La « partie du siècle », ainsi que l'ont nommée certains journalistes américains, est une célèbre partie d'échecs jouée par les joueurs américains Donald Byrne et Bobby Fischer à New York le lors du trophée Rosenwald, le plus fort tournoi d'échecs disputé aux États-Unis en 1956.
Bobby Fischer, âgé alors de seulement treize ans, jouait avec les pièces noires et remporta la partie dans un style éblouissant. Cependant, celle-ci n'apparaît pas dans son recueil de parties publié en 1969, Mes 60 meilleures parties. D'ailleurs, lors de ce tournoi Fischer ne termina qu'à la huitième place sur douze joueurs, la compétition étant remportée par le grand maître Samuel Reshevsky. Mais cette partie, du fait de son style et du jeune âge de son vainqueur, fit le tour du monde échiquéen, amorçant la carrière de Fischer au plus haut niveau.
Contexte
Lors de cette partie en , Robert « Bobby » Fischer (1943-2008) fait déjà sensation dans le monde échiquéen, étant le champion des États-Unis junior en titre, à l'âge de treize ans seulement. Il est cependant encore à cette époque un junior prometteur, face à l'un de ses premiers vrais tests contre une opposition de haut niveau.
Par ailleurs, sa performance globale dans le tournoi fut moyenne[1] mais cette partie montre le début de son ascension fulgurante, qui se poursuivra en 1957 lorsqu’il remportera l'Open des États-Unis aux tie-breaks, puis le championnat des États-Unis senior 1957-1958 (ainsi que les sept championnats ultérieurs dans lesquels il jouera), se qualifiant pour le Tournoi des candidats et devenant en 1958 le plus jeune grand maître international à l'âge de 15 ans.
L'adversaire qui lui fait face est Donald Byrne (1930–1976), à l'époque l'un des meilleurs joueurs d'échecs américains. Celui-ci représentera par la suite les États-Unis aux Olympiades d'échecs en 1962, 1964 et 1968[2],[3]. Il deviendra maître international en 1962 et serait probablement allé plus haut (grand maître) s'il n'avait pas été en mauvaise santé[4].
Déroulement
Fischer (avec les noirs) fait preuve d'innovation et d'improvisation remarquables dès les premiers coups de la partie. Byrne (avec les blancs), après une ouverture standard, fait une erreur apparemment mineure au 11e coup, perdant un temps en déplaçant deux fois la même pièce. Fischer en profite et met en place un jeu sacrificiel agressif et brillant, aboutissant à un sacrifice de sa dame au 17e coup. Byrne capture la dame de Fischer, mais celui-ci obtient beaucoup trop de matériel en compensation — une tour, deux fous et un pion.
La fin de partie montre comment Fischer, coordonnant ses pièces, force un échec et mat sur le roi de Byrne tandis que la dame de ce dernier, inutile, se trouve isolée de l'autre côté de l'échiquier.
Partie
Donald Byrne (Blancs) - Bobby Fischer (Noirs)
Mémorial Rosenwald, New York, , 8e ronde, Défense Grünfeld (code ECO : D92)[5]
Les Blancs veulent gagner un temps, tout en mettant en sécurité leur fou.
16. ... Tfe8+ 17. Rf1 (diagramme)
a
b
c
d
e
f
g
h
8
8
7
7
6
6
5
5
4
4
3
3
2
2
1
1
a
b
c
d
e
f
g
h
Cette position cache un joli sacrifice de dame positionnel, c'est-à-dire que les Noirs peuvent échanger leur dame contre trois figures légères. Après toutes les prises, leur position est meilleure que celle de leur adversaire.
17. ... Fe6!! 18. Fxb6
Si 18. Fxe6, alors 18. ... Db5+! 19. Rg1 Ce2+ 20. Rf1 Cg3+ 21. Rg1 Df1+! suivi d'un mat étouffé. Si 18. Dxc3, Dxc5.
18. ... Fxc4+ 19. Rg1 Ce2+ 20. Rf1 Cxd4+ 21. Rg1
Si 21. Td3, alors 21. ... axb6 22. Dc3 Cxf3!, qui menace, entre autres, un mat sur e1 !
À ce moment, les Blancs auraient dû abandonner la partie. Leur retard pour ce qui est du développement est trop important. En effet, leur dame ne peut assurer la protection de son monarque à elle seule, et leur tour est coincée sur la rangée de départ.
Cependant, Byrne demande à voir la technique de Fischer. Il est vrai qu'il n'est pas donné à beaucoup de joueurs de pouvoir mener à terme une partie où il faut affronter la dame de l'adversaire, même avec trois pièces légères en compensation. Fischer ne demande pas mieux que de montrer sa science.
Répondant à une question d'un intervieweur sur la façon dont il réussit à remporter une victoire aussi brillante, Fischer déclara : « J'ai juste joué les coups que je pensais être les meilleurs. J'ai juste été chanceux »[6].
Gedeon Barcza, Laszlo Alfody et Jeno Kapu, Les Champions du monde du jeu d'échecs. Tome 2 : De Botvinnik à Fischer, Grasset et Europe-Echecs, 1987, trad. Alphonse Grunenwald, p.287-288. (ISBN2-246-33421-7)
Christiaan M. Bijl, Die gesammelten Partien von Robert J. Fischer, (page 89) Vermande Schachverlag, Hollande 1976