De Roller, haut-commissaire de la République en Polynésie française, et qui, à ce titre, est le représentant de l'État, tente de prendre le pouls de l'île, de la population locale et des différents intérêts en jeu : l'armée (un amiral passant ses nuits en boîte avec quelques marins), pêcheurs et autorités locales des atolls et activistes locaux (manipulés par des agents étrangers ?), qui menacent de déclencher des manifestations etc.
Cet homme affable, aux paroles mesurées, va de réceptions officielles en répétitions d'un spectacle de danse traditionnelle et autre compétition de surf. À toute heure du jour et de la nuit, sa silhouette ronde, toujours enveloppée de son costume blanc impeccable, scrute l'apparition d'un éventuel sous-marin ou les preuves d'ingérences de puissances étrangères. Il finit par s'associer le concours d'une employée de la boîte de nuit, le Paradise, monde interlope au cœur de toutes ces intrigues.
Le tournage a lieu à Tahiti en août 2021, alors que l'île est en confinement total en raison de la pandémie de Covid-19. Les prises de vues durent 25 jours[5], et ne sont pas réalisées dans l'ordre chronologique.
Le costume blanc du haut-commissaire a été dessiné par Albert Serra et un tailleur à Paris, deux mois avant le début du tournage. Lors du premier jour de celui-ci, l'équipe découvre que Benoît Magimel a grossi. N'ayant aucune solution disponible sur place, le tournage est malgré tout lancé. Albert Serra se satisfera néanmoins de cette situation, appréciant le « côté trash »[6].
Albert Serra a utilisé trois caméras Blackmagic Pocket[6], qu'il se permettait de déplacer en pleine prise, de sorte que les acteurs ne pouvaient pas se positionner et jouer par rapport à l’une d'entre elles. Il dictait les répliques à Benoît Magimel par oreillette en temps réel. Les trois caméras ont enregistré 180 heures chacune, soit 540 heures au total. Pour le montage, Serra a commencé par conserver uniquement les images qui lui plaisaient, la narration passant au second plan[7]. Il a également exclu tous les plans où Magimel avait une gestuelle qui pouvait rappeler un de ses anciens rôles[6].
Le confinement pour cause de Covid a été annoncé peu avant le tournage de la scène en mer. Une compétition de surf, qui devait avoir lieu en même temps du fait de l'annonce de fortes vagues, fût annulée. Ayant une autorisation, l'équipe s'est tout de même rendue, à l'aide de bateaux loués, sur le lieu de tournage. Ils y ont trouvé des surfeurs amateurs ayant échappé à la police. Ceux-ci avaient pour consigne d'enlever leur masque lorsqu'ils étaient dans le champ, et de ne pas appeler Benoît Magimel par son prénom, mais par le titre de haut-commissaire[6].
En France, le site Allociné propose une moyenne de 4⁄5, après avoir recensé 23 critiques de presse[8].
La presse française est globalement très enthousiaste pour ce film, au moment de sa sortie, plus de la moitié accordant 4 ou 5 étoiles sur Allociné selon les modalités du site[8].
Mathieu Macheret, dans les Cahiers du cinéma, y voit un « théâtre des petits arrangements et autres tripatouillages » et « surtout [un film] d'une formidable drôlerie[9] » :
« De Roller/Magimel s'avère une incroyable créature de jeu, un as de la palabre dont l'habile entregent s'exerce à coups de formules courtoises, une véritable hystérie des lieux communs débités avec éclat. Sous le vernis du consensus affiché, c'est toutefois la valse des doléances et des services, des prêtés pour des rendus, et en dernier recours le rapport de force, parfois lourd de menaces, qui se fait sentir[9]. »
Pour Bande à part, il s'agit là d'un film « envoûtant à la frontière du thriller politique et de l'essai poétique avec un Benoît Magimel magistral[10]. » Dans la même tonalité, Le Monde parle d'un « chef-d'œuvre » : « Entre le flamboiement des cieux et le miroitement turquoise de la mer, le M. Homais préfectoral exsude dans l’enchaînement flaubertien des vues pittoresques et d’une puissance qui se délite[11]. » Pour le critique de Critikat.com, « Pacifiction confirme la position singulière de Magimel dans le champ du cinéma français contemporain et l’ambition d'Albert Serra, dont le style magnétique, riche en légères variations rythmiques, prend ici une envergure insoupçonnée[4]. »
Léo Martin, pour Écran Large, se montre élogieux. Dans un premier temps, le film semblerait être « un OSS 117 des temps modernes ». Rapidement, c'est l'interprétation d'un « Benoît Magimel, habité par le rôle comme nul autre n’aurait pu l’être, [qui] imprègne le long-métrage d’une surpuissante candeur. » La critique se conclut sur ce résumé : « Albert Serra filme ici un fascinant calme avant la tempête. Véritable conte kafkaïen moderne, devinant instinctivement les tourments qui planent sur notre époque et leurs probables causes, Pacifiction - Tourment sur les îles est plus redoutable qu'il n'y paraît. Benoît Magimel excelle dans son rôle aussi grotesque que sublime[12]. »
Le site aVoir-aLire parle d'un Albert Serra qui « offre un film envoûtant et magnifiquement maîtrisé sur les mystères et la part d’ombre du travail d’un Haut commissaire à Tahiti, aux prises avec les injonctions de l’État français qu’il représente, les enjeux géostratégiques, et les intérêts des habitants des îles[13] ».
Dans les critiques plus négatives, on peut retrouver celles du Parisien : « Entre cynisme, flatterie et condescendance teintée de colonialisme, Magimel incarne un politicien aussi calculateur qu’insaisissable. Il nous entraîne dans cette expérience déroutante et parfois nébuleuse[14]. »
Pour Le Figaro, « entre thriller politique à zéro de tension et carte postale sans destinataire, la meilleure blague du dernier Festival de Cannes provoque 2 h 43 de rire involontaire ou d'ennui abyssal[15]. »
Pour France Info Culture : « Le réalisateur espagnol veut montrer le côté sombre de la politique locale sans en dire grand chose. Le cinéaste finit par nous perdre[16]. »
Pour son premier jour d'exploitation en France, Pacifiction réalise 2 764 entrées (dont 912 en avant-première), le film se plaçant alors en huitième position du box-office des nouveautés.
↑ abc et dNicolas Moreno et Charles Thierry, « Préserver le hors contrôle — Entretien avec Albert Serra, à propos de Pacifiction », Tsounami, n° 9 hiver 2022, p. 64-69.