean fonde l'Académie pour une écologie intégrale en 2017 à la suite de l'encyclique papale. Cette académie est située au sanctuaire Notre-Dame du Chêne près de Sablé-sur-Sarthe[5].
Description
Écologie à la fois naturelle et humaine
L'écologie chrétienne est une écologie intégrale, aussi bien humaine que naturelle. En effet, dans son message du , journée mondiale de la paix, le pape Benoît XVI a exprimé son attachement profond à une écologie authentique car complète[6] :
« Dans l'encyclique Centesimus annus, Jean-Paul II écrit : "Non seulement la terre a été donnée par Dieu à l'homme qui doit en faire usage dans le respect de l'intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l'homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté". C'est en répondant à cette consigne, qui lui a été donnée par le Créateur, que l'homme, avec ses semblables, peut donner vie à un monde de paix. en plus de l'écologie de la nature, il y a donc une "écologie" que nous pourrions appeler "humaine", qui requiert parfois une "écologie sociale". Et cela implique pour l'humanité, si la paix lui tient à cœur,, d'avoir toujours plus présents à l'esprit les liens qui existent entre l'écologie naturelle, à savoir le respect de la nature, et l'écologie humaine. L'expérience montre que toute attitude irrespectueuse envers l'environnement porte préjudice à la convivialité humaine, et inversement. »
Lors d'une autre journée mondiale de la paix, le , le message de Benoît XVI s'intitulait « Si tu veux la paix, protège la création »[7] :
« Le respect de la création revêt une grande importance car "la création est le début et le fondement de toutes les œuvres de Dieu" et, aujourd'hui, sa sauvegarde devient essentielle pour la coexistence pacifique de l'humanité. Si en effet, à cause de la cruauté de l'homme envers l'homme, nombreuses sont les menaces qui mettent en péril la paix et le développement intégral authentique de l'homme - guerres, conflits internationaux et régionaux, actes terroristes et violations des droits de l'homme - les menaces engendrées par le manque d'attention — voire par les abus — vis-à-vis de la terre et des biens naturels, qui sont un don de Dieu, ne sont pas moins préoccupantes. C'est pour cette raison qu'il est indispensable que l'humanité renouvelle et renforce "l'alliance entre l'être humain et l'environnement, qui doit être le miroir de l'amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons." »
La question écologique est une question moderne, car c'est surtout la modernité qui a posé la nature comme problème et donc l'écologie sous le mode de la crise. L'écologie intégrale entend se pencher sur le monde d'avant la question écologique et voir ce que la tradition chrétienne, des origines à nos jours, dit de la nature, afin d'apporter des éléments de réponse à cette crise majeure du XXIe siècle, qui à terme met en péril l'humanité elle-même. L'écologie intégrale estime qu'il est profitable de découvrir la permanence centrale de la « pensée écologique chrétienne », bien souvent ignorée du grand public, même catholique[9].
Nécessité d'une morale pour l'écologie
La question écologique - de même que la question sociale et la plupart des grandes questions de l'humanité - est avant tout une question morale. Cette morale peut prendre la forme d'une éthique de responsabilité ou d'une éthique de conviction. L'éthique de responsabilité, qui est une morale de l'utilité, serait plus légitime que l'éthique de conviction, qui est morale de principe. En écologie, on en appelle souvent à l'éthique de responsabilité, comme on le voit avec le philosophe allemand Hans Jonas et son « Principe responsabilité », ce qui est une bonne chose, mais n'est pas suffisant[10].
Débats autour du concept
Ce concept est parfois accusé de servir d'écoblanchiment (greenwashing en anglais) pour le militantisme conservateur, à travers des figures issues de La Manif pour tous comme Eugénie Bastié ou Gaultier Bès[11], qui s’exprimerait notamment dans la revue Limite. Il s'agirait de se servir de la bannière écologique pour un militantisme antiféministe et anti-avortement. À propos de ce groupe, le chercheur Jean-Louis Schlegel détaille qu'« Il s’agit d’être « conservateur » authentiquement, intégralement, radicalement, dans la vie quotidienne comme dans les combats publics : conservateur de la planète dans toutes ses dimensions, mais aussi conservateur du corps humain, de la famille, du domestique, du local »[12].
Les sociologues Étienne Grésillon et Bertrand Sajaloli ajoutent « Cette écologie intégrale moralisatrice et traditionaliste ressurgit ainsi à la faveur des discours contre le mariage homosexuel. Mais, instrumentalisant l'écologie, notamment dans son champ défense de la vie, récupérant et mettant au service de valeurs très conservatrices la réflexion engagée au sein du catholicisme sur les rapports homme-nature, ce mouvement est loin d'être partagé par tous les catholiques ». « La notion d'écologie humaine […] en plaçant la question morale du respect de la vie humaine au centre du débat détourne le croyant de la nature et des enjeux environnementaux »[13].
Delphine Batho dans son Écologie intégrale, le manifeste (2018, éditions du Rocher) combat farouchement toute interprétation de l'écologie intégrale qui consisterait à promouvoir des valeurs réactionnaires pour confiner les femmes au monde naturel et à leur fonction reproductrice. Vouloir travestir le sens de l'écologie intégrale pour en faire une arme contre les femmes, contre leur droit à maîtriser leur corps, contre le droit à l'avortement et à la contraception, contre les progrès de la bioéthique, contre les libertés individuelles, à commencer par la faculté de vivre librement son orientation sexuelle que l'on soit homme ou femme, est selon elle exactement le contraire de la révolution anthropologique nécessaire[14],[15].
Pour Delphine Batho, comme pour Génération écologie, le parti dont elle est présidente, l'écologie intégrale démocratique est le projet politique qui fait le lien entre les alertes scientifiques qui annoncent que « bientôt il sera trop tard » et des propositions pour inscrire le respect de la Terre et de la Nature dans les fonctionnements démocratiques, par la loi et par la société mobilisée. Il associe les sciences et la démocratie[16]. Aux élections européennes de , elle intègre la liste Urgence Écologie menée par le philosophe Dominique Bourg qui s’affirme lui aussi partisan d’une écologie intégrale[17] selon la même approche qui récuse les motivations religieuses. Celui-ci affiche également ses distances avec l'écologie intégrale d'extrême-droite de la revue Limite, qu'il voit comme une simple récupération opportuniste de la thématique écologiste au profit d'une extrême-droite traditionaliste : « Pour ces antimodernes, l’écologie est aujourd’hui une aubaine. Elle leur permet de se rénover, de se réaffirmer et de reprendre une importance dans l’époque. »[12].
Applications
Le label Église verte est une application de l'écologie intégrale[18].
↑Fabien Revol et Alain Ricaud (préf. Philippe Barbarin), Une encyclique pour une insurrection écologique des consciences, Paris, Parole et silence, , 319 p. (ISBN978-2-88918-721-8, OCLC935315994), 69-70.
↑Etienne Grésillon et Bertrand Sajaloli, « The green church ? Building a catholic ecology : steps and tensions », VertigO, vol. 15, no 1, (DOI10.4000/vertigo.15905).
↑« Delphine Batho lance son manifeste pour l’écologie intégrale », La Croix, (ISSN0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
Dominique Lang, Petit manuel d'écologie intégrale : avec l'encyclique Laudato si', un printemps pour l’Église, Chouzé-sur-Loire, Saint-Léger éditions, , 380 p. (ISBN978-2-36452-117-9, OCLC932121439)
Pape François, Vivre la conversion écologique : Chaque jour du temps de carême, une méditation, un extrait de Laudato si', un verset biblique et des idées de résolution, Peuple libre,
Mgr Pierre d'Ornellas, Écologie et bioéthique : un nouveau chemin !, Balland, , 42 p.
Nathalie de Kaniv et François You, L'écologie intégrale au cœur des monastères, Les Plans-sur-Bex (Suisse)/Paris/52-Langres, Parole et Silence, , 279 p. (ISBN978-2-88959-104-6)