Le secrétaire du roi, plus anciennement notaire du Roi[1] est un fonctionnaire de la France de l'ancien régime, attaché à une chancellerie[2].
Appelés à l'origine clercs, notaires et secrétaires du Roi, ils sont plus largement connus sous le nom de secrétaires du Roi[3].
Établis auprès de la Grande chancellerie de France, à Paris[4], mais également à la petite chancellerie du Palais, à Versailles ou au Louvre ou à celle du châtelet, les secrétaires du Roi peuvent également être attachés aux chancelleries des cours de provinces, dans les parlements, les présidiaux, cours des aides et cours souveraines, qu'on appelle petites chancelleries ou encore chancelleries particulières[2], par opposition à la grande chancellerie de Paris, la seule « grande »[2].
Une charge anoblissante
Les lettres patentes de Charles VIII, de l'an 1484, les anoblit en tant que de besoin, leurs enfants et postérité mâle et femelle, née et à naître en légitime mariage, les déclarant capables de recevoir tous ordres de chevalerie, comme si leur noblesse était ancienne d'au moins quatre générations[5].
Ces lettres anoblissent les secrétaires du roi en tant que besoin, c'est-à-dire que, de par la nature même de leurs fonctions, il leur est nécessaire d'être nobles. Ainsi, les auteurs de l'Ancien Régime parlent de "noblesse des secrétaires du roi" en faisant directement référence à ces lettres de 1484, comme Diderot et d'Alembert dans leur Encyclopédie[6],[7], ou Chérin dans son Abrégé chronologique d'édits (etc)[8]. Ces lettres se retrouvent également dans certaines lettres de provision de charge de secrétaire du roi, qui parlent de “(...) privilège de noblesse au premier degré telle qu’elle est portée aux lettres patentes du mois de février mil quatre cent quatre vingt quatre (...)” (1787)[9].
Ainsi, les secrétaires du roi et leurs descendants jouissent de la noblesse immédiate et immédiatement transmissible lors de leur entrée en charge, "tant & si longtemps que [l'officier] sera revêtu de la charge de Secrétaire du roi, & s'il décède en la fonction d'icelle, ou obtient lettre de vétérance"[10]. En effet, en cas de démission ou de vente de la charge avant d'avoir effectué vingt années d'exercice, leur noblesse s'évanouissait[11]. En cas de suppression par l'autorité souveraine, le roi statuait au cas par cas, souvent de façon favorable, mais en assortissant la maintenue de conditions supplémentaires (augmentation de finance).
Le 23 juin 1790, la noblesse est abolie, faisant perdre de facto leur noblesse aux secrétaires du roi ainsi qu'à l'ensemble des membres du Second Ordre. Près d'un an plus tard, le 27 avril 1791, les offices de secrétaires du roi de la grande et des petites chancelleries sont supprimés[12].
Les conséquences de ces événements sont sources de débat sur le sujet de la notion de noblesse inachevée apparue au XXe siècle.
Les collèges des notaires-secrétaires
Le plus ancien collège est celui appelé à l'époque moderne les Six-vingt. Il s'agit de l'évolution de la confrérie des notaires et secrétaires du roi fondée par lettres patentes de 1365. Le nombre de charges est fixé à 59, mais s'il existe 59 secrétaires bénéficiant des gages de la charge, soit la rémunération fixe, il faut y ajouter 61 secrétaires bénéficiant des « bourses », soit la rémunération variable par quote-part du prix des actes écrits.
Le second collège est celui des Cinquante-quatre, instauré par édit de 1583. Bien que son augmentation ait été prévue par édits de 1641 et 1655, elle n'a jamais été effective.
Le troisième collège est celui des Vingt de Navarre, qui sont, comme leur nom l'indique, les anciennes charges de la couronne de Navarre, réunies à celles de la couronne de France après l'accession au trône d'Henri IV en 1607. Leur nombre est brièvement porté à 100 en 1661.
Le quatrième collège est celui des Soixante-six, augmentation en 1608 d'un collège de 26 secrétaires créé en 1587.
Le cinquième collège est celui des Finances, créé en 1605 et composé à l'origine de 26 offices. Brièvement augmenté de 74 charges en 1622-1623, son nombre est fixé à 36 secrétaires en 1625, puis à 120 en 1635.
Le sixième collège est celui des Quatre-vingt, créé en 1657 avec les offices prévus pour l'augmentation du collège des Cinquante-quatre et de nouveaux offices.
Ces six collèges anciens sont tous réunis en 1672 dans un nouveau Grand collège rassemblant 240 secrétaires. Leur nombre subit des variations importantes afin d'être fixé à 300 par lettres de 1727[13].
Fonctions, privilèges, prix d’acquisition
Selon l'auteur Patrice du Puy de Clinchamps, l'emploi de secrétaire du roi ne demandait aucune aptitude particulière et son accès y était aisé, il suffisait de savoir lire et écrire et d'être de bonnes vie et mœurs[14] (c'est-à-dire de religion catholique), et le roi n’exigeait des secrétaires du roi ni la résidence auprès de la chancellerie dont ils dépendaient, ni qu’ils soient gradués[15]. De fait, dans les petites chancelleries, les charges s'échangeaient de gré à gré, souvent au sein de la même ville[16].
L'historien Hippolyte de Barrau (1794-1863) écrivait au contraire que cette charge, bien que vénale, ne s'accordait pas au premier venu. Il fallait la permission du roi, que la famille soit considérable au sein du tiers état avec une haute position dans son ordre, des services rendus et qu'elle jouît d'une bonne renommée[17].
C'est ce que soutiennent également les auteurs de "La Noblesse des derniers Conseillers-Secrétaires du roi (1770-1790)" (2022) en listant les différentes qualités et étapes requises pour être admis : enquête de moralité requérant différents témoignages écrits de personnalités locales, nécessité de savoir parler et écrire couramment latin, enquête de niveau social pour démontrer que le requérant possédait les moyens et les revenus financiers nécessaires pour vivre noblement, mise en place d'une commission des haut placés de la Compagnie pour débattre de la demande d'acquisition d'une charge, avis donné au roi qui était le dernier juge pour octroyer ou non les lettres de provision, etc[9].
De fait, les secrétaires du roi du grand collège étaient chargés de dresser, signer ou rapporter dans les chancelleries établies près des grands organismes de la monarchie, les lettres de grâce, de rémission et autres actes émanant de ces cours. Jean-Louis Vergnaud écrit : « Leur centre d’action demeurait la grande chancellerie, d’où ils essaimaient et établissaient à leur profit – théoriquement du moins – un vaste monopole des écritures officielles. On voit par là à quoi donc se réduit le pompeux étalage que fait de leurs fonctions le préambule de l’édit de novembre 1482 donné par le roi Louis XI. »[18].
Aspects sociologiques des secrétaires du roi sous l'Ancien Régime
Bien que confirmée de règne en règne, la noblesse des secrétaires du roi ne laisse pas d'être méprisée par certains nobles de race[19]. Par réaction, on qualifia cette charge de « savonnette à vilain »[20]. Le duc de Saint Simon réduit les secrétaires du roi à « un corps de roturiers richard »[21], et Vauban de stigmatiser « cette infection des secrétaires du roi, qui n'ont pas même risqué un rhume pour le service du roi ! ».
L'historienne Caroline Le Mao indique qu’à Bordeaux, les familles roturières de la première moitié du XVIIe siècle préfèrent, à une charge de secrétaire du roi, celle de conseiller au parlement comme mode d'anoblissement car « il n’y avait pas de différence sur le plan de la noblesse[22], mais il y en avait une en termes de prestige, car un conseiller était considéré différemment d’un simple secrétaire du roi »[23].
Aldric de Prudhomme de La Boussinière et LasCases notent cependant, pour ce qui est de la vision de la vieille noblesse vis-à-vis des anoblis par cette charge, que, si certains écrits affichent des commentaires parfois acerbes (bien souvent par jalousie envers leurs privilèges si nombreux que certains princes eux-mêmes ne se privent pas d’acquérir une de ces charges), dans les faits, de très nombreux secrétaires du roi et enfants de secrétaires du roi s'allièrent immédiatement avec des familles d'ancienne noblesse, satisfaites d'offrir à leurs enfants des alliances nobles de fait mais surtout très fortunées[9].
Références
↑Denis Diderot, Encyclopédie: ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome onzième, Neufchâtel, Samuel Faulche, MDCCXLV page 245 Notaire du Roi, Notaire du Parlement.
↑ ab et cDenis Diderot, Encyclopédie: ou dictionnaire raisonné des arts et des métiers, volume III, Paris, Briasson , MDCCLIII, page 118.
↑Jean Louis Vergnaud, de l'âge des services au temps des vanités. La compagnie des conseillers-secrétaires du roi, maison, couronne de France, et de ses finances. Histoire, fonctions et privilèges. Persée, cahiers Saint Simon, 1986.
↑Sylvie Charton-Leclech, Chancellerie et culture au XVIIIe siècle, ( les notaires et secrétaires du Roi de 1515 à 1547), histoire notariale, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1993 page 67.
↑Abraham Tessereau, Histoire chronologique de la Grande Chancelerie de France . Tome premier, contenant son origine, l'estat de ses officiers, un recueil exact de leurs noms depuis le commencement de la monarchie jusques à présent, leurs fonctions... Par Abraham Tessereau,... Revuë & augmentée de plusieurs pièces, (lire en ligne)
↑Denis Diderot et Jean Le Rond d' Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, chez Pellet imprimeur-libraire, rue des Belles Filles, (lire en ligne)
↑Louis-Nicolas-Henri Chérin, Abrégé chronologique d'édits, déclarations, réglemens, arrêts & Lettres-Patentes des Rois de France de la troisieme race, concernant le fait de noblesse ; précédé d'un discours sur l'origine de la noblesse, ses différentes especes, ses droits & prerogatives, la maniere d'en dresser les preuves, & les causes de sa décadence. Par L. N. H. Chérin..., chez Royez, (lire en ligne)
↑Pierre Jean Jacques Guillaume Guyot, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chanqe dignité : à chaque office & à chaque état, soit civil, soit militaire, soit ecclésiastique, Visse, (lire en ligne)
↑Yohann Travet, Les officiers de la chancellerie près la cour de Parlement de Flandre, 1774-1790 – Officiers d’Ancien Régime et notabilité dans la France nouvelle, Revue du Nord 2007/3 (n° 371), (lire en ligne), p. 531-546 :
« « On s’incline plus volontiers devant la dignité de l’Histoire que devant la force brutale de l’argent ». Ainsi la vénalité et les anoblissements monnayés, dénoncés dans les cahiers de doléances, s’envolent-ils au grès du vent révolutionnaire. Les offices disparaissent le 7 septembre 1790 après avoir été vidés de leur substance par la nuit du 4 août et la suppression de la noblesse en juin 1790. La Révolution fauche les ambitions des officiers. Vingt-neuf ne réalisent pas leur noblesse, vingt-trois perdent leurs privilèges. Simples citoyens, les anciens officiers incarnent aux yeux des patriotes tout ce que le vieux monde avait de détestable. »
↑L'historien J-F Solnon, étudiant les 215 CSR de Besançon, a pu établir un tableau et des cartes de leurs origines géographiques (pages 114-125), les charges se transmettant souvent dans la même province.
↑Hippolyte de Barrau, Documens historiques et généalogiques sur les familles et les hommes remarquables du Rouergue [by H. de Barrau]., (lire en ligne), p. 193
↑En réalité la charge de conseiller en parlement anoblissait après que deux générations aient successivement exercées cette charge pendant au moins vingt années et acquis la vétérance. C'est une noblesse graduelle.
↑Caroline LE MAO, Parlement et parlementaires Bordeaux au Grand Siècle, Champ Valon, coll. « Epoques », (lire en ligne), p. 304.
Voir aussi
Bibliographie
François Bluche et Pierre Durye, L'anoblissement par charges avant 1789, ICC, (lire en ligne).
André Borel d'Hauterive, Annuaire de la noblesse de France et des maisons souveraines de l'Europe, (lire en ligne), p. 372 à 376 : sur la charge de secrétaire du roi.
Jean-François Solnon, 215 bourgeois gentilshommes au XVIIIe siècle, les secrétaires du roi à Besançon. Paris, les belles Lettres, 1980, in 8°, 475 p.
Christine Favre-Lejeune, Les secrétaires du Roi de la grande chancellerie de France : Dictionnaire biographique et généalogique (1672-1789), introduction de François Furet et Guy Chaussinand-Nogarert, Paris, Sedepols, 1986.
Sylvie Le Clech-Charton, « Les notaires et secrétaires du roi et la commande artistique officielle : service du roi, des grands et de la ville », Bibliothèque de l'École des chartes, genève, Librairie Droz, t. 146, 2e livraison, , p. 307-335 (lire en ligne).
Sylvie Le Clech-Charton (avant-propos d'Arlette Jouanna), Chancellerie et culture au XVIe siècle : les notaires et secrétaires du roi de 1515 à 1547, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Histoire notariale », , 352 p. (ISBN2-85816-198-4, présentation en ligne).
P. de Sémainville, Code de la noblesse française, (lire en ligne).
Abraham Tessereau, L'Histoire chronologique de la Grande Chancellerie de France, Volume 1, 1710 Lire en ligne.
Jean-Louis Vergnaud, « De l'âge des services au temps des vanités. La compagnie des conseillers-secrétaires du roi, maison, couronne de France, et de ses finances. Histoire, fonctions et privilèges », Cahiers Saint-Simon, no 14, , p. 55-70 (ISSN0409-8846, e-ISSN2391-1387, lire en ligne).