Fortement influencé par Wittgenstein[3], Emmanuel Hocquard peut être défini comme un tenant d'une « modernité négative »[4]. Il a créé en 1973, avec Raquel Levy, la maison d'édition Orange Export Ltd. Cette structure disparaît en 1986 après avoir été pendant près de 20 ans un foyer de rencontre entre les générations. Hocquard a également dirigé le département de littérature contemporaine à l’A.R.C. (Animation, Recherche, Confrontation) au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris de 1977 à 1991 puis fondé en 1989 une association destinée à favoriser une meilleure connaissance, en France, de la poésie américaine contemporaine : Un bureau sur l’Atlantique[5].
Son travail, qui se réclame des objectivistes américains (Charles Reznikoff ou George Oppen), s’attache à rompre avec le lyrisme pour privilégier des formes minimalistes et descriptives. Le poète selon Emmanuel Hocquard est « un guetteur involontaire de notre quotidien, et qui en retient ce qu’il veut en retenir. (…) Il s’agit alors de parvenir à une sorte d’écriture tabulaire, de l’ordre de la photographie, d’où serait exclu tout attirail métaphorique, c’est-à-dire toute pseudo-profondeur, et qui néanmoins s’imposerait au regard, à l’oreille et à la sensibilité même comme “poétique”, à cause de son agencement, sa grammaire et sa focale »[6].
Dans Un privé à Tanger (1987) ironiquement appelé roman, Emmanuel Hocquard rassemble à la manière d'un montage de film, des poèmes, des éléments de journal de voyage, des textes critiques. Un deuxième volume du Privé à Tanger, Ma haie est publié en 2001. C'est une succession de textes hétéroclites qui forment selon l'auteur « une sorte de rhizome incontrôlé.» Dans Le Cap de Bonne Espérance (1988), Emmanuel Hocquard écrit : « Tel fut mon art : de brusques contrastes entre un prosaïsme trivial et de nostalgiques élans de l’âme ; la rapidité des changements de ton, l’emploi d’une langue familière qui ne s’interdisait pourtant pas les emprunts érudits, les réminiscences mythologiques, le recours aux abstractions. »
↑Patrick Kéchichian, « Le poète Emmanuel Hocquard est mort », Le Monde, (lire en ligne).
↑Philippe Charron, « L’intention ludique et pratique. Humour et déliaison chez Emmanuel Hocquard », Études françaises, vol. 52, no 3, , p. 127-147 (lire en ligne)
↑Voici la définition qu’en donne Dominique Rabaté : « (…) “Modernité négative” donc qui se signale par un certain nombre de refus que La Bibliothèque de Trieste articule. Au contraire des Poètes (qui revendiquent volontiers la majuscule) qui croient à l’expression d’une “essence poétique transcendante, permanente et universelle”, les poètes “mineurs”, selon Hocquard, recherchent “une poésie sans accent poétique, aussi sèche qu’une biscotte sans beurre”. Anti-lyriques, “le pathos n’est pas leur affaire. Leur propos n’est pas de chanter, de séduire, de s’apitoyer”. Ils cherchent, au contraire, en s’ouvrant à d’autres champs que la littérature, du côté de la philosophie du langage ou de la linguistique, à donner à voir le travail du langage, à le figurer sur la page, selon des découpages ou des tabulations qui sont les ressources propres de l’écriture (…) ». Dominique Rabaté, extrait du Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, sous la direction de Michel Jarrety, Puf, 2001.