Elle est connue pour sa critique de l'anthropologie traditionnelle et son appel aux anthropologues à étudier les mécanismes du pouvoir dans leur propre société et à ne pas se contenter de mener des recherches dans des territoires lointains[1]. Elle est la première femme professeure titulaire dans le département d'anthropologie à l'université de Californie à Berkeley, où elle enseigne dès 1960[2].
Les recherches de Laura Nader portent sur l'ethnographie comparée du droit, les conflits, l'organisation familiale comparée, l'anthropologie des mentalités professionnelles et l'ethnologie du Moyen-Orient, du Mexique, de l'Amérique latine et des États-Unis contemporains[4]. Elle plaide pour que l'étude du droit soit davantage intégrée à la société au lieu d'être séparée des autres institutions sociales[4]. Laure Nader est l'auteure de plusieurs livres sur l'anthropologie du droit ; elle est l'une des figures les plus influentes de cette discipline[3]. Elle a été professeure invitée aux facultés de droit de Yale, Stanford et Harvard[11]. Elle a enseigné à la Boalt School of Law dans les années 1960[11].
Résolution des conflits
Une partie de son travail porte sur la résolution des conflits dans le village zapotèque qu'elle a étudié[4]. Laura Nader note que les gens s'y confrontent personnellement (il ne s'agit pas d'une confrontation entre un individu et une institution anonyme qui l'écrase). Les juges s'efforcent de trouver des solutions équilibrées plutôt que de rejeter la responsabilité entière sur une partie. Nader pense que ce mode de résolution des litiges reflète la société qui l'a engendré, sa structure hiérarchique, son système économique. En revanche, elle constate qu'aux États-Unis, les conflits dégénèrent souvent en un blâme et une violence polarisés[12]. Le groupe de personnes auquel un individu est confronté peut être vaste et impersonnel et beaucoup plus puissant que l'individu isolé. Elle conclut que les types d'affaires portés devant les tribunaux reflètent les zones de stress dans la structure sociale d'une communauté[4].
Idéologie de l'harmonie
Nader a beaucoup écrit sur « l' idéologie de l'harmonie », idéologie centrée sur la conviction que l'existence d'un conflit est nécessairement une chose mauvaise ou dysfonctionnelle et qu'une société saine devrait réaliser l'harmonie entre les gens, minimiser conflits et confrontations. Elle a soutenu dans son livre Harmony Ideology que l'idéologie de l'harmonie a été répandue parmi les peuples colonisés du monde entier par des missionnaires avant la conquête militaire, facilitant la colonisation[13]. Pour Laura Nader, l'idéologie de l'harmonie peut être coercitive, et utilisée pour réprimer des revendications légitimes[14].
Selon elle, les Zapotèques ont utilisé cette idéologie de l'harmonie de manière « contre-hégémonique », en maintenant l'apparence de l'harmonie (tout en s'engageant en pratique dans un grand nombre de litiges) afin d'empêcher le gouvernement mexicain d'interférer dans leur gestion relativement autonome de leurs affaires intérieures[15].
Nader a également soutenu que« l'idéologie de l'harmonie » a été une base importante pour des théories qui se sont développées aux États-Unis depuis les années 1960 au sujet d'une « explosion des litiges » et en faveur d'un développement du règlement alternatif des différends comme méthode pour éliminer de prétendues « affaires inutiles » (par exemple, les affaires de droits civiques alors nouvellement apparues dans les années 1960) de la salle d'audience. Laura Nader critique cette forme de manipulation qui met l'accent sur l'harmonie, le compromis et le langage de la thérapie plutôt que sur le discours sur l'injustice[16].
Alors que la carrière de Nader a commencé avec un fort intérêt pour le droit et les formes de contrôle social, au fil du temps, elle s'est davantage intéressée aux questions de contrôle culturel et de « processus de contrôle », un concept décrit plus en détail dans son article de 1997, Contrôler les processus : tracer les composantes dynamiques du pouvoir[17].
« Étudier vers le haut »
L'une des contributions les plus connues de Nader a été l'écriture du très controversé à l'époque Up the Anthropologist - Perspectives Gained From Studying Up en 1969, qui était « l'un des premiers appels aux anthropologues à réfléchir davantage sur l'étude des colonisateurs plutôt que les colonisés, la culture du pouvoir plutôt que la culture des impuissants, la culture de l'abondance plutôt que la culture de la pauvreté »[1],[18]. Cet appel a conduit de nombreux anthropologues à commencer à « étudier vers le haut » (« study up »), bien que beaucoup aient mal interprété l'appel de Nader et n'aient pas étudié simultanément « en bas » et « de côté ». Les travaux de Nader dans le domaine de l'anthropologie et de la discipline lui ont valu d'être décrite comme « la conscience morale incarnée de l'anthropologie post-boasienne américaine »[19]. Son intérêt pour l'anthropologie des sciences s'est développé tout au long de sa carrière.
Nader se dit « inspirée par la confusion de ses étudiants oscillant entre « trustanoia » - quelqu'un est là pour s'occuper d'eux et paranoïa - quelqu'un est là pour les tuer. »[20]. Elle soutient que les gens aux États-Unis croient qu'il y a toujours quelqu'un pour s'occuper d'eux et que tout le monde (y compris les législateurs et les politiciens) agit dans leur intérêt.)
(en) avec University of California et Berkeley. Dept. of Anthropology, The Kroeber Islanders ; a handbook of anthropology at Berkeley, University of California, Dept. of Anthropology, (OCLC29557308)
(en) avec Harry F Todd, The Disputing process : law in ten societies, New York, Columbia University Press, (ISBN0-231-04536-0, lire en ligne)
(en) Naked science : anthropological inquiry into boundaries, power, and knowledge, New York, Routledge, (ISBN0-415-91464-7)
(en) Law in culture and society, University of California Press, (ISBN0-520-20833-1)
(en) The life of the law : anthropological projects, University of California Press, (ISBN0-520-22988-6) Réimprimé en 2005 (ISBN0-520-23163-5)
(en) avec Ugo Mattei, Plunder: When the Rule of Law is Illegal, Blackwell Publishers, (ISBN978-1-4051-7894-5)
(en) The Energy Reader, Wiley-Blackwell Publishers, (ISBN978-1405199841)
(en) Laura Nader, Adel Iskander et Hakem Rustom, Side by Side : The Other Is Not Mute dans Edward Said : a legacy of emancipation and representation, Berkeley, University of California Press, , 548 p. (ISBN9780520245464, lire en ligne)
(en) Culture and Dignity : Dialogues Between the Middle East and the West, Wiley-Blackwell Publishers, (ISBN978-1118319017)
(en) What the Rest Think of the West : Since 600AD, University of California Press, (ISBN978-0520285781)
(en) Contrarian Anthropology : The Unwritten Rules of Academia, Berghahn Books, (ISBN978-1785337086)
Films
1966 : Laura Nader, To Make the Balance (Pour faire l'équilibre), 33 minutes[28]
1980 : Laura Nader, Little Injustices- Laura Nader Looks at the Law (Petites injustices - Laura Nader regarde la loi), 60 minutes[29]
2011 : Laura Nader et Roberto Gonzalez, Losing Knowledge: Fifty Years of Change (Perdre le savoir : cinquante ans de changement) 40 minutes[30]
Références
↑ a et bPablo Aguilera del Castillo, (en) « Studying Up », sur Oxford Bibliographies (consulté le ), mai 2023
↑ a et b(en) Laura Nader, « The Link Between Justice and International Law », Peace and Conflict: Journal of Peace Psychology, vol. 10, no 3, , p. 297–299 (ISSN1532-7949, DOI10.1207/s15327949pac1003_6).
↑ a et b(en) Wolfgang Fikentscher, « Laura Nader: Harmony Ideology, Justice and Control in a Zapotec Mountain Village », The American Journal of Comparative Law, vol. 39, no 2, , p. 454–458 (ISSN0002-919X, DOI10.2307/840791, lire en ligne, consulté le )
↑ abcd et eGabriel Lino de Almeida, 2021. "Laura Nader", Encyclopédie d'anthropologie. São Paulo : Université de São Paulo, Département d'anthropologie, 2021, (ISSN[https://portal.issn.org/resource/issn/2676-038X 2676-038X) lire en ligne]
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Bibliographie
(pt) Gabriel Lino de Almeida, Laura Nader dans Enciclopédia de Antropologia, São Paulo, Universidade de São Paulo, (ISSN2676-038X, lire en ligne)
(en) David Price, « 2014. “Contextualizing Laura Nader” Introduction to Laura Nader: A Life of Teaching, Investigation, Scholarship and Scope », Bancroft Oral History Office, (lire en ligne)
(en-US) « Nader's Sister Is a Quiet Crusader », The New York Times, (ISSN0362-4331, lire en ligne, consulté le )