La mystification du monoxyde de dihydrogène consiste à attribuer à l’eau (H2O) une dénomination complexe inconnue des non-initiés, et à tenir à son sujet un discours solennellement scientifique et totalement exact créant cependant chez l’auditeur une inquiétude injustifiée.
Origines de la mystification
Une version populaire de cette mystification a été créée par Eric Lechner, Lars Norpchen et Matthew Kaufman, colocataires alors qu'ils étudiaient à l'université de Californie à Santa Cruz en 1990[1], revisitée par Craig Jackson en 1994[1] et portée à la connaissance du public, en 1997, par Nathan Zohner, un élève de 14 ans. Dans le cadre de son projet de science intitulé « À quel point sommes-nous crédules ? » (« How gullible are we? »), celui-ci a remis à cinquante de ses condisciples un rapport décrivant les méfaits du « DHMO » (pour dihydrogen monoxide, nom anglais du monoxyde de dihydrogène). 86 % des élèves interrogés se déclarèrent favorables à l'interdiction de la substance chimique[2],[3]. En France, le canular a connu un regain d'intérêt peu avant le premier avril 2017 avec sa mise en scène dans Le Magazine de la santé de France 5 par le journaliste scientifiqueFlorian Gouthière[4],[5], assorti d'une pétition.
Cette mystification peut être interprétée[6], au choix, comme étant :
une démonstration de la crédulité du public par rapport aux informations formulées dans un jargon scientifique alarmiste. Diverses pétitions ont été signées par plusieurs centaines de personnes pour retirer le monoxyde de dihydrogène de l'environnement ;
une dénonciation de certains politiques qui instaurent volontairement un climat de confusion et de panique dans la population ;
une dénonciation de certains scientifiques qui, imbus de leurs connaissances, accumulent les termes techniques, rendant obscurs — pas toujours involontairement — les discours par lesquels ils sont censés informer leurs auditeurs ;
une dénonciation de certains activistes environnementaux qui cherchent à instaurer un climat de peur irrationnelle (chimiophobie) en utilisant un vocabulaire scientifique.
Explication du nom
L’eau pure est un composé chimique de formule H2O.
Un oxyde est un composé chimique obtenu par action de l’oxygène sur un corps (oxydation), par exemple un métal ; la formule brute d’un oxyde est de la forme XmOn’. H2O est un oxyde : le monoxyde de dihydrogène (mono- (un) et di- (deux) pour signaler qu'un seul atome d'oxygène est lié à deux atomes d’hydrogène).
De la même manière, un hydroxyde a une formule du type R-OH ; on peut écrire celle de l’eau H-OH, et en conséquence l’appeler hydroxyde d’hydrogène, ce qui permet une variante du canular.
Le même H-OH peut être vu comme un acide (formule commençant par H-) : l’acide hydroxyque (ou oxhydrique), d’où une troisième version du canular.
Le même H-OH peut être vu comme un alcool (composé de formule générique CnH2n+1OH, ici avec n=0) : l’hydrogénol (fonction alcool lié à un simple atome d'hydrogène).
Par autoprotolyse ( ou ), l’eau peut se séparer en ions hydrogène ou hydronium et hydroxyde, ce qui peut permettre de nommer ce produit « hydroxyde d’hydrogène » ou « hydroxyde d’hydronium ».
a été trouvé dans des biopsies de tumeurs et lésions pré-cancéreuses, ainsi que dans les tumeurs de malades du cancer en phase terminale ;
il serait le principal agent à l'origine d'œdèmes.
parmi les symptômes résultant de l'ingestion de monoxyde de dihydrogène on peut observer une sudation et une miction excessives, et éventuellement une sensation de ballonnement, des nausées et vomissements, ainsi qu'un déséquilibre électrolytique corporel ;
une ingestion excessive peut causer des effets néfastes pouvant entraîner la mort ;
toutes les personnes étant entrées en contact avec lui sont mortes ou vont mourir ;
il est utilisé comme adjuvant dans les vaccins[9] ;
il présente à la fois un caractère acide et basique ;
il présente un pH de 7, plus élevé que tous les acides même à très fortes concentrations ;
c'est un puissant solvant, largement utilisé dans l'industrie chimique ;
Corrélations sociales
Il est présent dans une grande quantité de produits alimentaires, y compris des produits labellisés bio ;
On en trouve des traces dans le sang et les cheveux des enfants (alors qu'une surdose peut les tuer) ;
tous les jeunes délinquants en consomment ;
certains alcooliques le mélangent avec leur boisson pour prétendument en atténuer les effets (alors même qu'il trouble le pastis) ;
pour les sujets dépendants, le sevrage de monoxyde de dihydrogène signifie une mort certaine.
Contexte d'utilisation
Ce canular est parfois utilisé dans des débats de société autour de questions scientifiques, souvent en réponse à des arguments pseudo-scientifiques ou pour déconstruire un argument par l'absurde. Il est par exemple employé par les défenseurs des vaccins pour critiquer certains arguments de leurs opposants[10].
En 1994, Craig Jackson crée un site web pour l’association pour le bannissement du DHMO[11],[13].
Le site web de la « défense de l'hydroxyde d'oxygène » fut ensuite créé par Dan Curtis Johnson(en) en réponse au précédent, prétendant en dénoncer ses « visées subversives ». Le site indique que l'hydroxyde d'hydrogène « ne nuit pas à l'environnement », et « améliore la santé et la croissance de nombreuses formes de vie. »[14]
En 1997, Nathan Zohner, alors âgé de 14 ans et scolarisé à Idaho Falls, collecta 43 signatures sur sa pétition visant à bannir ce produit, sur les 50 élèves à qui cette pétition fut proposée. Zohner reçut pour cet exploit le premier prix d'Exposcience de la région de Idaho Falls[2]. En référence à cette enquête, le journaliste James K. Glassman(en) introduit même le néologisme « zohnerisme », pour désigner « le fait d'utiliser des faits véridiques pour conduire un public mathématiquement et scientifiquement ignare à des conclusions fausses »[15].
En 1998, inspiré par les pages web de Jackson et le sondage de Zohner, Tom Way ouvrit un site web DHMO.org proposant des liens à d'autres sites authentiques du gouvernement fédéral des États-Unis, tels que l'Environmental Protection Agency (agence de protection de l’environnement) et le National Institutes of Health (agence nationale pour la santé).
Le premier , au titre du traditionnel poisson d'avril, un membre du Parlement d'Australie annonça le lancement d'une campagne pour l'éradication du monoxyde de dihydrogène[16].
En 2001, une responsable du Parti vert d'Aotearoa Nouvelle-Zélande et membre du parlement de Nouvelle-Zélande, Sue Kedgley(en) se fit piéger à répondre à une campagne pour le bannissement du monoxyde de dihydrogène, disant qu'elle était « en soutien total de cette campagne visant à éliminer cette substance toxique ». Cette bourde fut tournée en dérision dans un communiqué de presse du Parti national d'Australie[17], dont un représentant parlementaire fut victime du même canular six ans plus tard[18].
En 2002, l'animateur radio Neal Boortz(en) déclara à l'antenne que le système de distribution d'eau de la ville d'Atlanta avait été examiné et s'était révélé contaminé par du monoxyde de dihydrogène, continuant en énumérant les « dangers » que présente ce « dangereux » produit chimique. Une station TV locale reprit l'information et se fit l'écho de ce « scandale ». En réponse, un porte-parole du service de distribution d'eau assura au reporter que la concentration en monoxyde de dihydrogène ne dépassait en aucun point la limite autorisée par la loi[19].
L'idée a été reprise dans un passage d'un épisode du show de Penn et Teller, Bullshit! (n'importe quoi), dans lequel l'actrice Kris McGaha(en) et l'équipe de tournage sollicitèrent des personnes se déclarant « concernées par l'environnement » pour signer une pétition demandant l'interdiction de DHMO[20].
En , la municipalité d'Aliso Viejo (Californie) a failli délibérer sur l'interdiction du doggy bag en plastique pour tout événement sponsorisé par la commune, parce que la fabrication de ce matériau utilise du monoxyde de dihydrogène : un assistant juridique de la municipalité l'avait inscrit de ce fait à l'ordre du jour. Il plaida ensuite, pour sa défense, une recherche insuffisante sur ces données[21]. La motion fut retirée de l'ordre du jour avant de faire l'objet d'un vote, mais entre-temps la municipalité fut la risée d'une mauvaise publicité[2].
En 2006 à Louisville (Kentucky), David Karem, directeur du Louisville Waterfront Park, souhaitait dissuader le public d'utiliser une pièce d'eau publique pour la baignade. Misant sur l'inculture scientifique du public, il fit poser (voir image) des panneaux indiquant « Danger - cette eau contient une haute teneur en hydrogène - ne pas s'approcher »[22].
En 2007, Jacqui Dean(en), membre et député du Parti national de Nouvelle-Zélande, reprit le canular et posa une question écrite au ministre délégué pour la santé, Jim Anderton, demandant « si les experts du comité consultatif sur les substances toxiques envisagent d'interdire ce produit »[18],[23],[24].
Le , le parlementaire conservateur canadien Andrew Scheer reprend le canular du DHMO sur son site personnel, présentant un « communiqué de presse » dans lequel il prétend avoir déposé un projet de loi pour interdire l'utilisation de ce produit dans tout bâtiment fédéral[25].
À l'occasion des élections législatives finlandaises de 2011 en , un système d'aide au vote fut lancé pour demander aux candidats si la vente libre de « l'acide hydrique, également connu sous le nom de monoxyde de dihydrogène » devait être réglementée. 49 % des candidats furent en faveur de la réglementation plus stricte[26].
En , le premier du mois, sacrifiant à la traditionnelle blague du poisson d'avril, deux animateurs de la station radio locale WWGR, du comté de Lee (Floride), « informèrent » leurs auditeurs que du monoxyde de dihydrogène coulait de leurs robinets. Leur sanction fut une suspension de quelques jours[27],[28]. En réponse à cette annonce, de nombreux usagers appelèrent la compagnie locale de distribution d'eau, qui finit par émettre un communiqué disant que l'eau du réseau était entièrement propre à la consommation[29].